Aussitôt que la séance de l’après-midi est reprise, le juge Tayeb Hellali a évoqué deux sujets sensibles et répréhensibles vis-à-vis de la Justice. Ces déclarations ont pour le moins surpris l’assistance à la salle d’audience du tribunal. «Normalement celui qui pratique la bureaucratie, devra être fusillé sur la place publique», a-t-il lâché sous le regard abasourdi de l’assistance. Il ajoute encore que cela est nécessaire, compte tenu des désagréments engendrés à la population. «Si ça continue comme ça, ça ne va plus marcher. L’autre fait saillant provoqué par le président de l’audience, comme l’impose d’ailleurs le procès, est la corruption. Il a tenu à déclarer là encore, que le peuple «dort sur ses deux oreilles et qu’il profite de la situation actuelle pour cautionner la corruption», a-t-il lâché. Plus encore, le juge a expliqué que la Justice elle seule ne peut pas venir à bout de ce phénomène, et que « le peuple doit réagir sinon la corruption et la bureaucratie vont sévir». Enfin, Hellali a affirmé que les responsables de la corruption devront tôt ou tard tous répondre de leurs actes devant la justice.
Chani : «je ne suis pas esclave de l’argent»
Les auditions concernant le procès de l’autoroute Est-Ouest se sont poursuivies, hier, au tribunal criminel près la Cour d’Alger, après avoir été suspendues à une heure tardive de la journée de dimanche. Ainsi, donc, Chani Medjdoub, homme d’affaires algéro-luxembourgeois et principal accusé dans cette affaire liée à la corruption a tenu à répondre des faits qui lui sont reprochés. Interrogé par le président de la séance sur ses contacts avec Mohamed Khelladi, ex-responsable de la direction des nouveaux projets, relevant de l’Agence nationale des autoroutes (ANA), Chani a indiqué qu’il n’avait pas cherché après lui, mais qu’il voulait voir le ministre (Amar Ghoul, Ndlr) du secteur lui-même, afin de régler les problèmes bureaucratiques soulevés, alors, par les responsables du Groupe chinois CITIC International. S’agissant de sa relation avec cette entreprise, l’orateur a rappelé qu’en sa qualité de conseiller financier, disposant d’une société au Luxembourg, il est mandaté pour chercher des financements auprès des banques internationales, en vue que celles-ci financent ses projets, notamment dans le cadre de l’autoroute Est-Ouest. D’ailleurs, il a avancé le même argument pour justifier les montants financiers trouvés dans ses comptes dans des banques nationales et étrangères. Tayeb Hellali, juge de l’audience, a évoqué le nom du Général Hassane. «Le connais-tu ?», a-t-il interrogé le prévenu. « Non, je ne le connais pas, j’ai juste entendu parler de lui», a-rétorqué Chani. Et le juge poursuit : «n’aies pas peur, parles en toute liberté de tout ce qui concerne le dossier, celui qui te touchera aura affaire à moi », a rassuré Hellali. «C’est Khelladi qui m’avait parlé du général qui est, par ailleurs, connu de tous…», a-t-il indiqué, et de clamer encore qu’il n’est pas esclave de l’argent, qu’il n’est qu’un homme d’affaires qui rentre souvent au pays pour essayer de ramener des investisseurs dans le cadre des IDE (Investissements directs étrangers), au vu et au su des services de sécurité, lesquels, a-t-il prétendu connaître, depuis les années 90. Plus loin encore, Chani a révélé que Khelladi lui a demandé de l’aider à prendre en charge son fils ayant contracté une maladie. D’aucuns ont estimé que Chani aurait pu être pris pour un avocat, si ce n’est la robe noire qui lui manquait en la circonstance. «Mr le juge, ramenez le général Hassane en témoin», a-t-il demandé. Le procureur général s’est invité au débat pour demander au prévenu de parler du projet de l’autoroute Est-Ouest. Chani a indiqué que le projet en question est rendu public, et il l’a su tout comme le savait l’opinion publique. Ainsi a-t-il répondu pour argumenter qu’il pas été exclusivement tenu au courant de ce projet. Il a aussi déclaré que ce projet a été signé par un Conseil interministériel. En réponse au procureur, qui a demandé à l’accusé l’origine du montant financier de 1,5 millions de dollars trouvé dans son compte, selon notamment l’arrêt de renvoi, Chani a encore expliqué qu’il s’agit du montant de la garantie financière qu’il avait facturée au profit du Groupe chinois CITIC International, « sachant que je suis mandataire de cette entreprise», a-t-il renchéri. Il explique encore qu’il a reçu ces montants financiers au nom de sa société « ACD Consulting » basée notamment au Luxembourg, suite à ses prestations et services que lui devait la société chinoise. En voulant resserrer l’étau autour de l’accusé, le représentant du ministère public lui a encore demandé des explications au sujet de sa rémunération, suite à son contrat basé sur la « confiance » comme l’a précisé Chani, avec la société chinoise. «Est ce que tu es payé en contrepartie de la garantie financière ?», a-t-il interrogé. «Bien sûr, croyez-vous que je travaille gratuitement ? », a-t-il répondu pour éclairer davantage sur son rôle en tant que financier dans cette affaire. Chani est allé encore plus loin, en indiquant que les poursuites dont il fait l’objet sont nulles, car, a-t-il argumenté, ses affaires sont menées à l’étranger. Le procureur lui a rappelé que les faits se sont déroulés en Algérie. En rappelant les conditions de son interpellation et son passage à l’interrogatoire, Chani, a tenu à déclarer qu’il est détenu « arbitrairement en Algérie», et qu’il a cautionné la déconstitution de ses avocats lors de la deuxième séance de l’audience, car, a-t-il indiqué ses droits élémentaires ne sont pas respectés. «Je préfère mourir comme un homme que de mourir comme un cafard dans la cellule», a-t-il lâché, l’air abattu.
