La Corée du Nord garde un silence assourdissant depuis l’annonce d’un sommet historique entre Donald Trump et Kim Jong Un, une stratégie qui vise probablement à se garder une marge de manoeuvre, affirment des experts.
Le président américain a accepté la semaine dernière de rencontrer le leader nord-coréen d’ici à la fin mai pour discuter de la dénucléarisation, un sujet que Pyongyang accepterait d’aborder contre des garanties sur sa sécurité. Malgré le caractère spectaculaire de l’annonce, sa forme a été peu orthodoxe, puisqu’elle a été faite sur la pelouse de la Maison blanche par un émissaire sud-coréen, sans aucun responsable américain. Washington a ensuite très vite confirmé. Mais plus de 72 heures après, Pyongyang ne l’a toujours pas fait, et ses médias officiels n’ont rien publié à ce sujet. «C’était une déclaration unilatérale de Trump», estime Koh Yu-hwan, professeur à l’Université Dongguk. «Kim Jong Un a juste envoyé un message oral» par l’intermédiaire de Séoul. «Pour la Corée du Nord, cela ne vaut pas acceptation officielle», a-t-il dit à l’AFP. «Rien n’est sûr pour l’instant. Pour eux, une annonce officielle doit se fonder sur un accord intergouvernemental qui inclut la date et le lieu.» C’est la même chose concernant le sommet intercoréen que Séoul, et simplement Séoul, a annoncé pour la fin avril, a-t-il poursuivi. En outre, Pyongyang ne veut certainement pas donner à Séoul le crédit d’avoir obtenu l’accord de Washington, ajoute-t-il, et se gardera probablement de toute annonce avant d’avoir noué ses propres contacts avec les Américains.
«Comme croire à la magie»
Cette attitude contraste fortement avec la communication de M. Trump qui s’est félicité d’être celui qui aurait amené les Nord-Coréens aux négociations, se disant confiant sur le fait que ces derniers voulaient aller vers la paix. Reste que pour les experts, en gardant le silence, le Nord garde aussi toute latitude quant à la suite des opérations. «Elle n’a pas les mains liées et n’a pris aucun engagement», observe Van Jackson, spécialiste des questions de défense l’Université Victoria de Wellington. «Il faut être très méfiant quand à ce qu’on nous dit en privé, que ce soit par le Nord ou le Sud.» D’autant que ce rebondissement, s’il s’inscrit dans une remarquable détente apparue sur la péninsule dans le contexte des jeux Olympiques, intervient après deux années de tensions très fortes en raison des programmes nucléaire et balistique du Nord, mais aussi des échanges d’insultes et de menaces entre MM. Trump et Kim. S’il a lieu, le sommet sera le premier de l’histoire entre les dirigeants des deux pays ennemis qui devront faire abstraction de décennies de méfiance mutuelle. Le sommet n’ayant pas été confirmé, sa date et, plus encore, son lieu sont très hypothétiques. Les experts s’accordent cependant sur le fait que, compte tenu de la personnalité imprévisible et de l’inexpérience du président américain, cette rencontre est particulièrement risquée. D’autant que si elle a lieu, elle se tiendra sans que n’aient eu lieu auparavant les mois de travaux préparatoires. Certains médias rapportent que M. Trump aurait accepté l’idée d’un sommet sans sonder ses principaux conseillers. «La diplomatie sans plan, sans processus préparatoire, sans expertise technique, ce n’est pas de la diplomatie», explique Van Jackson. «Croire en la diplomatie dans ces conditions, c’est comme croire en la magie.» Pour les experts, M. Trump donne en fait gratuitement au leader nord-coréen ce dont il rêve: s’afficher au côté d’un président américain, être traité d’égal à égal.
«L’administration américaine va devoir se retourner très vite», ont estimé dans le magazine Politico Joel Wit et Susan DiMaggio, deux experts américains qui ont été impliqués par le passé dans des discussions informelles avec les Nord-Coréens. «Sachant comme ils opèrent, les Nord-Coréens ont probablement planifié leur stratégie de façon très méticuleuse, avec des Plans A, B, C et D», avancent-ils. De leur point de vue, le président américain devra désormais se garder de toute sortie intempestive. Pour d’autres experts, le silence de Pyongyang pourrait aussi indiquer que les Nord-Coréens ont été pris de court par la vitesse avec laquelle le président américain a accepté un sommet.