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Le Pr AREZKI CHENANE DÉCRYPTE, POUR LE COURRIER D’ALGÉRIE, L’ACTUALITÉ ÉCONOMIQUE : « Les instances chargées de l’exportation  et de l’importation permettront de faciliter les opérations du commerce international »

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Professeur en sciences économiques, ex-doyen de la Faculté des sciences économiques, commerciales et des sciences de gestion à l’université Mouloud Mammeri de Tizi Ouzou, Arezki Chenane a bien voulu répondre à nos questions sur des sujets économiques d’actualité. Dans l’entretien qui suit, notre interlocuteur décrypte des décisions, interprète des chiffres, apporte des éclairages, formule des critiques académiques et émet des suggestions sur un bon nombre de questions, nationales surtout, mais aussi internationales. Écoutons-le … 

Le Courrier d’Algérie : Le président de la République a réuni, le 13 avril dernier, à Alger, les opérateurs économiques du pays. Si vous aviez à la décrypter, que pensez-vous de cette initiative et quelles étaient les attentes des opérateurs ?

Pr Arezki Chenane : La rencontre du président de la République avec les opérateurs économiques et les organisations patronales dans sa 2ème édition tenue le 13 avril dernier est une initiative louable qui peut être analysée sous plusieurs angles.  Cette rencontre montre une volonté des pouvoirs publics de consulter les acteurs économiques en adoptant une approche inclusive face aux défis économiques du pays (chômage, diversification, inflation, etc.)  Cette rencontre est intervenue dans un contexte de réformes économiques engagées depuis 2021 (nouvelle loi sur les investissements, lutte contre la bureaucratie, transparence et numérisation). Ces réformes visent à rassurer les entreprises et les investisseurs potentiels sur la stabilité du climat des affaires et l’amélioration des conditions d’octroi du foncier économique. 

Ce qui attire notre attention, ce sont les mesures prises notamment la création de deux instances dont l’une est chargée des exportations et l’autre de l’encadrement des importations et ce, en remplacement de l’ALGEX. Cette décision permettra de faciliter aux opérateurs économiques la réalisation, dans un contexte, de transparence et surtout de facilitation bureaucratique, leurs opérations du commerce international. De même, il est montré du doigt, lors de cette rencontre, le volet financement des projets d’investissement du secteur privé. Ces derniers doivent trouver des financements en dehors du secteur bancaire public en développant le réseau des banques privées.  

En tout état de cause, les attentes des opérateurs économiques tournent autour du renouveau économique, de la confiance institutionnelle et d’un environnement favorable à l’innovation pour aller vers la densification des exportations hors hydrocarbures. 

Objectif stratégique, l’Algérie vise l’autosuffisance alimentaire. Pour ce faire, l’État a mis le paquet dans les secteurs agricole et agroalimentaire. Des investissements étrangers lourds sont venus en renfort. Des projets intégrés, comme celui de Bonifiche Ferraresi, la société spécialisée dans la production des céréales, des légumes secs et des pâtes alimentaires, et celui de ‘’Baladna’’ qui produira la poudre de lait à Adrar, sont sur les rails. Sommes – nous sur la bonne voie pour satisfaire cette ambition ? Si non, que suggérez-vous pour relever le défi de la sécurité alimentaire ?

Aujourd’hui plus que jamais, le monde s’achemine vers de nouveaux défis multidimensionnels imposant ainsi aux pays de se doter d’une économie disposant d’une batterie d’instruments visant à identifier de nouveaux leviers de la croissance économique. 

C’est dans ce contexte précis que l’Algérie s’inscrit à l’effet, d’une part, de répondre aux besoins, sans cesse croissants de la population, et d’autre part, d’aller vers la diversification économique. Cette dernière devient une réalité tangible. S’agissant, maintenant, du choix de l’agriculture et de l’agroalimentaire comme secteur stratégique inscrit dans le cadre des priorités de développement national, je suis persuadé que l’Algérie a fait un choix judicieux en s’engageant dans cette voie. Ceci à l’effet d’atteindre la sécurité et la souveraineté alimentaires, quand on sait que le secteur de l’agroalimentaire contribue à hauteur de 40% au PIB algérien et plus de 10% du PIB est issu du secteur agricole. C’est ainsi que nous pouvons dire que notre pays reste dépendant des importations des céréalicultures (blé dur et blé tendre, orge et maïs), mais grâce au développement de l’agriculture saharienne en mettant en exploitation des surfaces irriguées, nous pouvons largement atteindre les défis attendus et les objectifs non seulement de l’autosuffisance alimentaire mais aller vers l’exportation. 

