Accueil À LA UNE GÉNOCIDE EN PALESTINE : Mort de « l’ingérence humanitaire » à Ghaza

GÉNOCIDE EN PALESTINE : Mort de « l’ingérence humanitaire » à Ghaza

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Le Biafra, 1967. Un cri d’enfant dans un silence d’agonie. Des ventres distendus par la faim, photographiés par des reporters européens, téléportés dans les salons feutrés des rédactions de Paris, Londres, Washington… L’Occident découvre, ému, l’horreur à distance. Ce frisson de compassion tiède réchauffe les consciences.

C’est là, au cœur de cette tragédie télévisée, que s’ébauche l’un des concepts les plus ambigus de la morale contemporaine : l’ingérence humanitaire. 

Le concept est médiatisé par Bernard Kouchner, l’un des pères fondateurs du « devoir d’ingérence », dans des envolées où la générosité se mêle au sabre. Au cours des années 1980, il grave cette expression dans le marbre des médias et des tribunes où la vertu se fait incantation et la souveraineté d’un État devient soudain suspecte. 

C’est la France, au lourd passé colonial, qui hisse la bannière la première. Elle la salue au sommet de l’État. François Mitterrand et Jacques Chirac s’en réclament tour à tour, selon les vents diplomatiques. À l’Organisation des Nations unies (ONU), les débats s’enveniment. Le principe cardinal de non-ingérence, inscrit dans l’Article 2.7 de sa Charte, vacille sous le poids d’une émotion bien méditée et d’intérêts bien calculés. Il est ensuite question d’usage de la force « au service du Bien », expliquera Bernard-Henri Lévy, qui se rêvait en André Malraux du dernier quart du XXᵉ siècle, entraînant la morale entre deux plateaux de télévision. 

Le devoir, paravent pour la duperie

Les promoteurs de cette doctrine aiment à citer la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, comme d’autres agitent une relique. Ils en font un talisman contre l’immobilisme, un blanc-seing pour le canon. Dans leur vision, « ne pas intervenir face à la souffrance, c’est en devenir complice ».  Or cette morale messianique est vite rattrapée par sa géométrie variable. L’intervention devient alors un outil manié avec l’assurance de ceux qui n’ont jamais vu une bombe tomber sur leur propre toit. Des convois de Médecins sans Frontières aux divisions aéroportées, tout est bon pour incarner la compassion.  Et pendant ce temps, le droit international chancelle. La souveraineté des nations, fondement de l’ordre post-1945, est reléguée au rang d’obstacle gênant. L’OTAN bombarde Belgrade sans mandat onusien (1999). Washington renverse Saddam Hussein (2003) au nom d’armes chimiques imaginaires. Paris bombarde la Libye en 2011, à l’appel de BHL, bien entendu, en invoquant la résolution 1973 de l’ONU détournée de son contenu. Le but était la protection des civils, le résultat fut l’assassinat d’un chef d’État et le chaos durable. 

L’ingérence humanitaire est une idéologie séduisante qui masque une réalité plus triviale, celle d’un droit du plus fort camouflé en devoir d’assistance. Ce concept sert l’habillage moral d’interventions géostratégiques. L’essayiste Jean Bricmont le compare à une forme de colonialisme humanitaire (L’Impérialisme Humanitaire : Droit humanitaire, droit d’ingérence, droit du plus fort ?, Éd. Aden, Bruxelles, 2005) et dénonce cette politique où l’Occident, tel un prêtre en gilet pare-balles, vient sauver les âmes qu’il a souvent contribué à condamner. 

Rideau de fumée médiatique

À l’orée de chaque intervention, la même mise en scène. Les médias s’emballent, les caméras zooment, des victimes témoignent. Le pathos se fait politique. Et l’on s’étonne, quelques années plus tard, de découvrir que les fameux charniers au Kosovo étaient exagérés, que les bébés jetés hors des couveuses au Koweït étaient une invention d’une agence de communication (Hill & Knowlton), que les armes chimiques de Saddam Hussein un mensonge d’État filmé dans une capsule à la session du Conseil de sécurité des Nations unies. Mais le mal est fait. Le « narratif » a justifié les frappes. La guerre devient un feuilleton et l’indignation une marchandise. 

Les médias hiérarchisent et façonnent le réel à coup de caméras et de récits, où seules les victimes «utiles» méritent un plan serré. De Sarajevo à Alep, de Benghazi à Marioupol, ils choisissent leurs morts. Un enfant syrien échouant mort sur une plage devient icône de conscience européenne, tandis qu’un enfant yéménite broyé sous les bombes d’une coalition amie n’existe pas. On braque les projecteurs sur Alep-Est, on les détourne de Ghaza. On montre les larmes ukrainiennes, on escamote les ruines de Sanaa. Et lorsque l’OTAN s’apprête à faire pleuvoir le feu, les studios s’emplissent d’« experts » pour convaincre que bombarder, c’est sauver. 

Ghaza, tombeau de l’humanitaire

Et maintenant, Ghaza évoque moins une terre qu’un tombeau, où des enfants meurent, des hôpitaux sont rasés, des immeubles s’effondrent sur des familles entières et une guerre de famine des plus terribles est orchestrée par l’entité sioniste. Les ONG crient à l’agonie. Les agences onusiennes tirent la sonnette d’alarme. Mais aucune armée ne vient. Aucune coalition ne se forme. Pas de « zone d’exclusion aérienne ». Pas de Bernard-Henri Lévy en treillis sur le terrain. Ghaza, c’est l’endroit où le droit d’ingérence humanitaire meurt par abstention calculée. Dans cette enclave asphyxiée, meurtrie, il n’y a pas de pétrole à sécuriser, de pipeline à protéger ou de régime honni à renverser. Juste des civils trop nombreux, pauvres, et surtout palestiniens. Et là où, ailleurs, on criait à l’urgence humanitaire, ici, on oppose la Realpolitik, les lignes rouges diplomatiques, le veto américain, les timides communiqués européens. Ghaza n’est pas un Biafra, un Kosovo ou une Libye. Elle est un Rwanda sans caméras, une Srebrenica sans journalistes embarqués. L’« ingérence humanitaire », qui était supposé être un levier moral contre la barbarie, est devenue le paravent silencieux d’impuissance devant le pays « le plus moral et le plus démocratique du Moyen-Orient ». Dans ce naufrage, Israël et l’empire occidental coulent, et avec eux l’ordre international et l’idée même que l’humanité forme une communauté de destin, et que chaque vie, quelle que soit sa latitude, mérite protection. Une question revient, implacable : Qui décide de qui mérite d’être sauvé ?

Le droit d’ingérence flotte encore dans les discours, colloques et tribunes feutrées des diplomaties. Devenu d’abord suspect, il est ensuite mort dans la conscience de l’humanité sous les ruines de Ghaza. 

Aylan Rafik

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