Le général Hassan en témoin ?
Interrogé à donner plus de détails sur les activités professionnelles à travers ses entreprises et ses divers investissements, Chani Medjdoub a réservé une bonne part de ses réponses à expliquer en quoi consistent les activités de sa société Oriflame. Il s’agit pour lui d’une entité internationale dont la société mère se trouve en Suède. En rappelant maintes fois qu’il a toujours travaillé de manière à ce qu’il ramène le maximum d’investisseurs étrangers en Algérie, Chani a précisé qu’il a aidé cette société à s’implanter partout dans le monde, donc, pourquoi pas dans son propre pays, a-t-il avancé. Pour convaincre l’auditoire d’avoir fait le bon choix, il a expliqué que le système de fonctionnement d’Oriflame permet la création de milliers d’emplois. Ensuite, il a tenu à raconter devant le juge comment il a lancé et installé Oriflame-Algérie. «J’ai acheté le droit d’entrer à Oriflame sous forme de franchise et j’ai lancé un programme de formation au profit du personnel, dans les domaines de services et marketing», a-t-il fait savoir. En revenant au sujet de la transaction financière, Chani a indiqué qu’il s’est réservé le droit de parler du montant exact, du fait que celà relève d’un secret professionnel. Ainsi pour indiquer, là encore, qu’il est préjudiciable dans cet investissement, il a tenu à expliquer que la société mère lui a proposé l’achat de 30% des parts de marché d’Oriflame-Algérie, et s’est engagée, selon lui, à s’occuper uniquement du volet management. Chani a précisé qu’il était question que les Suédois lui versent 2 millions d’euros. Ce qui n’a pas abouti, puisque a-t-il encore raconté, il a été arrêté, en 2009 notamment, et le contrat est tombé à l’eau. «Ils ont repris Oriflame-Algérie et la société s’est arrêtée», a-t-il encore répondu au Procureur général qui lui a demandé d’expliquer les raisons de la fermeture de sa société, et d’ajouter encore qu’elle est domiciliée au Luxembourg et sa fiscalité dépend de ce pays. En outre, a-t-il précisé, sa domiciliation bancaire s’applique partout dans le monde, et de ce fait, a-t-il argumenté, elle est considérée légale. S’agissant des rentrées d’argent dans ses comptes, il a indiqué qu’elles représentent les rémunérations de services.
«Ghoul avait accordé la délégation de signature à Khelladi»
Appelé à se présenter devant la barre l’ex-secrétaire général du ministère des Travaux publics, Mohamed Bouchama, accusé et détenu depuis 2009 à la prison de Serkadji, a révélé devant le juge qu’au moment des faits, l’ancien ministre du secteur (Amar Ghoul, Ndlr) a accordé une délégation de signature à Mohamed Khelladi, ex-directeur des nouveaux projets de l’ANA (Agence nationale des autoroutes), également accusé dans cette affaire. C’est ainsi qu’il a répondu aux questions liées à son accusation. «Fin 2006, j’ai effectué une Omra et à mon retour j’ai appris que le ministre a délégué mohamed Khelladi pour signer des documents concernant le projet de l’autoroute Est-Ouest», a-t-il indiqué, pour se disculper des accusations portées contre lui. Il a ajouté qu’il a attiré l’attention du ministre sur le fait que du point de vue de la loi, il n’avait pas le droit de le faire. Plus encore, il a précisé que Khelladi a commis des erreurs pour se venger de lui, et qu’il ne s’agit là pour lui que d’un rendement de compte. «Je suis emprisonné parce que j’ai fais mon travail correctement», a-t-il regretté avant de craquer en déclarant notamment : «On m’a emprisonné, ce n’est pas grave, mais pourquoi ma femme, qu’a-t-elle fait ?», a-t-il regretté. Concernant ses contacts avec Chani, le prévenu a indiqué qu’il avait rencontré quelques 3 à 4 fois. La plus importante semble celle qui les a réunie dans une résidence à Club des Pins, Alger. Le juge lui a demandé d’expliquer pourquoi avait-il accepté de recevoir des cadeaux de Chani. L’ex-cadre du ministère des Travaux publics, a répondu qu’il était gêné d’avoir pris le cadeau dont il ne savait même pas ce que c’était, du fait qu’il se trouvait dans un sac que lui a donné Chani. «C’est une humiliation pour moi, j’ai fais ma carrière comme cadre de l’État». En revenant longuement sur le projet de l’autoroute Est-Ouest, Bouchama a indiqué qu’habituellement c’est le président de la Commission nationale des marchés qui signe les marchés des travaux publics, mais c’était le ministre des Finances qu’il l’avait signé, a-t-il ajouté en ce sens.
A l’heure ou nous mettons sous presse, l’audition des prévenus se poursuit.
Farid Guellil