À ce juste titre, le projet de Bonifiche Ferraresi qui s’inscrit dans le cadre de la coopération algéro-italienne, semble fortement stratégique en raison du degré d’intégration de ce projet qui est même relié à l’industrie agroalimentaire. Ce projet, faut-il rappeler, en phase de concrétisation d’un coût estimé à 420 millions de dollars, est destiné à la production des céréales (blé, haricots, pois chiche et lentilles) et des unités de transformation pour la production des pâtes alimentaires. Ce projet est implanté au niveau de la wilaya de Timimoun sur une superficie de 36 000 hectares. 

Ce qui pourrait contribuer à augmenter la production nationale et aussi aller vers les exportations hors hydrocarbures avec la création de plus de 6000 emplois.  Ceci est valable pour le projet de ‘’Bladana’’ qui sera en exploitation à partir de 2026. Il produira la poudre de lait, les aliments de bétail et les viandes bovines en répondant ainsi aux besoins nationaux. Cette option stratégique rentre dans le cadre non seulement de la réduction de la facture d’importation (on importe plus de 200 000 tonnes de poudre de lait) avec une valeur dépassant 600 millions d’euros, mais il permettra aussi de couvrir les besoins locaux non satisfaits jusque-là par la production laitière nationale.

En somme ces deux projets évoqués s’inscrivent en droite ligne de l’autosuffisance alimentaire en Algérie, permettant ainsi une compétitivité même à l’international du fait du positionnement stratégique de ces projets et de leur implantation au Sahara algérien à proximité de la transsaharienne. Ce qui induirait des économies d’échelle issues de la logistique internationale en termes de commercialisation (exportation) mais d’approvisionnement en matières et matériels nécessaires en se lançant dans des marchés potentiels africains.

La nouvelle loi sur l’investissement vise à améliorer le climat des affaires et, partant, drainer des IDE. Selon les derniers chiffres communiqués, l’AAPI a enregistré près de 14.000 projets. Selon vous, ce volume traduit-il les attentes en matière d’investissement ? 

La loi n°22-18 sur l’investissement en Algérie a effectivement pour objectif d’améliorer le climat des affaires et d’attirer davantage des Investissements directs étrangers (IDE), puisque cette loi ne fait pas de distinction entre l’investisseur national résident et celui qui n’est pas résident. L’enregistrement de près de 14 000 projets par l’Agence algérienne de promotion des investissements (AAPI) est un chiffre significatif, mais son analyse nécessite une approche nuancée pour déterminer s’il répond aux attentes. Ceci pourrait être analysé d’abord en termes d’impacts socio-économiques, mais aussi en tenant compte des spécificités des territoires en matière des besoins. Il va falloir tenir compte des attentes des territoires dans le cadre du schéma national d’aménagement du territoire (SNAT) pour un équilibre régional et un développement socio-économique harmonieux.

S’ajoute à cela, si une grande partie des projets concerne des secteurs à faible valeur ajoutée (commerce, services), l’impact sur la diversification économique sera limité. 

 En revanche, si les projets touchent l’industrie, les énergies renouvelables ou les nouvelles technologies, cela pourrait traduire une amélioration structurelle. Les quelque 14 000 projets enregistrés reflètent un début encourageant, mais ne suffisent pas à eux seuls à juger de l’efficacité de la nouvelle loi. Pour que cela réponde aux attentes, il faudrait, d’abord, augmenter le taux de réalisation des projets en levant toutes les contraintes que rencontrent les opérateurs économiques en matière d’attribution du foncier économique et assouplir davantage les procédures administratives et bureaucratiques. De même, il y a nécessité d’orienter les investissements vers des secteurs productifs (industrie, agroalimentaire et numérique).  

Les hautes autorités du pays ont adopté une nouvelle vision économique basée sur la diversification de la production. Aujourd’hui, les produits locaux sont mieux valorisés. Qu’en est-il de l’exportation, faut-il une stratégie spécifique ? 

