Des drapeaux du parti turkmène accrochés à côté d’autres bannières et portraits de candidats pour les élections législatives, dans la ville de Kirkouk en Irak, le 30 avril 2018 Kirkouk (Irak) (AFP) – Dans le quartier kurde de la ville multi-ethnique de Kirkouk, il faut prêter l’oeil pour dénicher les affiches en vue des législatives irakiennes du 12 mai.
Pourtant, non loin de là, la campagne bat son plein. En septembre dernier, les Kurdes, qui avaient pris progressivement le contrôle de la province de Kirkouk, fêtaient bruyamment leur référendum d’indépendance. Une joie de courte durée cependant puisque Bagdad enverrait ses troupes le mois suivant pour y restaurer son autorité. Aujourd’hui, ce sont les Arabes et les Turkmènes, hostiles à la sécession, qui exultent en multipliant affiches et meetings pour montrer leur attachement au pouvoir central. L’arrondissement de Rahim Awa, où se trouvait le bureau de vote ayant accueilli le plus de votants pour le référendum, est aujourd’hui couvert d’affiches de candidats arabes et turkmènes, tandis que les posters de candidats kurdes sont placés à l’abri des regards. Les passants préfèrent ne pas répondre aux questions sur le scrutin. Seul Freidoun Rahim, un journalier kurde de 41 ans, accepte de s’exprimer. «J’ai voté oui au référendum mais aujourd’hui on doit vivre ensemble, Kurdes, Arabes et Turkmènes, alors je vais voter», confie-t-il, sans toutefois indiquer vers quelle liste son coeur penche.
«Vengeance»
Dans une semaine, les 940.000 inscrits de la riche province pétrolière de Kirkouk doivent départager 291 candidats, à 80% des nouveaux visages, répartis sur 31 listes pour décrocher 13 sièges. Aux élections de 2014, l’Union patriotique kurde (UPK), l’un des deux grands partis historiques kurdes, avait raflé six sièges contre deux pour son rival, le Parti démocratique kurde (PDK), fondé par l’initiateur du référendum Massoud Barzani. Les Turkmènes et les Arabes en avaient obtenu deux chacun, le dernier siège étant réservé aux chrétiens. Mais cette année, après la reprise en main de la province par le pouvoir central, tout le monde s’accorde à dire qu’il en sera autrement. Le PDK appelle au boycott arguant notamment que Kirkouk est désormais un «territoire occupé». Beaucoup de Kurdes considèrent en effet que leur prise de contrôle de Kirkouk était un juste retour des choses après avoir été chassés par l’ex-dictateur Saddam Hussein dans les années 80 pour les remplacer par des Arabes. L’UPK, lui, participe. Mais pour ses rivaux kurdes, il a «trahi» il y a six mois en favorisant l’entrée de l’armée fédérale dans la province. Le député sortant Rebwar Taha Mustafa, chef de file de la liste UPK, s’en défend, et son affiche proclame: «Ma présence à Kirkouk dans les moments difficiles est la preuve de ma loyauté envers la ville». Ce politicien de 40 ans déplore par ailleurs «la vengeance de certains», en faisant allusion aux Arabes et aux Turkmènes. «Depuis le 16 octobre (date de l’entrée de l’armée fédérale dans la ville), la gestion de Kirkouk est assurée par une seule communauté», déplore-t-il en référence à la communauté arabe. «On nous a imposé un fait accompli par la voie militaire», ajoute-t-il, se disant cependant confiant dans le fait que les Kurdes l’emporteront à Kirkouk, même si ce ne sera pas «avec huit sièges comme au dernier scrutin». Mais dans les rues, la donne a changé et c’est bien visible. Les troupes fédérales ont remplacé les forces de sécurité kurdes et le drapeau kurde vert, blanc et rouge, frappé d’un soleil en son centre, a disparu.
«Kirkouk est irakienne»
A sa place, sont accrochés les étendards bleus turkmènes ornés d’un croissant et une étoile, tandis que les listes arabes ont choisi comme mot d’ordre «Kirkouk appartient à ses habitants», pour ancrer l’idée qu’ils sont les véritables enfants de la ville. Le député turkmène Hassan Tauran se dit «très satisfait» du retour du pouvoir fédéral. «Les prochaines élections montreront le poids réel des différentes communautés. Nous avions prévenu les Kurdes que la facture du référendum serait très lourde et ceux qui imaginent un retour en arrière rêvent», assure-t-il. Même son de cloche chez Amer al-Joubouri, candidat sur la liste du Premier ministre Haider al-Abadi. «Kirkouk est irakienne, ceux qui n’aiment pas la nouvelle situation peuvent aller voir ailleurs». Autre signe du changement, le nouveau gouverneur de Kirkouk, Rakan al-Joubouri, un Arabe qui a remplacé un Kurde favorable à l’indépendance, a retiré le cadre avec la photo de Jalal Talabani, fondateur de l’UPK décédé en octobre, qui avait été accroché au mur par son prédécesseur. Il a mis à la place celle de Fouad Massoum, toujours un Kurde mais également … président de la République.