Après quinze ans d’une carrière dans l’ombre, l’acteur afro-américain, révélé par son rôle de lobbyiste dans la série House of Cards, est en lice pour l’oscar du meilleur acteur dans un second rôle dans Moonlight.
Et si c’était le film de sa vie? Le succès de Moonlight, de Barry Jenkins, a propulsé Mahershala Ali dans la lumière. L’acteur afro-américain de 43 ans est nominé aux Oscars dans la catégorie du meilleur acteur pour un second rôle, en concurrence avec Dev Patel pour Lion ou Michael Shannon pour Nocturnal Animals. Après quinze ans de carrière plutôt discrète, le comédien, révélé par la série House of Cards – il y incarne le charismatique lobbyiste Remy Danton – attendait son heure de gloire. Elle ne semble plus très loin. D’autant qu’après avoir été nominé aux Emmy Awards en 2016, Mahershala Ali a d’ailleurs été récompensé fin janvier comme meilleur acteur dans un second rôle lors des derniers SAG Awards.
Dans le drame Moonlight, six nominations aux Oscars, le comédien joue Juan, un dealer cubain qui prend le jeune Chiron – aussi appelé «Little» – sous son aile. Celui-ci est pris pour cible dans son quartier pauvre de Miami parce qu’il est homosexuel. «J’ai pleuré en lisant le script», a raconté à Indiewire Mahershala Ali.
Un film qui fait écho à sa vie
L’émotion que Mahershala Ali a ressentie en découvrant le film n’est pas anodine, car il retranscrit un scénario que l’acteur connaît bien. «Quand j’ai lu Moonlight, j’ai été bouche-bée en reconnaissant des personnages de ma propre vie, des gens que je reconnaissais dans les pages», dévoile-t-il à Fresh Air.
Issu d’une famille modeste de la banlieue très blanche d’Oakland (Californie), le jeune Ali se sent parfois exclu. Selon lui, peu de gens le comprennent, d’autant plus après le divorce de ses parents trois ans après sa naissance. Son enfance entre un père vivant à l’autre bout du pays (New York), une mère avec qui il parle peu et dont les amis se droguent, fait qu’il se renferme sur lui-même, comme le jeune Chiron de Moonlight. À l’image de Juan, c’est son beau-père, un homme strict et imposant, qui le remet dans le droit chemin. Solitaire et introverti dans sa jeunesse, Mahershala Ali est parfois perdu quant à l’équilibre à adopter entre agressivité et introversion. «Le défi pour moi était d’avoir le courage d’être agressif quand il fallait l’être», confiait-il ainsi à Hollywwod Reporter.
L’acteur, qui a étudié à la NYU Tisch School of the Arts, où il a rencontré sa femme Amatus Sami-Karim, a par ailleurs toujours souhaité affirmer son identité noire. Jouer des personnages de second plan et servir de «caution diversité» selon ses termes, très peu pour lui. Son premier rôle dans la série Crossing Jordan l’a d’ailleurs conforté dans la sensation d’invisibilité qu’il ressentait jusque-là au cinéma. «J’ai grandi sans jamais me voir à l’écran. J’ai grandi en nous voyant (les Noirs) seulement jouer l’ami, les seconds couteaux dans l’intrigue, ou dans l’histoire d’un autre», confie-t-il à The Independant.
Un militant discret
Mahershala Ali n’est pas du genre à se militer devant les caméras. Fin janvier, il a pourtant livré un message engagé lors de sa victoire aux SAG Awards. L’acteur a suivi le pas d’une cérémonie déjà très marquée par les dénonciations politiques, notamment à propos du «muslim ban» de Donald Trump. En faisant référence à la réaction de sa mère catholique après sa conversion à l’islam il y 17 ans, le message de tolérance de l’acteur s’est fait entendre. «Quand on est pris au piège dans les détails qui nous rendent tous différents, il y a deux façons de percevoir la situation. Soit on décide de voir ce qu’il y a d’unique chez une personne, soit on se bat contre cette différence», a-t-il lancé. Le souhait de l’acteur est aussi d’aller à contre-courant des préjugés récurrents de la société. Ce dernier n’a pas peur d’assumer sa sensibilité notamment à travers Moonlight, pour contrer l’idéal stéréotypé de l’homme viril et insensible encore ancré dans les esprits.
Dans un climat politique tendu, son discours sur la tolérance trouve un écho du côté de l’industrie du cinéma. Depuis un an, les critiques pleuvent sur l’académie des Oscars, jugée trop, voire exclusivement, blanche avec notamment l’hashtag #oscarlesswhite. Un manque de diversité qui fait tâche, puisque c’est la première fois depuis 2007 qu’autant d’acteurs issus des minorités, six Afro-américains au total, sont en lice pour décrocher la récompense suprême. Si aujourd’hui quelques films et séries commencent à représenter les communautés LGBT, latino ou afro-américaines comme la série Sense 8 de Netflix, l’évolution des mentalités de l’industrie d’Hollywood reste lente et laborieuse.