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Slim : 56 ans de dessin depuis Boumediène au Hirak béni (2e partie et fin)

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Les bandes dessinées de Slim sont des condensés de l’histoire du pays. On sent l’évolution politique, économique et sociale du bled dans les seuls titres des albums : comment ne pas comprendre qu’il y a un air de liberté en même temps qu’un peu de désillusion dans La Boîte à chique et Il était une fois rien ?

Par Ali El Hadj Tahar

Dans les années 1980, les pénuries étaient dures mais le peuple n’en faisait pas un drame et la jeunesse riait de tout, avec des blagues à se rouler par terre sur le président Chadli, sur les queues pour acheter des haricots en vente concomitante contre un marteau ou une pioche… Les difficultés matérielles de la société, qui avançait cependant, permettaient à l’artiste d’avoir sa matière première, d’en rire afin de dégoupiller la bombe de la colère. L’art était un exutoire, une soupape de sécurité et Slim savait jouer son rôle d’agent… hilarant. Une ère politique, sociologique, économique de l’Algérie se profile derrière chaque titre d’album, et tous réunis résument l’aventure du pays depuis l’époque de Boumediène, la belle époque si l’on croit les yeux brillants de la jeunesse d’alors, les images de femmes sortant seules le soir bardées de bijoux pour aller à un mariage, les enfants qui rigolaient de plein cœur… L’espoir était à chaque coin de rue… Mais beaucoup de ces promesses ont été trahies, et c’est pour cela qu’ultérieurement on va retrouver plein de Belkhadem, d’Ouyahia et de Bouteflika dans les dessins de l’artiste… « Il était une fois un président imaginaire porté au pouvoir en 1999 dans un pays imaginaire. Tout semblait bien marcher dans ce pays : les gens étaient obligés d’être heureux. Tout ce qu’on leur promettait était imaginaire… » C’est ce qu’il assène, et bien d’autres piques, dans l’album Tout va bian qui sortait dans le Soir d’Algérie, alors dirigé par Fouad Boughalem.

Dérision et autodérision, jamais auto flagellation
«On aurait pu exploiter mes personnages dans l’enseignement national», dit amèrement Slim, avant d’accepter, avec flegme, que « malheureusement, je suis dans un pays où certaines choses ne fonctionnent pas.» Mais nul n’est prophète en son pays, surtout en Algérie où beaucoup de créateurs et de génies se sont retrouvés sur la marge. Cependant, là où Slim a vraiment été blessé, c’est lorsqu’un PDG de l’ONDA, la éconduit vers 2016 –le directeur se reconnaitra – en refusant de financer la publication d’un de ses albums, alors que l’argent été dilapidé à coup de milliards par le ministère de la culture.
« Il m’arrive des fois de me relire, et je ris de bon cœur », dit Slim. Heureusement, d’autant que l’humour ne s’use que si l’on ne s’en sert. Slim, comme tous les bédéistes, se base parfois sur ce qui a l’air trivial. En réalité, ce qui semble relever du premier degré est d’une grande profondeur dans la mesure où il donne l’essentiel d’une culture et d’une société, par l’esquisse de quelques traits originaux ou de caractères introuvables chez d’autres communautés. Slim a ce génie du grand écrivain ou du grand cinéaste qui sait résumer un peuple, une nation à travers des détails que certains considéraient comme superflus. C’est pour cela qu’il a profondément marqué la société algérienne avec tous ses personnages, pas uniquement Bouzid et Zina. Des personnages qui sont un peu nous, qui ont quelque chose de nous, pas seulement des paysans et des ruraux même si, en réalité, nous sommes tous issus d’une société profondément ancrée dans le terroir, autant que Zina et Bouzid.
Chez Slim, l’humour est fait de dérision et d’autodérision sans jamais être auto flagellation, car l’artiste n’est ni sado ni maso mais adorateur de rire et de plaisirs, et peu importe la dose pourvu que cela ne dépasse pas le prix prescrit. Comme pour monsieur tout le monde, car le créateur de Bouzid est un Bouzid lui aussi : il ne puise pas dans le coffre du contribuable mais dans sa sueur pour mettre juste un peu de beurre sur ses épinards. Et du nif, il en a, Slim, tout comme Bouzid et comme 99% de ses concitoyens excepté ceux qui n’en ont pas. Son nif est de ne jamais stagner pour mériter son salaire ou sa pige. C’est d’ailleurs pour cela qu’il a dû apprendre les techniques du traitement de l’image informatique et s’adapter à l’ère de l’Internet. Slim, c’est l’image nue, sans commentaire ou commentée, ou tout simplement le commentaire sans image, comme il en fait souvent ces dix vingt dernières années. Car l’artiste est un chroniqueur accompli qui sait résumer une situation en quelques phrases, y mettant ses jeux de mots, ses calembours, ses dynamites hilarantes… En politique, ses bombes souterraines font mal mais nul n’a osé le trainer devant un tribunal, ni Ouyahia, qui en a pris pour son grade, ni Belkhadem, cette tête de fréro qui se prêtait bien à la fessée graphique. En vérité, il a parfois dépassé les limites, Slim, mais les rédacteurs en chef l’ont sauvé, « censuré », dit-il.
Entre la Bataille d’Alger et La pagaille d’Alger y a pas photo. Parfois on explose de rire, d’autres, c’est le sourire ou encore un rire jaune. Et c’est rare où l’on dit : « Non, là Slim a dépassé les bornes, il n’aurait pas dû ! » C’est l’humour sans limites mais qui ne transgresse guère les bornes de la bienséance, de la logique. Et aussi caustique a-t-il pu être, jamais la loi ne lui a fait un reproche, car il appartient à la vieille école des journalistes et dessinateurs qui connaissent les règles du jeu et savent ce que media veut dire. « Pour la première fois la main de l’étranger photographiée en gros plan ». Et des complots contre des complots ourdis combien en a-t-il ourdi ? Il assène : « L’Algérie va droit dans le mur. Il faut retirer le permis à celui qui conduit l’Algérie ». Celui qui voulait briguer un 5e mandat en a pris, des salves et des rafales ! Ayant fait un peu le tour de la vie et de l’œuvre de Merabtène, on doit ajouter que Slim rime avec Siné, le dessinateur français, ami indéfectible de l’Algérie et des Palestiniens, et premier dessinateur de Révolution africaine. Ce qui nous ramène à l’Algérie des années 1960-70, cette période pétillante de vie et de dynamisme qui a lancé des artistes à la fois exigeants et pleins d’humilité. L’art était alors considéré comme un vecteur d’émancipation de la société. Et la première société nationale, Sonatrach, donnait une grande importance à l’art puisque dans son département design, il y avait de grands artistes comme Siné, Michel Waxman et Roberto Hamm, un grand designer argentin qui avait créé la typographie officielle de Sonatrach. En 1975, Hamm écrira un livre intitulé Pour une calligraphie arabe, aux éditions Sindbad. « Tous ces grands graphistes et designers ont été réunis par Sid Ahmed Ghozali qui a été un grand manager de Sonatrach », me dit Slim. Ces grands artistes étrangers ont fait leurs premiers pas en Algérie, et Slim appartient aussi à la génération qui a accueilli les grands chanteurs, musiciens, écrivains et combattants internationaux qui ont fait d’Alger la Mecque des révolutionnaires et des artistes engagés. On se désole aujourd’hui que notre capitale et notre pays ne fassent plus rêver, pas même leurs enfants.
A.E.T.

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