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Mammeri ou la lutte contre l’instrumentation de la mémoire

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Par Ali El Hadj Tahar

Mouloud Mammeri est d’abord l’un des pionniers de la littérature, de la nouvelle et du théâtre algériens, avec des œuvres fortes qui ont marqué des générations d’Algériens. Impliqué dans la vie de sa société et de sa culture, il était aussi chercheur, linguiste et surtout le fondateur de l’anthropologie algérienne.
Faisant partie des pionniers de la littérature algérienne, Mammeri a laissé une œuvre qui s’inscrit dans une tradition marquée par une rupture avec le classicisme français à la fois par son style et sa thématique. Tout comme celle de Feraoun, Dib et Yacine, cette œuvre impose une vision personnelle marquée par la réalité caractérisée par la misère du peuple et les injustices coloniales sans tomber dans le drame, et s’imprègne de culture sans tomber dans le folklorisme.
Mammeri a non seulement été à la tête du Centre de recherche anthropologique, préhistorique et ethnographique d’Alger (ex CRAPE), ses travaux sur Timimoun et sur les Touareg sont fondateurs de l’anthropologie algérienne, notamment ses écrits sur le Gourara (pratiques agricoles, poésie, rituels fêtes). Il a aussi recueilli des « Poèmes kabyles anciens », les « isefra » de Si Moh Ou M’hand ainsi que des contes berbères anciens, suivant ainsi la voie de Mouloud Feraoun qui, le premier, s’est intéressé à la culture de son peuple. Importante aussi est sa contribution à l’étude des langues berbères, notamment dans les domaines de la grammaire et de la lexicologie puisqu’on lui doit un dictionnaire des différents idiomes berbères. D’autres auteurs et artistes ont le mérite d’avoir contribué à la mise en valeur des cultures nationales, mais Mammeri a travaillé dans le champ universitaire, rapprochant ainsi la science de locuteurs et des catégories concernées d’autant que c’est lui qui a servi de détonateur, malgré lui certes, du printemps berbère puisque c’est l’annulation de sa conférence sur la poésie kabyle qui a donné du tonus à la revendication identitaire. Cependant, on ignore s’il serait d’accord aujourd’hui sur l’utilisation du terme amazigh, lui l’expert pour qui chaque concept est clairement défini, et s’il serait aussi d’accord avec l’usage d’un emblème distinctif d’une culture, lui le chantre de la diversité mais aussi le défenseur de l’unité de la nation.
Aujourd’hui, la langue berbère est reconnue comme langue nationale et officielle, bien que les chercheurs n’arrivent pas à définir la méthodologie de son enseignement, comme l’explique Abderrezak Dourari, le directeur du Centre national pédagogique et linguistique pour l’enseignement de Tamazight. Plusieurs chercheurs remettent en question la standardisation du berbère afin de préserver la diversité des berbères anciens et locaux, montrant que les initiatives de Mammeri doivent être développées.
De Mammeri, les Algériens connaissent surtout le film qui a immortalisé L’Opium et le bâton (1965). Nul ne sait combien de jeunes et moins jeunes d’aujourd’hui ont vu ce film ou lu un de ses romans, et cela nous interpelle sur nos problèmes de prise en charge de notre culture passée et contemporaine puisque les publications entamées par Mammeri sont abandonnées, notamment le Bulletin d’anthropologie ou la revue Lybica, alors que les fouilles archéologiques sont presque inexistantes.
En outre, ce chercheur s’est penché sur notre patrimoine immatériel à l’ère où la culture ancienne disparaissait à vu d’œil, où la tradition était laminée par la modernité, la folklorisation ou la politisation. Or, nos musées n’acquièrent aucune œuvre, aucun artefact, aucun produit de notre vaste patrimoine, et aucun musée ne se crée en dehors de ceux laissés par la colonisation. Aujourd’hui l’instrumentalisation politicienne bat son plein alors que tout en agissant pour la popularisation du savoir ancien, Mammeri se méfiait de la récupération de la culture nationale par quelque individu ou groupe que ce soit.
A. E. T.

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