Dans un geste de protestation retentissant, à la croisée des mondes de l’art, de la technologie et de la politique, le groupe américain de rock expérimental Deerhoof a annoncé le retrait complet de tout son catalogue musical de la plateforme Spotify.
Connue pour ses prises de position politiques audacieuses, la formation a déclaré dans un communiqué officiel que cette décision avait été « moralement facile à prendre ». « Nous refusons que notre musique serve à financer des technologies qui contribuent à tuer », a affirmé le groupe, dénonçant la « militarisation de la technologie » qu’il qualifie de « caprice des nouveaux riches ». Deerhoof appelle ainsi artistes et auditeurs à boycotter les plateformes qui franchissent les lignes rouges éthiques et soutiennent la machine de guerre. Par cette décision, Deerhoof s’impose comme l’un des fers de lance d’un mouvement artistique grandissant qui mobilise son influence culturelle pour interpeller les géants de la tech sur leurs choix financiers et éthiques. Au cœur de cette affaire se trouve la double casquette de Daniel Ek, figure de proue de Spotify, qui a personnellement investi 100 millions d’euros dans Helsing, une entreprise spécialisée dans l’intelligence artificielle militaire, via son fonds d’investissement Prima Materia. Ek a également piloté une levée de fonds colossale de 600 millions d’euros pour Helsing, affichant ainsi une confiance totale dans le développement de l’entreprise. Helsing n’est pas une société technologique ordinaire. Elle conçoit des logiciels d’intelligence artificielle capables d’analyser en temps réel des données collectées par des capteurs, drones et satellites sur les champs de bataille. Objectif : accélérer l’identification de cibles et faciliter la prise de décision militaire. Ce qui suscite l’indignation, c’est surtout le partenariat étroit entre Helsing et deux piliers de l’industrie militaire israélienne : Elbit Systems et Rafael Advanced Defense Systems, cette dernière étant une entreprise publique israélienne réputée pour avoir mis au point le système de défense aérienne Dôme de fer et les missiles guidés Spike.
Ces armes ont été utilisées à maintes reprises lors de frappes contre des zones résidentielles à Ghaza. Le partenariat entre Helsing et ces sociétés vise à intégrer des logiciels allemands d’IA aux systèmes et armements israéliens, ouvrant la voie à une nouvelle génération de technologies de combat. Concrètement, investir dans Helsing revient à soutenir directement le développement des capacités militaires israéliennes.
La décision fracassante de Deerhoof s’inscrit dans le cadre de la campagne de boycott de Spotify, mouvement qui a pris de l’ampleur ces dernières années pour dénoncer, entre autres, la désinformation diffusée sur la plateforme et la faiblesse des revenus reversés aux artistes. Mais en reliant désormais la question à un enjeu politique et éthique majeur, Deerhoof donne une dimension nouvelle à ce boycott : écouter de la musique peut, sans le vouloir, financer des technologies meurtrières.
Le geste du groupe attire aussi l’attention sur le phénomène du « greenwashing culturel », ou « artwashing », cette stratégie par laquelle de grandes entreprises s’offrent une image progressiste et créative en soutenant des projets artistiques tout en investissant dans des secteurs controversés comme l’armement ou les énergies fossiles. En rejoignant ainsi les traces laissées par des figures contestataires comme Bob Dylan, Joan Baez ou les Beatles, Deerhoof rappelle que la musique peut être une arme de conscience, un appel à refuser que la culture serve de paravent aux dérives d’un monde où l’art et la technologie se retrouvent parfois complices du pire.
M. S.