Le temps des défilés imposants, à bord de véhicules tout-terrain rutilants et lourdement armés, bannières noires au vent, à travers les artères des villes qu’il occupait, semble relever, aujourd’hui, pour Daech, acronyme formé à partir des initiales de la traduction arabe de l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL), de l’histoire ancienne.
Sur tous les théâtres, où elle a fait, brusquement, intrusion, cette organisation terroriste est, en effet, en train de subir des revers à répétition. Qui lui ont fait perdre une bonne partie des territoires qu’elle avait occupés. Pour la seule année 2015, elle a perdu, selon des spécialistes qui suivent de très près ses péripéties, «entre 10 et 15% de ses gains territoriaux». C’est le cas (de subir des revers), depuis plusieurs mois maintenant, en Syrie et en Irak, deux pays où Daech s’est tout d’abord implanté. Mais également en Libye où son existense date de seulement une année. Une implantation, comme celle qui l’a précédée dans les deux pays susmentionnés, s’est faite très rapidement. Quasiment sans coup férir. Ce qui n’a pas manqué de pousser nombre d’observateurs de la scène politique arabe à s’interroger sur un tel phénomène; celui de la subite apparition de Daech dans le champ politico-sécuritaire de ces pays, et de sa brusque extension à travers leurs territoires respectifs. Surtout que les pays concernés avaient, et ont toujours, la particularité d’être confrontés à des violences politiques qui menacent leur existence en tant qu’États unifiés. Et que ces violences sont d’essence exogène: pour l’Irak, l’agression militaire américaine de 2003, décidée au prétexte fallacieux d’en chasser «le dictateur qui le dirigeait» et d’y instaurer la démocratie; et pour la Syrie et la Libye, le sinistre et mal-nommé «Printemps arabe», provoqué pour le même prétexte fallacieux. Un constat qui a amené tous les analystes impartiaux à déduire que ces deux prétextes et les agressions auxquelles ils ont donné lieu, participent, à l’évidence, d’un même objectif; celui de la reconfiguration de la carte politique du Monde arabe; laquelle reconfiguration présuppose le démembrement de cet espace géopolitique. Et de là à déduire que Daech (État Islamique en Irak et au Levant) n’est qu’un des outils de la concrétisation de ce plan machiavélique. Et ce, comme le révèlent, on ne peut mieux, les étapes de sa mise en place. Avorton de la branche d’Al-Qaïda en Mésopotamie (Al-Qaïda fi bilad errafidaïne) créée, en 2004, par le jordanien Abou Moussab Az-Zarqaoui, puis de l’État islamique en Irak, qui l’a été, lui, en 2006, par un certain Abou Omar Al-Baghdadi, Daech a été officiellement lancé, en 2013, et placé sous le commandement d’Abou Bakr Al-Baghdadi, son chef actuel, lequel s’est empressé, une année après, soit en juin 2014, de proclamer le rétablissement du Califat. Ces deux derniers faits s’étant déroulés alors que l’État islamique en Irak avait déjà étendu ses activités militaires en Syrie où la situation sécuritaire avait commencé à se détériorer dès 2011. Dans une confirmation de son rôle «d’outil» entre les mains des concepteurs du plan en question, Daech prend subitement pied, en juin 2015, dans une Libye déchirée.
Où très vite il s’est étendu. Au point de contrôler une bande littorale de quelque 250 km autour de Syrte, la ville natale de Kadhafi et symbole de ses ambitions africaines brisées par son ignoble assassinat, en octobre 2011. Sauf que ce plan semble, aujourd’hui, très sérieusement remis en cause par une série de faits, à l’origine des revers à répétition que subit, depuis plusieurs mois maintenant, Daech ; des revers qui coïncident avec l’entrée en jeu, sur le théâtre moyen-oriental, de la Russie. Et ce, en appui de la Syrie et, par ricochet, des deux principaux soutiens de celle-ci dans sa lutte contre l’agression salafo-djihadiste qu’elle subit depuis 2011, l’Iran et le Hizbollah libanais, à savoir.
Des revers que subit également, mais depuis ce dernier mois seulement, sa branche libyenne. Sauf que les faits qui se déroulent en Libye semblent être un acte d’anticipation des «maîtres du monde» : les revers que subit Daech en Libye étant le fait de troupes présentées comme relevant du gouvernement d’union nationale (GNA), dirigé par Fayez As-Serradj, qui a la double particularité de ne pas faire l’unanimité dans le pays, et d’être fermement soutenu par les pays occidentaux. Ce qui laisse supposer que ces derniers, en aidant le GNA à se «débarrasser» de Daech, veulent maintenir leur contrôle sur ce pays pétrolier, de surcroît situé à peu de distance du littoral sud de l’Europe. Un contrôle d’autant plus nécessaire que les oppositions aux menées déstabilisatrices de l’Occident dans la région sont aujourd’hui ouvertement contrées. La toute dernière entreprise, allant dans ce sens, a été incontestablement la réunion des ministres de la Défense russe, syrien et iranien qui s’est tenue, il y a trois jours, à Téhéran. Une réunion dont l’importance réside dans le fait qu’elle est perçue comme étant l’acte de naissance d’un véritable front international de lutte contre le terrorisme ; un front auquel, selon un officiel syrien qui est intervenu avant-hier sur la chaîne d’information continue Al-Mayeddine, «des pays de la région ont déjà annoncé leur adhésion».
Une nouvelle et celles relatives aux défaites successives que subit Daech sur tous les théâtres où il est présent, qui sont, à l’évidence, d’une «fin de mission» pour cette organisation terroriste. Toute la question est de savoir quel sera le prochain «chargé de mission» auquel sera confié la délicate –avec la mise en place du front de lutte antiterroriste annoncé– mission de poursuivre la concrétisation du machiavélique plan de démembrement du Monde arabe. Il serait, en effet, naïf et illusoire de croire que «les maîtres du Monde» vont, avec l’élimination qui s’annonce de leur «outil» qu’est Daech, abandonner la concrétisation de leurs sombres desseins dans la région arabe.
Mourad Bendris