Les conséquences liées à la plus grande catastrophe naturelle du siècle sont riches d’enseignements. Pour le pire et pour le meilleur. Personne n’a oublié. Au petit matin du dimanche 26 décembre 2004, un séisme au large de l’île indonésienne de Sumatra propulse des ondes qui forment une vague géante dans l’océan Indien. Le raz-de-marée s’écrase sur le littoral de quatorze pays, notamment l’Indonésie, le Sri Lanka, la Thaïlande et l’Inde. Aux abords de ces plages idylliques cohabitaient deux mondes : des pêcheurs pauvres et des populations traditionnelles, mais aussi des touristes occidentaux en vacances. Près de 230 000 personnes sont fauchées par les eaux meurtrières, qui dévastent tout, sur leur passage avant de s’essouffler à l’intérieur des terres. Le chaos provoque 1,7 million de déplacés. Dans les jours qui suivent, un mot étrange est trouvé pour nommer la furie de la nature, un mot que le grand public n’avait jamais entendu : «tsunami». C’était, il y a dix ans. Cette catastrophe naturelle hors normes, allait marquer l’inconscient collectif de notre époque.
Une mobilisation inédite
Au lendemain de la tragédie, la mobilisation a été inédite. Les médias étrangers ont déferlé sur place, et la communauté internationale a lancé une gigantesque opération humanitaire. Les financements privés ont afflué, constituant 40 % de la somme record de 11 milliards d’euros récoltés. La présence de touristes étrangers parmi les victimes y est pour beaucoup. Un récent rapport d’Oxfam souligne «l’effet de facteurs autres que les besoins humanitaires», et notamment la «capacité de s’identifier aux personnes touchées». Des sociologues y ont vu la volonté et la culpabilité d’un Occident en pleine période des fêtes de Noël, cherchant à «réparer» l’injustice qui frappait des innocents, sur des plages à l’image du paradis. L’ampleur d’une telle mobilisation suscite la réflexion, mais aussi l’inconfort en comparaison des nouvelles catastrophes qui ne reçoivent parfois que des miettes, comme les inondations au Pakistan en 2010.
Dans le cas du tsunami, la générosité et la solidarité ont indéniablement permis de porter secours aux sinistrés. Il n’y a pas eu d’épidémie, les sinistrés ont trouvé des abris, des programmes d’aide ont été installés, et la reconstruction a fait renaître les habitations, dont 140 000 à Aceh en Indonésie. L’aide a ratissé tous les niveaux d’intervention, de la santé à l’éducation en passant par les activités de pêche ou les systèmes sanitaires.
La crise du tsunami surfinancée ?
Mais la gestion de la crise reste un vaste sujet d’introspection. Des centaines d’ONG (organisations non gouvernementales) se sont livré une course aux bénéficiaires et aux zones d’intervention. La compétition caritative a atteint des sommets. Et chaque ONG s’est retrouvée sous la pression exceptionnelle de justifier du bon usage de son argent auprès des donateurs et des bailleurs de fonds. Pour dépenser, les projets «urgentistes» ont fait place à des projets à plus long terme. Début 2006, Médecins sans frontières a décidé de rompre la pression en réaffectant une partie des dons à des causes moins médiatiques. Handicap international et Médecins du monde ont suivi. La crise du tsunami était-elle donc surfinancée ? La question est embarrassante pour un milieu humanitaire alors axé sur le «tsunami-business». Néanmoins, cet embouteillage caritatif a contribué peu à peu à une prise de conscience et a remodelé la coordination du secteur.
L’attribution de l’aide alimentaire, parfois source de dispute
La «diplomatie du tsunami» livre aussi ses enseignements. Avec l’enjeu de l’argent, des desseins politiques des nations touchées se sont engouffrés dans la crise. Par exemple, l’Inde a promptement refusé l’aide internationale, cherchant à valoriser son image de grande puissance émergente. La Thaïlande a elle aussi plutôt bien géré la crise en interne. À Aceh, la reconstruction a été menée avec élan, doublée d’un accord de paix conclu un an plus tard entre des séparatistes armés et les forces gouvernementales. À l’inverse, le Sri Lanka raconte une autre histoire. L’attribution de l’aide a été une source de dispute entre la rébellion tamoule et les autorités, sous fond d’un conflit latent. À partir de 2007, les ONG engagées dans la reconstruction post-tsunami au Sri Lanka ont bouclé leurs projets et levé le camp, abandonnant une région en proie à la guerre et une population civile sous les feux des combats. L’argent avait été donné pour le tsunami. Pas pour la guerre.
Une meilleure approche face à la prévention des risques
Côté positif, l’expérience du tsunami a amélioré l’approche face à la prévention des risques. Les infrastructures sont plus résistantes. La Thaïlande a dessiné des routes d’évacuation. Les nouveaux bâtiments ont été construits plus loin de la mer. Les populations locales sont sensibilisées, même s’il est toujours difficile de diffuser l’alerte dans les zones reculées. Selon les experts, un nouveau tsunami ne ferait pas autant de victimes qu’en 2004. La communauté internationale s’est dotée d’un système régional d’alerte au tsunami, opérationnel depuis 2011.
Les pays concernés sont reliés à un mécanisme de sismomètres et de sondes contrôlés par des centres. Ce mois-ci, la revue scientifique Nature affirme que, «malgré sa sophistication technique, le système n’en est pas moins fragile». Les financements permettant sa maintenance (entre 40 et 80 millions d’euros par an) seraient en train de se tarir. Et avec les années qui passent, certains observateurs font état d’un relâchement de la vigilance au sein des communautés. Se préparer au pire n’est pas aisé quand la vie reprend ses droits. Mais en ce jour de commémoration en hommage aux victimes, le danger se rappelle aux yeux de tous.