Le gouvernement et les rebelles sud-soudanais ont intensifié l’enrôlement forcé d’enfants-soldats, raflés par «centaines» durant le seul mois de février pour combattre dans la guerre civile déchirant le pays depuis 15 mois, s’est alarmée vendredi l’Unicef. Le Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef) estime que depuis le début du conflit plus de 12.000 enfants (essentiellement des garçons) ont été enrôlés comme combattants, aussi bien par l’armée sud-soudanaise que par les rebelles et la vingtaine de milices qui les soutiennent. «Nos équipes sur le terrain et nos partenaires font état d’une forte recrudescence de recrutement en ce moment», a déclaré vendredi Jonathan Veitch, représentant de l’Unicef au Soudan du Sud, lors d’une conférence de presse à Genève. Dans le Nord en particulier, «la situation est de plus en plus désespérée pour les garçons (…) Ils sont raflés et envoyés sur la ligne de front. Cela se passe au moment où je vous parle». «Nous avons reçu des informations crédibles, que nous avons pu vérifier dans certains cas, indiquant que le gouvernement et l’opposition ont enlevé (…) au cours du seul mois dernier des centaines d’enfants pour les enrôler», a expliqué M. Veitch. Le Soudan du Sud est la plus jeune nation au monde, devenue indépendante du Soudan en 2011 après une longue guerre d’indépendance (1983-2005), durant laquelle de nombreux enfants avaient déjà servi dans les rangs de la rébellion sudiste SPLA, devenue l’armée nationale sud-soudanaise. Sous pression internationale, le Soudan du Sud avait ensuite fait des efforts pour démobiliser ces enfants et interdire l’enrôlement de mineurs. Mais cette pratique a repris dès qu’a éclaté la guerre civile, le 15 décembre 2013, lorsque le président Salva Kiir avait accusé son ancien vice-président Riek Machar de préparer un coup d’Etat.
Atrocités à grande échelle
Depuis, les combats ont dévasté toutes les villes du pays, des dizaines de milliers de personnes ont péri, deux millions au moins ont dû fuir leurs foyers, quatre millions sont au bord de la famine, et le gouvernement comme les rebelles sont accusés d’atrocités à grande échelle: viols en masse, massacres (souvent à caractère ethnique), attaques contre les humanitaires et les Casques bleus… Début mars, le Conseil de sécurité de l’ONU avait adopté une résolution prévoyant des sanctions contre les belligérants, non appliquées pour le moment. Cette initiative visait à pousser les deux camps à ébaucher un accord de paix, ce dont ils se sont avérés incapables jusqu’ici malgré d’interminables et coûteuses négociations (plus de 20 millions de dollars déjà dépensés) dans de luxueux hôtels d’Addis Abeba, en Ethiopie. M. Veitch a rappelé vendredi aux belligérants que la résolution de l’ONU «mentionne spécifiquement le recrutement d’enfants-soldats comme critère pour imposer des sanctions».
Selon lui, des «centaines» d’enfants ont été kidnappés courant février dans la ville de Wau Shilluk, dans l’Etat pétrolifère du Haut-Nil (nord-est), durant une attaque des miliciens pro-gouvernementaux du général Johnson Olony. «Malgré des appels au gouvernement et à la milice (…), aucun enfant n’a été relâché sans conditions», a déploré M. Veitch. Certains enfants ont depuis été autorisés à rentrer chez eux pendant la journée mais restent obligés de retourner dans des camps d’entraînement pour la nuit, tandis que l’Unicef dispose d’»informations crédibles» indiquant que d’autres ont déjà été envoyés sur la ligne de front, à Kaka. Dans l’Etat d’Unité (nord), la situation en zone rebelle s’est également gravement détériorée, avec des combattants venant rafler hommes et enfants, a décrit le représentant de l’Unicef.
L’agence de l’ONU a récemment négocié la libération de 3.000 enfants des rangs d’une milice de l’Etat du Jonglei (est) commandée par le chef rebelle David Yau Yau, rallié à l’ancien vice-président Machar. Jusqu’à présent, environ 660 enfants-soldats ont été démobilisés et pris en charge par les organisations humanitaires. Quelque 585 autres, dont des filles, devraient l’être prochainement, a assuré M. Veitch. Selon l’Unicef, plus de 800.000 enfants ont été déplacés par les combats, et 344.000 autres ont fui le pays. Cette semaine, rebelles et gouvernement ont une fois de plus semblé enterrer les espoirs de paix à court terme, les premiers ne jurant que par une victoire militaire, le second rejetant toute possibilité de participation de Riek Machar au pouvoir.