Il est six heures du matin. Le soleil pointe à l’horizon et les premiers rayons nous harponnent, déjà. Chacun prend le soin de bien emballer ses affaires dans un grand sac en plastique, afin d’éviter qu’elles ne prennent la poussière, durant le trajet. Les chauffeurs sont là et les véhicules aussi, dont on a chargé l’un d’eux de réserve de carburant ; il en faut, car la distance est longue, fastidieuse et périlleuse. Puis, le convoi s’ébranle en direction de Bordj Badji-Mokhtar, daïra qui relève de la wilaya d’Adrar sur une distance de 800 km.
Tout un chapelet de ksour
Sur la route qui mène à Reggane, toute une multitude de ksour semblent nous inviter à venir les découvrir, et à connaître leurs habitants et leur hospitalité légendaire. Ces ksour sont nombreux, on en recense 294, à travers le vaste et immense territoire de cette région de l’Algérie profonde, ils sont tous entourés de palmeraies qui délimitent des lopins de terre où chaque fellah cultive légumes, tabac… Tamentit, Makra, Djedid, Moulay-Omar, Fenoughil, Tamest, Ikkiss, Aghil, Zaglou, Zaouit-Kounta, Bouali, In-Zegmir, Sali et, enfin, Reggane, Ziarrate et T’bal.
Tous défilent, longeant l’ancien fleuve de la Saoura. Tous regorgent d’histoires et de secrets que détiennent les marabouts et qu’une fête appelée ‘ziarra’ leur est consacrée. Cette ‘ziarra’ s’étale sur deux jours. La première journée,’ El-mize’, la deuxième, la ziarra, où l’on célèbre la grande fatha. Les soirées sont animées par le ‘t’bal’, le baroud et les troupes folkloriques, où le bruit et son des fusils se font entendre à des kilomètres sous un ciel limpide, criblé d’étoiles, spécificité de toute la région d’Adrar. La tenue de rigueur étant la “gandoura” et le “chèche”. À Reggane, nous marquons une courte pause, puis sans tarder, le convoi s’ébranle en direction du PK50. La piste et le plat absolu ! Nous venons de parcourir 140 km, et il nous reste encore 650 km à faire. La route est goudronnée jusqu’au PK50; ensuite la piste prend le relais et il faut vraiment avoir les reins solides pour tenir le coup. C’est le plat absolu. Pas d’arbre, pas de pierre! La terre et le ciel bleu se dessinent à l’horizon, et, seul, l’Astre solaire règne en maître impérial, intrépide et incontestable sur cet immense désert.
Thé sur les braises !
Il est un peu plus de midi, quand nous décidons de nous arrêter, histoire de nous dégourdir les jambes et de faire souffler nos véhicules, car, comme le dit si bien l’adage, qui veut aller loin doit ménager sa monture. Chacun trouvait quelque chose à faire. Plusieurs, armés de caméras, saisissent cette opportunité afin d’immortaliser cet instant magique de cet endroit merveilleux qu’est le désert du Tanezrouft. D’autres s’affairent à préparer des sandwichs. Le bois ramassé, la veille, crépite sous les flammes et la théière gémit dans un sifflement plaintif sur les braises qu’attise Ahmed, notre chauffeur. Le thé fera un effet, stimulant, ainsi, notre énergie. Après s’être rassasiés, nous reprenons la route .
Chèche et fèchfèche !
Une piste ondulée s’étale à perte de vue, où, parfois, le ‘fechfech’, genre de sable fin que soulève les véhicules, vous pénètre jusqu’aux narines. Certains, oubliant de se munir d’un chèche, le regrettent, amèrement. Il faut savoir s’équiper et penser à tout.
Au milieu du Tanezrouft !
De temps à autre, on croise de gros camions chargés de cheptel et de denrées alimentaires. Un long coup de klaxon est synonyme de salut. Ici, sur cette piste, la solidarité est courante et de rigueur et l’on n’abandonne jamais quelqu’un en panne.
Un silence abyssal !
Au fur et à mesure que l’on s’enfonce dans cet endroit hostile et désolé, on ressent une étrange impression; celle de se rendre compte de l’immensité de notre pays ; et dans cette région, le vide est total et le calme et la sérénité contrastent avec le tohu-bohu des villes. Ici, un silence abyssal vous interpelle !
Si, pour nous, ce voyage représente une véritable aventure, pour nos chauffeurs, bien aguerris et rompus à cette tâche, c’est une randonnée, comme tant d’autres. Lorsque le vent de sable se lève, naviguer requiert une vraie connaissance du terrain. Parfois, vous êtes obligés de vous arrêter et de patienter jusqu’à l’accalmie. Heureusement, nos conducteurs n’ont aucune peine à s’orienter et l’on leur fait confiance.
