Le décret du nouveau président américain a été suspendu par un juge, il est aussi dénoncé par une partie de l’opinion et des entreprises.
Critiquée de toutes parts pour son décret anti-immigration, l’administration Trump a affirmé que la mesure relevait entièrement de « l’autorité du président » et dénoncé l’interprétation « très excessive » du juge fédéral qui en a bloqué l’application. La Maison-Blanche fait face à une double offensive judiciaire et politique contre ce décret controversé qui bloque l’entrée des ressortissants de sept pays (Iran, Irak, Libye, Somalie, Soudan, Syrie, Yémen) pour trois mois et gèle pendant quatre mois l’accueil de réfugiés. Ce « décret est un exercice légal de l’autorité du président sur l’entrée des étrangers aux États-Unis et l’admission des réfugiés », peut-on lire dans le document soumis, lundi soir par le ministère de la Justice à la cour d’appel fédérale de San Francisco.
Une nouvelle étape de cette bataille judiciaire doit se dérouler mardi à 15 heures locales (23 heures GMT) au cours d’une audience téléphonique des deux parties avec la Cour, qui doit statuer sur la décision de suspendre le décret sur tout le territoire américain prise vendredi par un juge de Seattle, James Robart. Donald Trump a promis lundi, des « programmes forts » de contrôles aux frontières pour empêcher la venue du « terrorisme islamique radical » aux États-Unis, au moment où la décision la plus emblématique de son début de mandat est également contestée dans la rue et attaquée par les plus grosses entreprises de la high-tech, un secteur reposant énormément sur des talents étrangers. Le blocage du décret a de fait rouvert les portes du pays aux étrangers visés par le texte. En visite au commandement militaire chargé du Moyen-Orient (Centcom), le président républicain a promis, lundi, de vaincre le « terrorisme islamique radical » et de ne pas le laisser « prendre racine dans notre pays ». Pour ce faire, « nous avons besoin de programmes forts pour que les gens qui aiment notre pays (…) soient autorisés à entrer, mais pas les gens qui veulent nous détruire », a expliqué Donald Trump.
130 entreprises dénoncent les « dommages »
Facebook, Google, Microsoft, Twitter et Apple ont déposé dans la nuit de dimanche à lundi, une requête en justice dénonçant les « dommages » causés par ce texte. Au total, près de 130 entreprises, basées en majorité dans la Silicon Valley, se sont jointes à la plainte contre ce décret signé le 27 janvier, dont celles du milliardaire Elon Musk. La lettre des entreprises (« amicus brief ») dénonce une rupture avec « les principes d’équité et de prédictibilité qui ont régi le système de l’immigration aux États-Unis depuis plus de cinquante ans », et les « dommages importants pour le commerce américain, l’innovation et la croissance » qui en découlent. Côté politique, plusieurs hauts responsables de l’administration démocrate sortante, dont l’ex-secrétaire d’État John Kerry et l’ex-directeur de la CIA et secrétaire à la Défense Leon Panetta, ont aussi demandé le maintien du blocage d’un décret « mal conçu, mal mis en œuvre et mal expliqué ».
Un malaise ressenti jusque dans le camp du président lui-même, d’autant qu’il s’est livré à une attaque en règle contre le juge James Robart, le qualifiant de « pseudo-juge » et l’accusant de sacrifier la sécurité du pays. Mitch McConnell, chef de file des républicains au Sénat, a tenté de temporiser dimanche, en expliquant que la justice faisait son travail et s’est démarqué du décret, craignant notamment que sa rédaction trop vague ne laisse la porte ouverte à « un test religieux ». « Nous voulons tous empêcher les terroristes de pénétrer aux États-Unis, mais nous ne voulons certainement pas que des alliés musulmans qui se sont battus à nos côtés ne puissent se rendre aux États-Unis », a-t-il souligné.
Opinion défavorable
L’opinion américaine est elle aussi défavorable au texte, et des milliers de manifestants ont défilé ce week-end dans des capitales du monde entier. Quelque 53 % des Américains contestent le décret limitant l’immigration (47 % l’approuvent), selon un sondage CNN, et 51 % s’y opposent (45 % l’approuvent), selon un sondage CBS. Selon le sondage CNN, une proportion identique d’Américains (53 %) ont une opinion négative de la présidence de Donald Trump, arrivé à la Maison-Blanche il y a seulement deux semaines. Mais le républicain estime que ces enquêtes d’opinion sondages sont fausses. « Tous les sondages négatifs sont de fausses informations, comme les sondages de CNN, ABC, NBC lors de l’élection », a-t-il tweeté lundi matin. « Désolé mais les gens veulent la sécurité aux frontières et des contrôles extrêmes. » Il a balayé d’un revers de la main cette impopularité historique et s’en est pris une nouvelle fois aux médias, allant jusqu’à les accuser de « ne pas couvrir » certains attentats. « Ils ont leurs raisons, et vous savez bien pourquoi », a-t-il mystérieusement ajouté.
La décision de justice a incité les citoyens visés par le texte controversé à tenter de venir sur le territoire américain le plus vite possible, embarquant en nombre sur des vols à destination des États-Unis. De nombreuses compagnies aériennes, dont Air France, acceptaient de nouveau les ressortissants des sept pays concernés. Quelque 60 000 visas ont également retrouvé leur validité, selon la diplomatie américaine. La Maison-Blanche entend toutefois vite refermer la brèche légale dans laquelle s’engouffrent de nombreux migrants et remporter le combat judiciaire, quitte à multiplier les appels ou à porter l’affaire devant la Cour suprême.