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Al Pacino : «je viens de la rue. Shakespeare m’a sauvé»

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L’acteur du «Parrain» et de «Scarface», qui n’ouvre jamais ses portes, nous a reçus chez lui à Los Angeles. La maison est pratiquement vide. D’énormes boîtes, remplies de jouets, trônent au milieu du salon. Sur un vieux canapé en cuir, un script ; un portant avec les costumes sombres et, par terre, des boots. Vêtu de noir comme à son habitude, tee-shirt, veste, pantalon de smoking mais mocassins moutarde, Al Pacino, à 70 ans passés, est toujours Al Pacino ! Une icône vivante, un vrai artiste. Et, pour beaucoup, le plus grand acteur de sa génération.

Lorsque Simon, votre personnage dans le film «The Humbling», revient chez lui après une longue absence, il retrouve une maison pleine de cartons qui ressemble étrangement à la vôtre…
[Il sourit.] Je vis dans ma tête. Partout où je suis, j’ai l’impression d’être de passage. J’ai loué cette maison un été, pour être avec mes deux plus jeunes enfants, les jumeaux Anton et Olivia, dont je partage la garde. Ça fait maintenant huit ans, mais je ne l’ai jamais aménagée car, chaque jour, je me dis que je vais repartir. Mes trois enfants sont ma raison de vivre. Mais chez moi, c’est New York, où j’ai des souvenirs à chaque coin de rue… Ici, c’est autre chose.

Un de vos amis dit de vous que vous êtes comme la fumée, ici sans être ici…
[Il rit.] Il y a même des jours où… j’ai l’impression de flotter dans l’espace.

Dans “The Humbling”, votre prestation est une fois de plus magistrale. Est-ce que c’est un film autobiographique ?
C’est une histoire qui parle de ce que je suis, de la difficulté de séparer, parfois, l’art de la vie. Un acteur qui se retrouve vidé, à court d’émotions, est un peu comme un écrivain bloqué devant sa page blanche. Je pense souvent, moi aussi, à mon âge et aux ravages du temps. Mais de là à en déduire que ce film est autobiographique ! Vous trouvez que j’ai l’air déprimé ? Fatigué, oui, mais pas déprimé.

Vous avez toujours le feu sacré ?
Oui. J’ai juste besoin qu’on stimule mon imagination. A la fin des années 1980, j’ai arrêté de tourner pendant quatre ans. Il a suffi d’un bon script, et tout est reparti. Quand je tombe sur du matériel que je n’ai pas encore exploré, je ne peux pas résister. Parfois, j’ai cette fantaisie de ne plus rien faire, je m’imagine dans mon patio sur un rocking-chair en train de lire un bon livre. Mais ça ne dure jamais très longtemps. Quand on joue, on peut tout contrôler, ce qui n’est pas le cas dans la vie.

Orson Welles disait qu’il y a trois sortes d’individus, “les hommes, les femmes et les acteurs”…
Etre acteur, c’est une vocation. Il faut se libérer de soi-même pour donner du plaisir aux autres. Je joue comme j’essaie de peindre. Je suis un peintre du dimanche, mais, lorsque je peins j’essaie de le faire avec mon inconscient, pas avec ma tête ; quand je finis, je suis vidé. Une femme m’a demandé un jour : “Ça ne vous fait pas bizarre de jouer le diable ?” Je lui ai répondu : “Madame, vous devriez poser la question à Dieu, c’est lui qui nous autorise à jouer ces choses-là !”

«Ma vie a radicalement changé quand j’ai arrêté la drogue et l’alcool. J’ai dû me réadapter au monde et aux gens»

On me demande souvent quand je vais arrêter… Je ne peux pas envisager ma vie sans jouer la comédie.
Quoi que vous fassiez, vous serez toujours Don Michael Corleone du “Parrain”, Tony Montana de “Scarface”, Frank Slade du “Temps d’un week-end”. Vous arrivez, et une sorte de frénésie s’installe autour de vous…
Je ne me plains pas, ça aurait pu être pire. Je sais très bien ce que les gens attendent de moi. Au dernier Festival de Venise, j’avais deux films à présenter en un jour. J’enchaînais interviews, tapis rouges, projections, tout ça avec le décalage horaire. C’était à perdre la tête, alors j’ai décidé de faire du Pacino : je me suis mis à hurler et à dire n’importe quoi. Les gens étaient ravis !