Halte au PK 400
Après quelques heures de sable, de poussière, de secousses, car tout le monde se contorsionnait dans tous les sens, on arrive, enfin, au PK 400, où des militaires chargés de la surveillance opèrent un deuxième contrôle, ce qui nous permet de souffler, un tant soit peu. Puis, l’inévitable parcours reprend inexorablement. Il nous reste encore 400 bornes à parcourir. Il est plus de seize heures, nous roulons depuis six heures du matin, quand nous faisions une halte. Le feu est vite allumé et l’incontournable et indispensable théière ressurgit, signe d’une bonne remise en forme.
Paysage féerique
Chacun regarde, scrute, admire ce magnifique paysage, endroit mythique, envoûtant, mystérieux et étrange. Certains sont là pour la première fois et restent pantois. La chaleur se fait moins sentir et nous rappelle qu’il est temps de repartir et d’embarquer; il faudrait juste rajouter du carburant aux véhicules. Nos 4X4 s’élancent avalant des kilomètres et des kilomètres. Se désaltérer est très important. La piste large et étendue nous nargue et nous prouve que la nature est la plus forte. Le soleil commence à se consumer, et un filet écarlate, rougeâtre indique son coucher devant lequel nous demeurons contemplatifs et admiratifs. C’est la féerie de notre Sud, ce phénomène est réel et non visionnaire et imaginaire. Puis, soudain c’est l’asphalte, il reste encore 100 bornes à faire! Il est un peu plus de vingt heures, quand nous arrivions à destination : enfin, BBM qui se livre à nous !
Fin du voyage !
Complètement ankylosés, épuisés et avachis, mais satisfaits d’avoir pris notre revanche, et d’être arrivés à bon port. Le chef de daïra et le maire sont là pour nous accueillir et nous souhaiter la bienvenue. Rendez-vous est, donc, pris pour le dîner. Chacun se précipite pour se jeter sous l’eau, source bienfaitrice, une douche bien méritée afin de retrouver un semblant de forme.
Dîner et anecdotes
Puis, tout ce beau monde se retrouve pour le dîner offert en cette circonstance, où l’on parle de tout et de rien. De temps à autre, une anecdote vient ponctuer et agrémenter ces bavardages, et le rire emplit cet endroit. La fatigue commence à se faire sentir, se lisant et se dessinant sur les visages, largement éprouvés par le voyage. Chacun se retire afin de se réfugier dans son lit et dormir, car la journée de demain s’annonce rude et difficile.
L’histoire de Bordj Badji-Mokhtar
Un Français, nommé Laprieur, entreprit le creusage d’un puits. Puis un fort fut construit tout autour; il portera le nom de son fondateur. Après l’Indépendance, Fort-Laprieur devient Bordj Bajdi-Mokhtar. La daïra compte aujourd’hui entre 10 et 12 000 âmes, selon les saisons. Les maisons en pisé (toub) côtoient étrangement les constructions en dur, badigeonnées à l’ocre rouge, couleur atypique et distincte de la région.
Un changement radical !
Il y a quelques années, il n’y avait rien. Aujourd’hui, le village a changé, plusieurs avenues sont goudronnées. L’électricité existe et l’eau potable coule dans les robinets. Seul inconvénient, il faut aller la chercher à des profondeurs qui atteignent les 400 mètres. Le téléphone fixe et le réseau mobilis permettent de sortir de l’isolement et les assiettes paraboliques vous assurent une bonne ouverture sur le monde extérieur. Les trottoirs entièrement refaits par endroits contribuent à une bonne et meilleure organisation de la circulation. L’agriculture demeure, cependant, la grande absente et la dépendance du chef-lieu Adrar se fait cruellement sentir.
Entre viande et légumes
Ne vous étonnez pas si le kilogramme de viande coûte 500 DA, par contre pour un kilo de pomme, de terre, vous devez débourser 150 DA. Autant avoir une préférence pour la viande. Tel est le prix à payer pour cette contrée très éloignée. Les magasins de confection de quincaillerie, les restaurants fleurissent un peu partout et les cafés permettent aux jeunes, et aux autres, de griller une cigarette sur les terrasses, en sirotant un thé mousseux. Ici, la cartouche est vendue à 200 DA. De quoi vous donner l’envie de fumer !
Tenue vestimentaire, nourriture et éducation
La tenue vestimentaire qu’arbore la population est entièrement composée de ‘bazan’ (genre de gandoura très ample )et d’un long chèche. La nourriture qui prédomine est indubitablement la viande, le couscous, le riz et le lait de chamelle qui constitue un élément très nutritif et savoureux. Il est recommandé aux femmes qui ont des difficultés à procréer. BBM est en train de s’épanouir et de sortir de sa léthargie. La cité dispose d’un aéroport, où des ATR assurent une liaison entre Adrar et Alger. La population parle le targui à 80%. Cinq écoles primaires, un collège et un lycée assurent aux apprenants une bonne éducation, et nombreux sont ceux qui percent et qui réussissent. Durant notre séjour à BBM, des spécialistes du corps médical et des généralistes se sont démenés dans tous les sens, afin de satisfaire une demande de consultations sans cesse croissante.
