Zahir Battache, né le 28 juin 1969 à Seddouk dans la wilaya de Béjaïa, est diplômé en sciences de l’information et de la communication. Journaliste-collaborateur à l’hebdomadaire Révolution et Travail, organe central de l’UGTA, journaliste, producteur d’émissions radiophoniques traitant des questions liées au monde du Travail sur les ondes de la Radio nationale, avant d’entamer une longue carrière dans les secteurs du travail, de l’Emploi, de la Formation professionnelle, de la Protection et de la Sécurité sociale.
Une large carrière également à l’Inspection du Travail, formateur à l’Institut national du Travail et dans plusieurs instituts privés de renommée. Zahir Battache, ayant plusieurs ouvrages à son actif, était également chargé de la communication institutionnelle auprès du ministre du Travail, de l’Emploi et de la Sécurité sociale. Actuellement, il est directeur marketing, mais aussi consultant en droit du travail et consultant en communication pour le compte de plusieurs entreprises publiques et privées.
-Le Courrier d’Algérie : Vous avez édité le «Grand Manuel du Droit du Travail», Pourquoi ?
-Zahir Battache : Tout d’abord, je remercie votre journal de m’avoir donné l’occasion de m’exprimer sur ses colonnes. Le monde du travail, tel qu’il se présente aujourd’hui en Algérie mérite plus que jamais une attention particulière. Les tiraillements successifs avec, en moyenne chaque semaine, d’incessants préavis de grève et parfois des arrêts de travail soudains de certaines catégories professionnelles nous interpellent à plus d’un titre de se pencher sérieusement. D’abord, aux pouvoirs publics d’abandonner la sourde oreille et de donner aux voyants rouges leurs vraie dimension tout en mettant en avant la voie de la conciliation et de la négociation pour prendre en charge réellement les doléances exprimées par tous les travailleurs des secteurs en ébullition et les préoccupations des travailleurs vivant des situations professionnelles en instance d’éruption.
Le travail est la donnée stable de notre société. Les travailleurs sont des piliers importants qui vivent et qui respirent et sur qui repose tout l’édifice de notre civilisation, de notre économie et l’avenir même de notre pays. De là m’est venue l’idée de leurs rendre hommage par mes modestes contributions afin de leurs adoucir l’appréhension, simplifier la compréhension et renforcer par la même sa capacité de tractation afin que les droits et les obligations soient exercés dans le respect strict de la loi. De l’autre côté, aux pouvoirs publics de revoir la copie et de ne plus considérer les salariés comme une opposition mais un partenaire à part entière. La troisième cible de mes ouvrages concerne les employeurs qui, par les éclaircissements pratiques et les références précises aux textes, leurs donne l’occasion, par une consultation juridique des situations auxquelles ils sont confrontés, de prendre, en connaissance de cause, les bonnes décisions et assurer par la même la cohésion et la stabilité au sein de leurs entreprises.
-Le Code du travail algérien en vigueur n’est pas un texte global mais un corpus de textes disparates. Pourriez-vous nous expliquer pourquoi ?
-En droit, la codification consiste à regrouper des textes normatifs de diverses natures dans des recueils concernant une matière donnée et chacun de ces groupes devient un «code». Celui du travail rassemble les textes législatifs et réglementaires applicables en matière du droit du travail.
Si l’on revient en arrière, en 1962, faute d’une législation algérienne qu’on n’avait pas le temps d’écrire, il a été procédé tout d’abord à la reconduction de toute la législation antérieure à l’indépendance sauf dans ses dispositions contraires à la souveraineté nationale, ou d’inspiration coloniale ou de nature discriminatoire. La première tentative de codification fut évidement celle relative au code de la nationalité algérienne et ce en mars 1963, puis le code des investissements et le code électoral en 1963, en 1966 le code pénal et le code de procédure pénale, en 1970 le code de justice militaire,… Mais ce n’est qu’entre 1975 et 1979 que la plupart des textes ont été codifiés à l’instar du code civil, le code du commerce, le code de la santé publique et le code maritime, celui des impôts directs et taxes assimilées, code des taxes sur le chiffre d’affaires, celui de l’enregistrement.
Par contre, la législation de travail (Idem pour la législation de la sécurité sociale) elle a subi des mutations inégalées caractérisées, au tout début, par le processus de construction des bases matérielles du socialisme édicté par les dispositions de la Révolution agraire, puis l’arsenal juridique de 1990 sur lequel repose la législation du travail actuelle sous forme de lois et de textes d’application comptabilisés lors des recherches effectuées pour la publication du «Grand Manuel Du Droit du Travail» à plus de 500 textes entre lois, décrets, décrets législatifs et exécutifs. Ceci dit, il faut pour elle aussi (législation du travail, [NDLR]) regrouper ses textes à l’instar des autres groupes sous forme d’articles en numérotation continue et à l’instar de ce qui est établi dans la plupart des pays dans le monde. Ce qui permettra d’améliorer la lisibilité et l’accessibilité de la loi et de remédier à la complexité et à la dispersion de ses textes juridiques. Un code du travail est en phase d’élaboration, c’est une bonne chose.