Vous n’êtes pas fatigué qu’on vous parle toujours de votre passé ?
Un peu?! D’autant plus que moi, je vis dans l’instant. Devenir riche et célèbre ne m’a jamais intéressé : la seule chose qui a toujours compté pour moi, c’est de jouer. Je viens du fin fond du Bronx. La célébrité m’est tombée dessus, je n’y étais pas du tout préparé. Après “Le parrain”, je ne savais plus qui j’étais, des femmes dormaient sur mon palier… Lee Strasberg, qui a été mon mentor, m’a dit cette phrase que je n’ai jamais oubliée : “Darling, il faut simplement t’adapter.” L’anonymat est un grand luxe.

« Je pense souvent aux ravages du temps, mais je ne peux envisager ma vie sans jouer?»

Il vous arrive de revoir vos films ?
Rarement. Mais si je tombe par hasard sur “Le parrain” à la télévision, je ne peux pas m’en empêcher.

Avez-vous une ligne de conduite dans l’existence ?
Ma vie a radicalement changé quand j’ai arrêté la drogue et l’alcool, il y a une trentaine d’années. Du jour au lendemain, il a fallu que je me réadapte au monde et aux gens. Ce n’est pas évident.

Vous n’avez jamais replongé ?
Jamais. Sinon je ne serais pas là pour vous en parler.

Vous revenez sans cesse au théâtre. Est-ce pour vous un moyen de vous “purifier” de votre statut de superstar ?
Je viens de la rue, d’un milieu très pauvre. Shakespeare et Brecht m’ont sauvé la vie. J’ai eu envie de faire du théâtre depuis le jour où j’ai vu “La mouette”, de Tchekhov. Je devais avoir 14 ans. Le théâtre, c’est toute ma vie. Les acteurs, ma famille. On est tous très proches parce qu’on joue comme si notre vie en dépendait. Quand c’est fini, on se sent perdu. J’adore le cinéma, mais c’est seulement sur une scène de théâtre que je me sens vraiment à ma place.

«Au théâtre, on peut tout contrôler, ce qui n’est pas le cas dans la vie»

Quelle est votre pièce favorite ?
“Hamlet”. Mais ai-je encore envie de la jouer aujourd’hui ? Je n’en suis pas sûr. On évolue, avec l’âge.

Quelle différence faites-vous entre le cinéma et le théâtre ?
Vous voyez un funambule sur son fil ? Pour ne pas tomber, il doit utiliser tous ses muscles et son adrénaline. Au cinéma, le funambule avance sur une corde posée par terre. S’il tombe, il recommence tout de suite. Au théâtre, il n’y a pas de seconde chance.

Récemment, Jessica Chastain m’a confié qu’elle vous considère comme son parrain de cinéma.
C’est Marthe Keller, dont je suis très proche, qui m’a parlé d’elle la première, pendant que je faisais le casting de “Wilde Salomé”. Dès que Jessica a commencé la lecture, j’ai été subjugué. Jessica, c’est Marlon Brando en femme. Je suis très fier de ce qu’elle est devenue.

Quels sont vos projets ?
“The Irishman”, un film de Martin Scorsese, avec qui, étrangement, je n’ai jamais tourné. Robert De Niro et Joe Pesci y seront mes partenaires. En attendant, à la rentrée, je serai à Broadway dans une pièce de David Mamet, “China Doll”.

À 74 ans, est-ce qu’on a enfin des certitudes ?
Celle de risquer de ne pas me réveiller demain matin ! [Il rit.] Je me laisse porter par la vie. Un jour, alors que j’étais dans une épicerie, une femme s’est approchée de l’ami qui m’attendait dehors et lui a demandé : “C’est bien Al Pacino que je vois à l’intérieur ?” Il lui a répondu : “Oui, Madame. Il n’y a qu’un seul Al Pacino !”
In Paris Match

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