Il y a un an, Kan Gueh Kan trouvait refuge à la base de l’ONU de Juba, en proie aux combats. Un an plus tard, comme des dizaines de milliers d’autres, il n’ose toujours pas sortir, alors que la guerre civile ravage son jeune pays. Ce jour-là, ses deux oncles venaient d’être assassinés devant lui. «J’ai couru pour sauver ma vie», raconte Kan. «Désormais c’est la peur qui me fait rester ici. Je ne sortirai que quand il y aura la paix», explique ce père d’un enfant. Le 15 décembre 2013, des combats ont éclaté à Juba, au sein de l’armée sud-soudanaise, minée par les antagonismes politico-ethniques, sur fond de rivalité au sein du régime entre le président Salva Kiir et son ancien vice-président Riek Machar, respectivement Dinka et Nuer, les deux principaux peuples de la nation indépendante depuis le 9 juillet 2011 seulement. Les jours suivants, les meurtres de Nuer par des unités dinka, à Juba, ont accompagné tirs et explosions, poussant de plus en plus de gens vers la base de l’ONU de la capitale. Parallèlement, les combats ont essaimé rapidement dans d’autres régions du pays, là aussi accompagnés de massacres et d’atrocités sur des fondements ethniques de la part des deux camps. A la différence du reste du pays, Juba a retrouvé son calme en quelques jours. Mais plus de 30.000 personnes terrifiées continuent, malgré les conditions très difficiles, de vivre derrière les barbelés protecteurs des deux bases de l’ONU, dans des camps de fortune de tentes et de bâches en plastique. Et près de 70.000 personnes supplémentaires s’entassent dans les autres camps de l’ONU du pays. «Comment sortir, alors qu’il n’y pas la paix ?», interroge Veronica Henry, la cinquantaine, sur la base de l’ONU à Juba.«Ça fait un an que nous sommes là, mais nous sommes en vie», souligne de son côté Thong Gai, assis un peu plus loin. Aucun bilan humain du conflit n’est disponible, mais l’International Crisis Group estime qu’au moins 50.000 personnes ont été tuées et certains diplomates évoquent le double.
«Bataille
contre la famine»
Près de deux millions de personnes au total ont été chassées de chez elles par les combats et les massacres contre les civils. La moitié des 12 millions d’habitants ont besoin d’aide humanitaire et plus de 900.000 enfants souffrent de malnutrition selon l’ONU. «C’est dur de vivre ici, mais il n’y a rien qu’on puisse faire (…) il nous faut juste être patient et la paix reviendra un jour», espère Thong Gai. Pourtant, la paix semble loin et les cessez-le-feu signés à plusieurs reprises depuis un an sont tous restés lettre morte.
Et même si Veronica Henry «supplie la communauté internationale» de faire «pression sur le gouvernement et l’opposition», les menaces internationales de sanctions adressées à plusieurs reprises aux belligérants, ont jusqu’ici eu peu d’effet. Vendredi, le président américain Barack Obama a de nouveau appelé les leaders du pays à mettre fin au «cycle de la violence» et à «engager un processus de réconciliation». «Nous avons lutté tellement longtemps pour ce pays», souligne amèrement Veronica Henry. L’euphorie de juillet 2011, quand les Sud-Soudanais unis célébraient la liberté et la paix après l’un des plus longs conflit d’Afrique (1983-2005) contre le régime de Khartoum, s’est évanouie à mesure que le pays s’enfonçait à nouveau dans un déchaînement de violence indescriptible. Et il est peut-être déjà trop tard, selon des analystes. Même si MM. Kiir et Machar s’entendent sur un accord de paix, leurs forces respectives se sont scindés en une vingtaine de groupes et milices, dont une partie échappent désormais à leur contrôle. Les agences d’aide évoquent une situation désespérée. Le responsable de l’ONG Oxfam au Soudan du Sud rappelle que des millions de Sud-Soudanais «souffrent de la faim du fait d’une situation engendrée par l’homme». La famine qui menace depuis plusieurs mois a jusqu’ici été évitée, grâce notamment à des parachutages massifs de vivres, mais «nous bataillerons à nouveau contre le temps et contre la famine début 2015», a averti le chef de l’aide humanitaire de l’ONU dans le pays, Tony Lanzer. «La situation reste grave aujourd’hui, mais cela pourrait bien être encore pire». Pour Skye Wheeler, de Human Rights Watch, «il faut craindre de continuer à voir un dangereux fossé, réellement effrayant entre les deux principaux groupes ethniques» du pays.