À 76 ans, il enfourche encore son cheval fou: Neil Young signe un album séduisant, entre intime et engagement, enregistré avec ses musiciens du Crazy Horse dans une grange des Rocheuses du Colorado.
La légende vivante est en forme, alternant sur « Barn » (« Grange ») harmonica mélancolique (« Song of the seasons » ou « They might be lost ») et guitare écorchée (« Heading West » ou « Canerican »). « C’est une bonne surprise, on n’attendait pas un disque aussi bon, le dernier, +Colorado+ (2019), était une déception et on craignait la redite », dissèque pour l’AFP Olivier Nuc. Ce journaliste (et guitariste) a récemment animé un concert-échange autour de Neil Young au Johnny’s Bar de Bercy (Accor Arena, à Paris). « Le confinement l’a aidé, il a eu plus de temps; dans les derniers albums, les premiers jets étaient enregistrés, là il a revu sa copie et n’a enregistré que le meilleur », poursuit ce fin connaisseur du « Loner », un des surnoms de l’artiste. Sur le papier, le projet pouvait paraître bancal. Neil Young a en effet convoqué ses complices du Crazy Horse (Nils Lofgren, Billy Talbot, Ralph Molina, tous septuagénaires) dans une grange des années 1870 retapée en studio d’enregistrement, pour des sessions en période de pleine lune…
« Dégâts causés à la Terre »
Mais le résultat, entre ballades acoustiques et décharges électriques, s’avère touchant. Dans « Heading West », Neil Young évoque le divorce de ses parents quand il était gamin. Et à l’autre bout du spectre de sa vie, il s’interroge sur ce qu’il laisse aux générations futures dans une planète en danger (« Human race »). « En 76 ans, j’ai vu une quantité énorme de dégâts causés à la Terre. À l’époque (pendant sa jeunesse), nous ne savions pas ce que nous faisions, mais maintenant nous savons. Et pourtant, on a du mal à se rassembler pour s’en occuper », confie le chanteur sur la radio France Inter, rare interview hors du continent américain. Neil Young estime que « le pouvoir d’une chanson est à la mesure de celui qui l’écoute. Si quelqu’un est ouvert au changement, une chanson peut l’emmener à reconsidérer ses actes ». Comme sur son disque, le compositeur s’est livré sur France Inter sur le temps qui passe. « Je vieillis, ma voix a changé. Mais j’espère avoir encore beaucoup de temps, il me reste tant à faire ». Et de revenir avec humour sur son style de guitare abrasif qui a inspiré la scène grunge des années 1990. « La polio (dont il a été victime enfant) a fait d’une moitié de mon corps l’ombre de l’autre moitié. Cela a eu une incidence sur mon jeu de guitare: la plupart de mes expressions sortent de ma main droite, la gauche est plus lente. Je ne peux pas jouer comme Eddie Van Halen ! »
Biden et sa « vue d’ensemble »
Un ton goguenard qu’on retrouve sur « Canerican », jeu de mots sur sa double citoyenneté américano-canadienne. Mais derrière l’ironie pointe une implication politique. Né au Canada, il dispose maintenant du droit de vote aux USA et a choisi Joe Biden. Neil Young dit d’ailleurs apprécier l’action du président des USA et sa « vue d’ensemble » dans un entretien accordé à Apple Music. Neil Young fera encore parler de lui à l’avenir. D’abord parce que 2022 marquera les 50 ans d’un chef-d’oeuvre de son répertoire, « Harvest ». Et l’homme aux rouflaquettes est toujours aussi actif, comme le prouve sa chaîne youtube ou les morceaux en live filmés durant les premiers confinements par sa compagne Daryl Hannah (actrice-star des années 1980, vue dans « Splash », « Blade Runner », etc). Sans oublier ses archives pharaoniques exploitées avec son fils Zeke, dont il tire régulièrement des pépites comme « Homegrown » (album enregistré au milieu des années 1970, laissé dans un carton jusqu’à son repêchage en 2020). « Tout ça ne se télescope pas, il n’est pas imprégné du passé », conclut Olivier Nuc. Un disque annonçait le programme en 1979, « Rust never sleeps » (« La rouille ne dort pas »).