-Le projet du code comprend 669 articles. Peut-on avoir plus de détails sur sa teneur ?
-Le code du travail, tel qu’il se présente aujourd’hui dans sa dernière mouture, fait ressortir deux observations principales. Il s’agit en premier de la vitesse de mutation du droit du travail qui, à mon sens, interpelle l’urgence de cette codification qui tarde à voir le jour (presque 10 ans depuis son lancement). Donc, il faut rapidement le conclure. En deuxième lieu c’est la consistance du code lui-même, car on codifie pour améliorer la lisibilité et l’accessibilité de la loi, donc balayer le superflu et se donner l’occasion de remédier aux lacunes existantes via son renforcement par des articles de loi répondant parfaitement aux différentes revendications récurrentes du monde du travail en Algérie.
-Présentement, les syndicats autonomes y vont de leurs arguments pour bénéficier, chacun de son côté, du privilège de la retraite anticipée. Leurs revendications sont-elles fondées ?
-Il n’y a jamais de fumée sans feu, toute revendication est légitime. Cependant la question de pénibilité a été soulevée pour la première fois par M. Sellal, l’ancien Premier ministre qui a annoncé que la disposition fixant l’âge de départ à la retraite à 60 ans «peut être allégée pour les métiers pénibles». Un texte prévoyant cette situation existe, mais il n’a jamais été appliqué. Il est clair que de nombreux salariés ne peuvent continuellement prolonger l’exercice de leur métier et arrivent à l’âge de la retraite dans des conditions physiques diminuées, comme il est clair aussi que, ne pas avoir décidé de traiter de la question de la pénibilité relève de l’injustice… La pénibilité est une question dont on ne peut s’entêter à négliger la réalité et nous ne pouvons, cependant, parler des métiers pénibles sans évoquer la pénibilité du travail. Elle est liée étroitement à la santé et la sécurité au travail.
D’un autre côté, l’article 4 de l’ordonnance n°96-18 du 6 juillet 1996 modifiant et complétant la loi n° 83-12 du 2 juillet 1983 relative à la retraite (Publié dans le Journal Officiel n°42 du 07/07/1996 en page 10), évoque la possibilité du bénéfice de la pension avant l’âge pour les travailleurs occupant un poste de travail présentant des conditions particulières de nuisance. Le bénéfice de cette réduction d’âge devra donner lieu à des cotisations de rachat à la charge de l’employeur et la liste des postes concernés ainsi que les âges correspondants et la durée minimale passée dans ces postes devront être fixés par décret exécutif et que les taux de cotisations de rachat devront être fixés par voie réglementaire (des textes non encore adoptés à ce jour). Additivement, une commission d’experts intersectorielle (Travail- Sécurité Sociale-Santé) chargée de définir la liste des postes de travail présentant une haute pénibilité et les durées d’exposition minimales correspondantes ouvrant droit à l’abattement de l’âge de retraite a été installée le 20 janvier précédent. Ses résultats préliminaires doivent être soumis, à la concertation, aux partenaires sociaux et feront l’objet, in fine, d’un projet de décret d’application. De ce qui précède, la question ne peut être que légitime et bien fondée.
-En clair, la nomenclature des métiers pénibles est universelle. Y a-t-il pour cette liste des spécificités algériennes ?
-Je n’ai pas eu connaissance de cette liste, mais à mon sens il n’y a aucune spécificité, nous sommes liés à une législation internationale, et le monde du travail est universel. Nous n’avons pas en Algérie un métier qui déroge à la règle. Les risques professionnels sont les mêmes partout dans le monde. Par contre, la spécificité peut résider dans le manque de sensibilisation, l’entêtement et la sourde oreille, la lenteur dans la mise en œuvre de toutes ces dispositions et dans le manque de rigueur dans l’application de la loi.
-Le paysage syndical national regorge d’une soixandizaine de syndicats agréés. En sommes-nous dans les normes internationales ?
-Recadrer le monde syndical et le monde du travail en général ne peut être du ressort d’une personne, d’un organisme et moins d’une institution. L’encadrement doit être par la force de la loi sans autant qu’elle soit négociée unilatéralement. Les syndicalistes sont des femmes et des hommes comme beaucoup d’autres. Les raisons et les motivations de leurs créations varient d’une organisation syndicale à une autre, selon les itinéraires, les évènements, les relations, les situations…
Pourtant, un fil relie le sens et l’origine de leurs engagements : le sentiment et la volonté d’agir pour un changement social. Nous nous sommes focalisés sur le nombre et pas sur la qualité… La formation syndicale a de tout temps été occultée. Il faut, par contre, attribuer aux syndicats un certain nombre de moyens pour jouer leur rôle de contrepoids et exercer leurs responsabilités syndicales et c’est une question constitutionnelle. Enfin, pour répondre à votre question, il n’y a rien d’étrange du parallèle en représentation politique et représentation syndicale dans le paysage national actuel.
F. M.