L’expert international en économie, Abdelmalek Serraï, a salué, hier, les mesures annoncées récemment par le gouvernement, comme la relance des activités d’exploitation des gisements miniers et l’injection immédiat de 10 milliards de dollars d’investissements pour redémarrer la machine économique, afin de faire face à la crise provoquée par le coronavirus. L’ancien conseiller à la présidence de la République prévient toutefois contre la bureaucratie et les lenteurs des procédures fiscales et bancaires qui pourraient hypothéquer ces efforts.
Entretien réalisé par Hamid Mecheri
– Le Courrier d’Algérie : Le gouvernement Djerad a annoncé, samedi dernier, de nombreuses mesures pour faire face à la crise économique provoquée par le coronavirus. Ces réponses à la crise sont-elles à la hauteur des défis soulevés ?
– Abdelmalek Serraï : De prime abord, ce qui est intéressant c’est le listing des opérations envisagées. C’est un excellent choix qui nous démontre que l’Algérie a besoin d’un plan d’action de relance au moins en trois temps ; à cours terme immédiat, moyenne terme et long terme. Le gouvernement reconnait aussi les maladies de l’Algérie, à savoir la mauvaise gouvernance et la bureaucratie qui, jusqu’à présent, continuent à limiter les efforts de tous les opérateurs économiques. Et puis, maintenant, enfin on se réveille pour une revalorisation tout azimut des matières premières et l’exploitation du potentiel agricole que nous avons. Cela est très très important parce que, depuis au moins 25 ans qu’on leur dit que nous avons des matières premières suffisantes pour les mettre en valeur et pour remplacer graduellement l’attente vis-à-vis du pétrole et du gaz. À condition que le gouvernement arrive à alléger les procédures bureaucratiques dans tous les rouages économiques et ce en partant des wilayas, au niveau des directions de l’industrie et de l’agriculture. Je le dis toujours et j’en porte l’entière responsabilité, il y a des milliers de dossiers d’investissements qui sont en instance. J’en suis un témoin actif.
Dans l’intérêt national, il faut que les directions des services agricoles (DSA) au niveau des wilayas, notamment dans le Grand Sud, qui détiennent ces milliers de dossiers les libèrent, pour laisser les gens travailler et cultiver la terre pour réduire la dépendance à l’extérieur, parce que nous en sommes encore dépendant d’au moins 30 % de notre alimentation, alors que nous avons des millions d’hectares à valoriser par des mains algériennes et même étrangères, puisque la loi, existant depuis 2013, autorise l’association entre des opérateurs privés et publics algériens et des étrangers. Qu’est-ce qu’on attend alors pour libérer ces terres ? On ne comprend pas : des milliers de dossiers dorment et des walis qui ne bougent pas, et de l’autre côté un gouvernement qui crie au scandale sans pouvoir achever et solutionner cette situation. Maintenant, on vient au problème assez important de la matière première. L’Algérie, je l’ai dit et je l’ai écrit dans le cadre de mes études pour les Nations unies, qui ont reçu même les félicitations du secrétaire général de l’ONU sur les matières premières, il y a déjà une trentaine d’années, a un énorme potentiel à revaloriser. Dieu merci, maintenant on se rend compte qu’il y a un potentiel. On a mis un ministère entier –le ministère des Mines -, à sa tête l’ancien ministre Mohamed Arkab. Il faudrait revenir un peu et repêcher un peu ce qui a été fait comme étude dans le passé, durant la période de Boumediene, en ce qui concerne ces ressources minérales entières pour commencer à valoriser et aussi à appeler les Algériens à participer. L’autre aspect qui est nouveau et qui démontre un intérêt du gouvernement, c’est l’appel à la création de banques privées nationales. Si le gouvernement réussit dans ce domaine, ça veut dire que la création de banques privées va aider à récupérer une masse importante de moyens financiers notamment du marché parallèle, dont une masse, estimée à environ 50 milliards de dollars, est cachée chez les privés. Si donc ces banques-là seront autorisées et créées, nous aurons un flux financier des liquidités cachées par les privés vers les banques. Cependant, il faut être très prudent par rapport à la réglementation pour éviter qu’il n’y ait pas d’argent sale qui remplisse ces banques pour éviter que ceux qui ont volé hier se retrouvent les patrons des banques de demain. Maintenant pour le reste il y a une prise en charge volontariste. Mais pour peu qu’il y ait des moyens financiers, parce que il n’y a pas suffisamment de moyens financiers, si l’on n’arrive pas à récupérer les dinars du circuit informel.