L’adoption d’une nouvelle vision économique axée sur la diversification de la production et la valorisation des produits locaux est une excellente initiative pour renforcer la résilience et la croissance durable du pays. Cependant, pour maximiser l’impact de cette politique, une stratégie spécifique à l’exportation est effectivement nécessaire. C’est ainsi qu’il est plus que nécessaire de développer une stratégie d’exportation adaptée qui doit tenir compte de la compétitivité internationale. Ceci s’explique par le fait que les marchés étrangers sont exigeants en termes de qualité, du prix et de la conformité aux normes. Une stratégie ciblée permet de positionner les produits locaux face à la concurrence. À défaut, la surproduction locale pourrait entrainer une baisse des prix et des revenus pour les producteurs locaux. Cette situation est visible notamment pour les produits agricoles et plus précisément dans la filière agrumiculture. En outre, il est indispensable dans cette nouvelle stratégie d’intégrer l’axe relatif aux produits locaux à fort potentiel en ciblant ceux qui sont compétitifs et répondent à une demande internationale tel que les produits bio.

Enfin, il y a lieu d’améliorer la qualité et les normes en renforçant les standards sanitaires, environnementaux et de packaging pour répondre aux exigences des importateurs. Ces axes stratégiques ne peuvent être atteints si nous n’agissons pas sur la logistique pouvant réduire les coûts et ce, par le développement des infrastructures portuaires aéroportuaires.

Si vous permettez, nous interrogeons maintenant le spécialiste, que vous êtes, des questions relatives au développement durable. Vous avez animé, le 8 avril dernier, dans le cadre du salon Djazagro à la Safex, une communication sur le secteur de l’emballage en Algérie. En quoi consiste votre intervention ? Et comment évaluez-vous ce marché ?  

Effectivement, l’édition de Djazagro 2025 s’est centrée sur la place qu’occupent l’emballage et le packaging dans le processus de stockage et de commercialisation des produits.  C’est ainsi que j’ai eu l’opportunité de développer une communication intitulée : « le secteur de l’emballage en Algérie : nouvelles solutions technologiques, innovantes et durables ». Je dois souligner que l’objectif de mon intervention étant de montrer, tout d’abord, les fonctionnalités traditionnelles que revêt l’emballage dans la logistique nationale et internationale tenant compte des exigences de qualité, de conditionnement, de stockage et de commercialisation des produits. C’est dans ce contexte, et s’appuyant sur des études réalisées, que nous trouvons souvent le coût de l’emballage occuper environ 40% du coût du produit lui-même. Nous proposons, de ce fait, des solutions innovantes en orientant cette étape vers l’intégration des matériaux biodégradables protégeant ainsi l’environnement, la réduction des coûts en s’inscrivant ainsi dans la durabilité. Ce qui permettrait de lutter contre la pollution issue des emballages en plastique à usage unique. De même, nous avons fait un éclairage sur l’expérience algérienne en matière de gestion et de valorisation des déchets des emballages à travers le système Eco Jem. Ce dernier est mis en place depuis 2004, nécessitant une adaptation au contexte actuel permettant ainsi d’aller vers le choix des solutions durables et innovantes dans le traitement et la valorisation de ces déchets. À ce titre, nous devons encourager l’entrepreneuriat vert dans le cadre de l’économie circulaire. 

Le président américain Donald Trump a imposé des droits de douane sur les importations concernant 185 pays. Quels impacts pourrait avoir une telle mesure sur l’économie mondiale en général et sur l’économie nationale en particulier ? 

L’imposition de droits de douane, par Donald Trump, sur les importations en provenance de 185 pays (comme lors de la guerre commerciale 2018-2020) aurait des conséquences majeures sur l’économie mondiale et des effets indirects sur l’Algérie, bien que celle-ci ne soit pas un partenaire commercial clé des États-Unis.  

Nous pourrions assister à la baisse du commerce international et une perturbation des échanges internationaux. En ce sens, les droits de douane rendent les produits importés plus chers, réduisant ainsi la demande et freinant la croissance mondiale (le FMI et l’OMC avaient déjà averti des risques en 2018-2019). De même, les pays ciblés (Chine, UE, etc.) pourraient riposter avec leurs propres tarifs douaniers, aggravant la guerre commerciale comme par exemple les taxes chinoises sur le soja américain en 2018. Par conséquent, les chaines de valeurs mondiales seraient perturbées où les entreprises multinationales de l’automobile, de l’électronique verraient leurs coûts augmenter, ce qui pourrait délocaliser certaines productions.  S’ajoute à cela, une hausse des prix et une inflation qui conduiraient inévitablement au ralentissement de la croissance économique mondiale. Nous assisterions à une guerre commerciale prolongée qui pourrait réduire le PIB mondial et l’effondrement des marchés financiers et de fortes fluctuations des monnaies.

