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Ahmed Saber : De l’attachement à la tradition au refus du taqaddoum

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Ahmed Saber, de son nom de famille Bennacer Baghdadi, est né le 2 juillet 1937 à El-Hamri, un quartier populaire oranais où il s’ancre dès son enfance à la culture de son peuple.

Par Ali El Hadj Tahar

Issu d’une fratrie de six enfants, Ahmed poursuit pourtant ses études jusqu’au lycée, bien que son père, un journalier, subvenait difficilement aux besoins de sa famille. Après avoir atteint la classe de première et abandonné les études, en 1955, il devient écrivain public.
A l’indépendance, il aurait pu devenir au moins instituteur ou fonctionnaire dans une administration d’autant que le pays manquait cruellement de cadres mais il a préféré continuer a côtoyer le petit peuple, à écrire les lettres pour un fils ou un frère émigré, des plaintes contre telle ou telle injustice, des SOS pour toute autre détresse ainsi que des missives à des administrations ou des supplications à l’aimée. Ce métier, qu’il a exercé jusqu’à la fin de sa vie, même en étant célèbre, a maintenu Ahmed Saber en contact permanent avec le peuple.
Décédé le 19 juillet 1969, exactement à 32 ans, soit à la fleur de l’âge, cet artiste, interprète, parolier et comédien, commence dès son jeune âge, entre 1953 et 1955, à fréquenter le théâtre où il joue des rôles dans des pièces comme El Kenz de Ahmed Bentouati, Zouadj El Youm de Hadjouti Bouâlem où Bent El Waha Anissa Nanoussa de Mahieddine Bachtarzi, jouée le 10 juin 1955 avec comédienne Keltoum qui débutait, elle aussi. Il ne va pas tarder à marquer la musique oranaise d’un sceau indélébile, puisqu’il est l’un des pionniers avec Ahmed Wahby et Blaoui Houari, du genre musical nommé El Asri, dans les années 1940. Ce style typiquement oranais a subi l’influence de la musique arabe qui lui a permis d’introduire de nouveaux sons et instruments dans la tradition oranaise telle que perpétuée par Mohamed Benzerga ou Abdelkader El Khaldi. D’ailleurs, vers la fin des années cinquante, Saber qui avait commencé à écrire des poèmes alors qu’il était lycéen, a rencontré les deux grands maîtres, Benzerga et El Khaldi. Ce dernier lui offrit les textes de Jar Âliya El Hem, Jabouha Jabouha El Djeich Maâ El Jebha et Bakhta, qui seront des succès. Avec Mohamed Benzerga, qui devient son grand ami, il sera lié par une même complicité qui leur permet de s’imprégner de la vie réelle de la société et des petites gens en particulier.
C’est d’ailleurs cette connaissance intime des problèmes du peuple qui rendront son langage acerbe, affuté contre les injustices, le piston, le favoritisme, le mensonge, la corruption et les parvenus dans un pays qui vient pourtant d’accéder à son indépendance. En 1964, Saber se lie avec le poète Cheikh Omar El Mokrani, qui, comme lui, observe ce qu’ils considèrent tous deux comme la dérive sociale de la communauté sur le plan des mœurs.
Lorsque Saber interprète El Ouaktia, une qacida en quatre parties qui assit définitivement la réputation du chanteur, l’artiste est interpellé par la police générale sur ordre du wali d’Oran, qui l’emprisonna pendant quatre jours.
De surcroit, les deux albums, El Khedma et El Khayene, sont tout aussi explosifs puisqu’il s’agit de corruption et dans l’autre, il dit carrément « Bouh Bouh el khadma wellat bi woudjouh ». Après avoir entendu les deux chansons, le président Ahmed Benbella ordonna la libération immédiate de l’artiste, avec une remarque adressée au wali en lui demandant de respecter les libertés d’expression.
Comme tous les interprètes, Saber a animé des soirées de mariages, des galas, des salles et des places publiques. Les pistonnés, les opportunistes et les parvenus en prennent pour leur compte dans El khedma, Biyaa el batata et d’autres chansons. En véritable spécialiste de la satire populaire, voire populiste, il chante la célèbre Dour biha ya chibani, mais il a également des chansons tendres et sentimentales, comme Ya Ben Sidi Ya Khouya du poète Mostefa Ben Brahim.
El Ouaktia, comme plusieurs de ses chansons, est véritable satire sociale souvent à caractère très conservateur, et s’inscrivant dans la même idéologie passéiste, immobiliste et rétrograde que certains textes du genre algérois dit chaâbi. Ses titres Biyaâ El Batata, Banat Jili, Ghram Ouahran, Youm El Djemaâ, s’inscrivent dans cette tendance acerbe qui s’en prend aux prédateurs mais aussi aux signes de la modernité, assimilée, selon Saber, à une régression des valeurs morales. Jaouab est dans cette verve qui stigmatise la civilisation et les femmes dites « civilisées » qui nous auraient conduits à la débauche et dénués de notre identité au nom du taqaddoum. Ahmed Saber était connu surtout comme étant un chanteur rebelle et engagé même contre l’occupation coloniale.
Mitigée sur le plan du contenu, sa discographie n’est ni trop populiste, comme on aurait tendance à le croire, ni très variée mais elle inclut quand même plus d’une dizaine de singles et d’albums.
A.E.T.

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