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Sortie : Rafi Pitts raconte «Soy Nero»

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Cinéaste iranien contraint à l’exil, Rafi Pitts signe avec «Soy Nero» un film passionnant sur le sort des migrants mexicains qui s’engagent dans l’armée pour devenir américain. Il nous explique ses choix narratifs et de mise en scène.

«Soy Nero» raconte le destin des «Green Card Soldiers», migrants privés de la nationalité américaine après le «Patriot Act» et qui s’engagent dans l’armée US pour redevenir des citoyens américains. «Je voulais traiter du sujet de l’appartenance et la dureté dans lequel le monde se trouve», nous explique son réalisateur, l’Iranien Rafi Pitts. «Les Etats-Unis sont un pays d’immigrés. Après tout, les seuls gens qui pourraient revendiquer leur terre, ce sont les Indiens d’Amérique du Nord.» En exil depuis 2008, Rafi Pitts connaît bien les sentiments des hommes déracinés. «Comme je ne peux plus retourner dans mon pays, l’Iran, j’ai éprouvé ce sentiment de vivre dans un No Man’s Land».

Ce n’est pas un film anti-Américain mais un film d’Américains
Bien sûr, il n’est pas Mexicain comme le jeune héros du film, mais le propos de «Soy Nero» est universel : «Un film quand vous le faites, il démarre forcément de soi. J’ai un père anglais, une mère iranienne et un beau-père français, mais pour les trois, je viens de l’autre côté. Je me suis mis à écrire le film avec un scénariste roumain formidable. Nous voilà à deux. Puis les comédiens arrivent dans le projet. Ce sont des Américains qui connaissent leur pays et veulent exprimer leur douleur à travers le film. Plus le projet avançait, plus nous avions des points de vue différents. C’est vraiment un film d’un groupe de gens concernés par le sujet. C’était primordial. Ce n’est pas un film anti-Américain mais un film d’Américains qui se posent des questions sur l’Amérique d’aujourd’hui. Nero se sent Américain même si on lui a enlevé ses papiers.» Avec la campagne anti-immigrés de Donald Trump, le film est d’une troublante actualité. «Ce qui me fascine chez l’homme c’est que l’on éprouve ce besoin d’appartenir à une communauté alors que l’on est déjà quelqu’un. On a tous besoin d’appartenir à quelque chose, une mouvance, un pays. Nous voulons être reconnus pour cette appartenance. Cela engendre de la violence car nous rejetons sans cesse celui dont nous ne voulons pas. Nous construisons des ennemis à force de rejeter.» Hasard du calendrier, «Soy Nero» sera projeté lors du Festival de Los Cabos, au Mexique, le soir même de l’élection présidentielle américaine, le 8 novembre prochain.

Le Moyen-Orient c’est le bac à sable
Pour la mise en scène, Rafi Pitts a voulu coller aux aspirations de son personnage. «C’est le film qui vous dirige. