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Mort à 69 ans : quand Michel Delpech était chanteur

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Le chanteur Michel Delpech nous a quittés à l’âge de 69 des suites d’une longue maladie, a annoncé sa femme à l’AFP samedi. Portrait de l’artiste. Les années 70 furent une décennie où tous les chanteurs populaires s’appelaient Michel. Jean-Michel Delpech l’avait bien compris, lui qui dès débuts en 1963 se débarrassa de son prénom composé, contrairement à Fugain, Polnareff, Sardou ou Berger. Né au lendemain de la guerre dans une famille aisée de Courbevoie, le jeune garçon ne fréquente pas pour autant les beaux quartiers. Mais à la fin des années 50, la musique est partout. Brel, Brassens, Ferré, Barbara ou Aznavour sont déjà d’immenses vedettes. A l’époque, il suffit d’une bonne voix et d’un peu de chance pour trouver un contrat. Jean-Mi a monté un orchestre avec ses copains, ils jouent dans les soirées. Mais c’est lui qu’on repère. Un beau gosse, une certaine aisance, une voix assurée. Vogue lui offre un contrat et lui permet d’intégrer, dès 1965, la troupe de la comédie musicale «Clopin Clopant». Michel y interprète «Chez Laurette» son premier véritable immense succès.

Le premier surtout d’une longue série. Car pendant près de dix ans, Delpech va imposer sa petite musique à lui. Très éloigné des yés-yés, il ne figure pas par exemple sur la mythique photo de Jean-Marie Perier, parue dans le journal «Salut les Copains» en avril 66. Pourtant cette même année, Delpech envahit de nouveau les ondes avec «Inventaire 66». Il se produit en ouverture de Brel à l’Olympia, le grand Jacques faisant lui ses adieux au Music Hall. En 67, à 21 ans, Delpech engage Johnny Starck comme impresario. Il avait été impressionné de la manière dont le garçon avait pris en main la carrière de la petite Mireille (Mathieu). Starck lui permet d’effectuer sa première grande tournée à l’international et lui conseille de signer chez Eddy Barclay. Les années qui suivent vont être flamboyantes. En 1969, Delpech est numéro un des radios avec une chanson qui évoque ces jeunes qui vont s’encanailler sur l’île de Wight en Angleterre pour le premier festival rock du même nom. «Wight is Wight», 46 ans après sa création n’a rien perdu de sa magie.

UN SUCCÈS FOU
Depuis 1963, Delpech ne travaille qu’avec un seul compositeurs Roland Vincent, lui-même signant tous ses textes. Le duo propose encore en 1970, «Et Paul chantait Yesterday» puis «Pour un flirt» en 1971. Si le top 50 n’existe pas encore, le succès est massif. En janvier 1972, Delpech est cette fois en tête d’affiche à l’Olympia où il s’installe pendant trois semaines. Qui dit mieux ? Insensible aux modes, l’artiste comprend vite qu’il faut élargir son champ d’action. Il remercie alors Johnny Starck et décide de faire appel à d’autres compositeurs. Bien lui en prend. Delpech continue de vendre des milliers de quarante cinq tours. Ce sera «Les Divorcés» en 73, suivi de «Que Marianne était jolie». En 74 «Le Chasseur» passionne les foules, tout comme «Quand j’étais chanteur» en 75. Dans ses textes, Delpech n’est pas comme les autres. Il décrit le quotidien avec malice.
Observateur aiguisé, le cœur à gauche, il est l’opposé d’un Sardou bien plus populiste alors. Et si tout cela peut lui sembler un peu vain, il n’en montre rien. En 76, il est à nouveau l’une des vedettes de l’année grâce à sa chanson «Le Loir et Cher». Il aurait pu brûler la vie par les deux bouts comme Johnny Hallyday ou Claude François. Mais il préfère se poser des questions existentielles. Peu à peu il disparaît des studios d’enregistrement, des plateaux télés, et des galas. Le chanteur a la plume sèche mais sa gorge elle, est assoiffée. Michel plonge. Il en parlera longuement dans son autobiographie : l’alcool, les drogues, la dépression. La traversée du désert commence, doucement mais sûrement. «La maladie, nous dira-t-il, avait fait de moi quelqu’un d’odieux».
Il faut dire aussi qu’en 1977, une nouvelle génération a pointé le bout de son nez. Ils s’appellent Francis (Cabrel), Alain (Souchon), Laurent (Voulzy) ou Yves (Simon). Michel ne fera pas de disco, ni de punk. Non, il vit, en reclus, se tourne d’abord vers le bouddhisme, pour finalement trouver un bout de réponses à ses questions chez les catholiques. Delpech tente de surprendre avec un album de reprises en 1979 (bien avant que ce soit la mode), où il adapte Paul Simon ou Elton John avec classe. Mais le garçon sent bien qu’il intéresse moins. Sa «saison est enfer» comme il le dira plus tard avait bel et bien commencé. Terrassé par les crises d’angoisse, nourri aux médicaments, Michel se réfugie chez ses parents, entre deux séjours à l’hôpital. En 1983, sa rencontre avec Geneviève Garnier Fabre, une artiste peintre, lui permet d’entrevoir le bout du tunnel, au moment où il envisage de partir débuter une nouvelle vie aux Etats-Unis. «Geneviève, c’est la fraîcheur, le naturel, l’amour de la vie, la simplicité, la solidité. Un amour absolu, très vite». Michel retrouve les studios et enregistre «Loin d’ici», qui sort dans la foulée. En 85, le couple donne naissance à Emmanuel. Michel avait déjà eu deux enfants de son précédent mariage, tout comme Geneviève. Un homme nouveau à la tête d’une famille recomposée, le voilà reparti pour chanter.

JAMAIS PROVOQUANT, TOUJOURS ÉLÉGANT
L’album «Oubliez tout ce que je vous ai dit» se veut comme un nouveau départ. Ce sera un nouveau coup d’arrêt. La mode est ailleurs… Cinq ans plus tard, avec «Les voix du brésil», il tente de s’accrocher à la vague world en publiant un nouvel album aux consonances brésiliennes. Disque réussi, qui passe à nouveau à la trappe. Décourageant… Il va en réalité falloir 15 ans à Michel pour renouer avec le grand public. Les maisons de disques ne veulent plus de lui, les producteurs de spectacle non plus. Alors sporadiquement, il donne de ses nouvelles. Ses textes sont toujours splendides, plein d’humour, de second degré. Delpech n’aura cesse de faire preuve de lucidité sur lui-même, ses congénères, la politique ou le sentiment amoureux. Jamais provoquant, toujours élégant, il a su au fil de sa carrière creuser un sillon que Paul Simon n’aurait pas renié. Mais c’est finalement en reprenant ses tubes avec la jeune génération qu’il peut enfin retrouver le sourire et les scènes nationales. «Delpech &…», paru en 2006, lui offre son premier numéro Un depuis trente ans. Bénabar, Clarika, Cali, mais aussi Julien Clerc, Alain Souchon, Francis Cabrel, Laurent Voulzy ou Michel Jonasz lui donnent la réplique. Cette fois, le concept plaît et Michel peut à nouveau se produire dans des salles pleines. «J’ai cherché à retrouver ma dignité» nous dira-t-il, pudiquement. Pour la promotion de son dernier album, «Sexa», sorti en 2009, l’homme était en paix avec lui-même. Dans ses paroles, il se montrait plus en verve que jamais. Sur scène, il prenait un plaisir fou à mélanger tubes d’hier et chansons d’aujourd’hui. On sentait une cohérence, une sincérité et une humanité rare. Il donnait surtout l’impression de vivre une seconde jeunesse, lui qui était enfin adoubé à la fois de ses pairs, du public et des critiques. Alors qu’il avait juré de ne jamais participer à la tournée «Age tendre et tête de bois», il avait finalement changé d’avis et s’était laissé embarquer par l’aventure en 2011.
Quand on lui demandait les raisons de ce volte-face, Michel répondait : «parce que si je suis encore là, c’est uniquement parce que les gens ont aimé mes chansons à une époque. Pourquoi devrais-je les en priver ? N’importe quel artiste a envie que sa musique soit vivante». Vivant donc, Michel aura réussi à revenir de l’enfer et renaître au monde. «Je pense à la mort tous les jours, sereinement » avait-il coutume de dire. Désormais il peut chanter librement. Du côté des étoiles.
In Paris Match

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