-Est-ce que le gouvernement a aujourd’hui les moyens pour faire aboutir les réformes socioéconomiques dans ce contexte marqué à la fois par une double crise ; la chute des revenus des hydrocarbures et l’épidémie de Covid-19 ?
-Il en a les moyens. S’il y aurait une ouverture sérieuse de l’administration, l’allègement des procédures bancaires, une simplification de la fiscalité et clarification du secteur financier en général pour plus de transparence, cela va encourager les jeunes algériens diplômés, entre 35 et 40 ans, à se lancer dans l’économie, et on sauvera le pays ainsi. Car, je le dis et j’en suis assez conscient, et j’ai les chiffres devant moi, nous avons absolument tous les moyens pour sauver le pays. Bien sûr que nous faisons face à une pandémie comme tout le monde et cela va nous prendre du temps et de l’argent, cela va casser pas mal d’entreprises, mais l’une des priorités pour faire face sérieusement à cette pandémie est la relance des PME/PMI. Si le gouvernement pourrait injecter les 10 milliards de dollars que le Président avait promis il y a quelques jours, pour l’investissement et la relance économique, et de les rediriger au profit des PME/PMI activant dans l’industrie, on ne va pas seulement sauvegarder les emplois, en sachant que 30 % à 35 % des emplois sont perdus à cause de la crise de Covid-19, mais on va en plus créer de nouveaux emplois. Et cette fois-ci, la création d’emplois doit profiter uniquement aux gens compétents, c’est-à-dire ne plus tolérer la création de postes de travail superficiels, qui ne sont pas rentables. Nous allons maintenant vers des recrutements économiques.
Pour une fois, on commence à parler de recrutement économique ; avant on ne le disait pas, on faisait du social. Il faut recycler au moins deux millions de jeunes algériens dans la production agricole et industriel et aussi les services pour que l’économique redémarre et pour corriger les effets néfastes de cette crise-là. Donc, finalement la stabilité n’est pas à rechercher uniquement au niveau du gouvernement. Certes, le gouvernement a donné les grandes lignes, mais la stabilité réside aussi au nouveau de la jeunesse algérienne, si on leur ouvre les portes et aussi les opérateurs économiques, il faut les encourager à entreprendre.
-Donc, les nouvelles mesures gouvernementales sont-elles salvatrices pour les petites et très petites entreprises qui sont en difficulté du fait du ralentissement de l’activité économique ?
-Bien-sûr, à condition que le gouvernement prouve vraiment qu’il va alléger les procédures bureaucratiques. Il devrait modifier rapidement le système bancaire, simplifier les procédures fiscales, lancer une opération d’envergure pour dire voilà ce que nous avons et ce que nous n’avons pas. Il faut une transparence totale. Si le gouvernement est vraiment courageux pour aller jusque là, les gens vont s’accrocher et travailler. À la base, le gouvernement a très bien choisi les secteurs qu’il faut redémarrer, corriger et soigner, mais il y a une partie qui lui revient à 100 %, à savoir débureaucratiser l’administration économique du pays qui constitue un obstacle pour tout le monde. Oui, le gouvernement a pris des engagements, mais on se pose la question s’il est prêt à ouvrir la manne administrative.
H. M.