Le texte qui suit appartient à Esther Amegah, une étudiante à l’Université Sciences-po à Paris, France, qu’elle a lu lors de l’hommage rendu, jeudi dernier, 8 mai, à Mitry Mory, Paris, aux victimes des massacres du 8 mai 1945, notamment les Algériens tués par la France coloniale.
«Le 8 mai 1945, c’était la fin de la guerre. Mais une toute autre réalité se déroulait, à l’autre bout de la Méditerranée », écrit la rédactrice.
Discours du 8 mai 2025
C’était il y a 80 ans. C’était la fin de la guerre, la fin de l’horreur, de la stupeur. Était-ce la fin ? Était-ce la dernière fois ? On s’est promis «plus jamais ça». Mais ÇA est-il vraiment révolu ?
Une horreur sans nom, des massacres à répétition, entassés dans des camps de concentration, mais c’était la capitulation. En 1945, on s’est promis « plus jamais ça ». ÇA c’était la déshumanisation. ÇA c’était l’extermination. ÇA c’était la torture, la privation, la déconsidération. Privé de tout : privé de soi, de son identité, être dépossédé. ÇA c’était la mort, c’était des corps, c’était la tristesse, c’était le mal, c’était barbare. Mais plus jamais ça. Que retiendrons-nous de la Seconde guerre mondiale ? Ou plutôt : que devons-nous en retenir ? Ou qu’en avons-nous retenu ? 6 ans de guerre ? 39-45. Au Japon 39-45 semble plutôt 37-45. En Éthiopie 35-45. L’Histoire n’est pas qu’une. L’Histoire est-elle, d’ailleurs ? Le 8 mai 1945, c’était la fin de la guerre. Mais une toute autre réalité se déroulait, à l’autre bout de la Méditerranée. Une réalité passée sous silence, des revendications étouffées, empêchées.
Le 8 mai 1945, étaient massacrés 45 000 Algériens : une « tragédie inexcusable », permise par le gouvernement français. Massacrés parce qu’ils revendiquaient l’indépendance, la liberté, l’égalité. Massacrés parce qu’ils aspiraient à voir leur droits reconnus. Massacrés parce qu’ils étaient. Que ces massacres ne passent jamais sous silence. Ne réduisons jamais cette date à la victoire des Alliés. Faisons vivre la mémoire, diffusons-la, ne l’éteignons pas. Le 8 mai 1945 étaient massacrés 45 000 Algériens. Tués par le système colonial français. Tués par cette négation systémique de leurs droits et de leurs existences. Tués par cette hiérarchisation établie entre nous et les autres. Tués par cette relégation, encore d’actualité, des autres à un statut inférieur. Le 8 mai 1945 illustrait les conséquences horrifiantes d’une idéologie coloniale suprémaciste fondée sur la hiérarchisation, la domination et l’asservissement. Plus jamais ça. Mais ÇA est-il vraiment révolu ? Il y a 80 ans nous acclamions la fin de la guerre quand se déroulaient des massacres à Sétif, Guelma et Kherrata. Aujourd’hui nous acclamons la démocratie et l’État de Droit quand Donald Trump mène une politique oligarchique terrifiante où les milliardaires gouvernent sur la base d’idéaux ultra-conservateurs, xénophobes, sexistes, transphobes et homophobes. Aujourd’hui nous acclamons la démocratie et l’État de Droit quand de nombreux États encouragent un nettoyage ethnique à Ghaza.
Aujourd’hui nous acclamons la liberté, l’égalité et la fraternité quand Aboubakar Cissé est tué parce que musulman et que les médias invitent Erik Zemmour sur les plateaux, sur lesquels il déclarait que « le Malien aurait été encore en vie s’il avait été expulsé ». Aujourd’hui, en France, nous acclamons la liberté quand beaucoup ne sont plus libres de vivre parce qu’ils sont eux. Aujourd’hui en France, nous acclamons la fraternité quand plus de 10 millions de Français votaient Rassemblement national aux dernières élections législatives. Nous acclamons la fraternité quand 10 millions d’entre nous soutiennent un parti fondé par des nazis nostalgiques de l’Algérie française. Quand Jean Marie Le pen jugeait juste et inévitable le recours à la torture lors de la guerre d’Algérie. Voter pour un parti dont la cheffe de file affirmait que la colonisation n’a pas été un drame pour l’Algérie. Voter pour un parti dangereux, intrinsèquement xénophobe. N’ayons pas peur des autres mais de ceux dont notre division semble l’objectif principal. Lisons, n’oublions pas, faisons vivre la mémoire, rappelons-nous l’Histoire : ne reproduisons pas ce que nous blâmons. Ne laissons pas cette haine de l’autre grandir. Re-diabolisons ces idéaux, dénonçons. Mobilisons-nous pour la paix, pour l’égalité. Gardons espoir. Le plus jamais ça n’est une utopie que si l’on continue d’encourager le ÇA, ou ceux qui le prônent. N’oublions pas. Mais surtout, agissons.
Par Amegah Esther