Finalement, notre retard sur l’écriture de notre histoire peut nous servir. Depuis l’Indépendance de notre pays, en 1962, nous avons peu produit de livres d’histoire. Nos auteurs se comptent sur les doigts de la main. Mahfoud Kadache, Moulay Belhamissi, et d’autres moins connus. Tous ces historiens totalisent une production beaucoup moins prolifique que leurs confrères de l’autre côté de la méditerranée. Avec cette particularité pour les travaux de la partie française d’avoir privilégié la période de la Guerre d’Algérie (1954-1962) au détriment de la longue période de la colonisation (1830-1954). Il y a une raison à cela : écraser l’acte d’accusation de la conquête fait d’atrocités, de massacres, de racisme, d’injustice, au profit des querelles, des conflits et des déchirements, supposés ou réels, au sein même de la Révolution algérienne. Les historiens français se sont intéressés à Messali Hadj qui était proche des trotskistes français et qui n’a pas su intégrer le combat libérateur aux côtés du FLN. Ils se sont également intéressés à Ferhat Abbas, qui fut assimilationniste avant de rejoindre le FLN et en être écarté ensuite. Ces historiens français n’ont pas manqué de monter en épingle l’affaire Melouza, présenté comme un massacre fratricide entre deux factions dont l’une est ralliée à l’occupant. Ils se sont intéressés au congrès de la Soummam pour « zoomer » sur les différentes positions entre « l’intérieur sur l’extérieur » et le « politique sur le militaire ». L’affaire Si Salah les a également intéressés pour montrer les différents entre les responsables de la lutte armée. Ils se sont bien gardés, par contre, d’écrire sur la position farouchement « Algérie Française » de Michel Debré qui était premier ministre de De Gaulle qui, lui, était partisan de l’autodétermination. Ce premier ministre a fait porter le chapeau au préfet de Paris lors des massacres du 17 octobre 1961 et personne ne s’en est offusqué. Ils se sont bien gardés de relater cette cohabitation contre nature au quotidien. Comme ils n’ont jamais accordé du temps aux multiples tentatives d’assassinats dirigés contre le chef de l’État, Charles De Gaulle. Le même silence a été observé sur la période coloniale et la nature raciste de Jules Ferry, de Bugeaud, sur l’opération « Torche » de 1943 pour mieux comprendre le 8 mai 1945…, etc. Ce ne sont là que quelques exemples d’une écriture de l’histoire qui avait pour objectif de dévaluer la richesse des exploits de notre Guerre de Libération nationale. Aujourd’hui, une occasion insoupçonnée se présente à nous pour corriger ces déviations et écrire notre histoire au plus près de nos intérêts. Cette occasion se situe dans le recul de la francophonie en Algérie qui épargne nos enfants de toute une production historique falsifiée. Nos historiens existent. Les matériaux leur permettant de travailler aussi. Ils pourront faire le tri entre l’anecdotique et le déterminant. Leur production sera dans la langue nationale, comprise par tous les algériens. Ce sera l’écriture de NOTRE Histoire. Pas celle que voudrait nous faire écrire l’ancien occupant. Un occupant qui a poussé l’outrecuidance jusqu’à vouloir nous faire croire aux bienfaits de l’écriture d’une histoire commune. Au risque de nous répéter, pour la millième fois, une victime et son bourreau ne perçoivent pas le même évènement de la même façon. L’une souffre tandis que l’autre jubile. Écrivons notre histoire en langue amazighe, en langue arabe, avec la langue de Shakespeare ! Nos enfants ne comprennent plus le français. C’est une bénédiction !
Zouhir Mebarki
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