Pour l’Algérie, à mon avis, étant donné qu’elle n’est pas un grand exportateur vers les États-Unis, ses ventes sont, surtout du pétrole et gaz, partiellement concernées. Cependant, les effets indirects seraient sensibles. Si la guerre commerciale ralentit l’économie mondiale, la demande en énergie chuterait, faisant baisser les cours du baril (l’Algérie reste encore dépendante des revenus pétroliers).  De ce fait, une guerre commerciale généralisée nuirait à l’économie mondiale, et l’Algérie en subirait les contrecoups principalement via la chute des prix du pétrole) et une inflation importée si le dollar devient trop volatile.  C’est ainsi que la solution pour l’Algérie serait d’accélérer la diversification économique qui est déjà en marche concrètement avec des résultats satisfaisants et de renforcer les échanges intra-africains pour réduire sa dépendance aux chocs externes.

Pour terminer, la Banque mondiale a, dans son rapport mis à jour pour le second semestre 2024, apprécié positivement les réformes économiques de l’Algérie qui, commente l’institution financière, commencent à « porter leurs fruits ». Elle cite la diversification de l’économie dont les exportations hors hydrocarbures ont triplé. Au-delà de cette note positive, la BM recommande comme suit : « l’adoption d’une tarification du carbone, la diversification des marchés d’exportation et le renforcement des chaînes de valeur dans des secteurs à fort potentiel, tels que les énergies renouvelables et les technologies de l’information. »  Nous voudrions vos éclairages sur ce rapport …

À la lecture du rapport de la Banque mondiale concernant l’Algérie pour le second semestre de l’année 2024, nous relevons des indicateurs évaluant positivement l’économie nationale. Il est incontestable, aujourd’hui, que l’Algérie s’est engagée dans un vaste chantier de réformes économiques et institutionnelles pouvant la hisser au niveau des pays émergents. Ceci est lié surtout à la loi révolutionnaire sur l’investissement. Cette dernière constitue la clé de la relance de l’investissement en voulant développer surtout les IDE. Ceci passe par la création des conditions propices pour l’investissement et un climat des affaires approprié. Ce qui a permis à l’Algérie de booster ses exportations hors hydrocarbures. Celles-ci ont triplé depuis 2017, atteignant 5,1 milliards de dollars en 2023, soit 2 % du PIB. 

C’est pourquoi, il faut continuer sur cette lancée tout en tentant de définir une stratégie d’exportation bien ciblée en définissant les secteurs stratégiques à fort potentiel de valeur ajoutée (agriculture, agroalimentaire et industrie). C’est ce que nous avons d’ailleurs développé précédemment (Question 3).

S’agissant de la décarbonation, il est vrai que l’Algérie se souscrit aux différents protocoles internationaux liés aux différentes conférences des parties (les COP) tenues jusque-là, mais il va falloir mettre en place les plans climat pour aller vers l’atténuation des impacts liés aux changements climatiques. Cependant, cette question doit être abordée dans le cadre des financements dédiés, à cet effet, par les pays fortement industrialisés et qui impactent de manière considérable le climat en générant une pollution et un réchauffement climatique avérés. Enfin, l’Algérie, plus que jamais, s’engage résolument dans les innovations majeures qu’imposent l’ère des TIC et de l’économie circulaire en bâtissant une économie intégrée qui pourrait s’arrimer aux chaines de valeurs mondiales.

F. G.

BIO-EXPRESS 

M. Chenane Arezki 

– Professeur des universités, titulaire d’un doctorat en sciences économiques portant sur les alliances stratégiques intercommunales et les reconfigurations territoriales dans l’optique du développement durable en Algérie.  – Pr Chenane a à son actif de nombreuses publications scientifiques nationales et internationales éditées dans des revues indexées. – Domaines de recherche : Développement territorial, économie de développement, économie circulaire, impact du changement climatique en Algérie et dynamiques économiques. – Encadrement pédagogique/ Pr Chenane a un capital expérience de près de 20 ans. Notamment, l’enseignement, l’encadrement et l’expertise dans les soutenances de doctorat au niveau national. Il est très impliqué dans la recherche-action, consultant-formateur auprès de l’INPED Boumerdès, du CNFE et consultant auprès de la GIZ -partenariat énergétique algéro-allemand. Administration/ Adjoint du chef de département, chef de département, vice-doyen en charge d’études et doyen de la Faculté des sciences économiques de l’Université Mouloud Mammeri de Tizi-Ouzou jusqu’à 2020. 

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