Le docteur Zidane !
Au niveau de la commune de Timiaouine, à 150 km de BBM, nous avons fait la connaissance d’un médecin affecté à cette population. Il s’agit du docteur Zidane, le cousin germain de notre grand et talentueux footballeur. Oui, il est là depuis quelques années, il y a pris attache et n’envisage, nullement, de quitter les lieux. Son dynamisme et sa présence quasi-permanente rassurent les habitants qui lui vouent un respect immuable et une reconnaissance sans fin. D’ailleurs, il s’est même marié avec une fille de Timiaouine et les enfants nés de cette union sont un bonheur pour le couple. Un grand bravo à ce médecin qui a bravé toutes les excentricités des grandes villes pour venir s’installer ici, à Timiaouine, 950 km du chef-lieu Adrar, et à plus de 2 200 km d’Alger; loin des tourments, des affres que connaissent les citadins de métropoles.
Des équipes médicales à pied d’œuvre !
Durant les sept jours de notre séjour, des équipes médicales, qui s’y trouvaient, ont vacciné, consulté sans relâche des centaines de patients. Des circoncisions ont été également effectuées sur des enfants, ou plutôt sur des adolescents, dont parfois l’âge atteignait seize, voire plus ! Des soins bucco-dentaires et des extractions ont eu lieu au niveau des établissements scolaires. Pour les malades chroniques, ils sont orientés vers les hôpitaux de Reggane et d’Adrar.
Une cuisson à l’étuvé !
Un soir, autour de la table, nous étions surpris par le plat de viande qu’on nous avait servi. En effet, la viande jouit d’une pratique tout à fait particulière. Du bois est brûlé afin d’en recueillir les braises sur lesquelles on pose un plat métallique rempli de viande assaisonnée et recouverte de papier d’emballage. Puis, on recouvre le tout à l’aide de braises et de sable et l’on laisse cuire. Quelques heures plus tard, on sort le plat et l’on sert. Un vrai délice pour le palais et les narines qui réveilleront nos émotions gustatives. C’est la cuisson à l’étuvé, l’étouffée ou (el-merdoume). La viande tendre, délicieuse et savoureuse se coupe toute seule et personne n’ose se retenir de se lécher les doigts. Quant au thé, le soin de sa préparation est confié aux femmes qui vous concoctent un breuvage, élixir, mousseux qui râpe la langue au premier, l’adoucit au second, et l’apaise au dernier.
Timiaouine, l’étrange cité
Un soir, juste au moment où le disque solaire s’éclipse à l’horizon, une caravane d’une dizaine de dromadaires, chargés de sacs, s’apprête à prendre le départ en direction de Timiaouine. C’est une commune de 6 000 âmes, distante de 150 km de BBM. Cent cinquante km de piste chaotique, épreuve difficile et éprouvante. La langue qui prédomine est le ‘targui’ et la présence d’un interprète est plus que nécessaire et indispensable. Au fur et à mesure que l’on s’approche de la commune, le paysage change étrangement, cédant la place à une végétation verdoyante et luxuriante. Des oueds coulent sous vos pieds : un spectacle sublime ! À l’entrée, nous nous sommes garés à l’ombre d’un arbre gigantesque; nous étions plus de quinze personnes et trois véhicules sous le même arbre ! Timiaouine est considérée comme zone humide, ce qui implique un passage obligé des oiseaux migrateurs. À Timiaouine, cafés, magasins aux commerces multiples animent ce ksar, et les divers articles proposés n’ont rien à envier à ceux que l’on trouve sur nos marchés. La cité jouit d’un climat subtropical et le sable s’étale à perte de vue. À la tombée de la nuit, la température chute rapidement. Ici, on prend le temps de vivre .
BBM, Timiaouine, destinations de rêve !
Dans ces contrées lointaines, où vivent femmes et hommes en parfaite symbiose avec la nature, où le respect des traditions, le sens de l’accueil et l’hospitalité légendaire nous rappellent que nous vivons, tous, sur une même planète, où l’harmonie devrait régner afin de permettre à chacun de prendre du temps de savourer chaque moment, chaque instant. C’est un univers sans limite, où l’expression naturelle et la joie spontanée créent une certaine effervescence, et vous donnent rendez-vous avec l’histoire, celle de l’Algérie qui demeure, en toute circonstance, un vaste creuset de civilisation.
S. Tarek-Amine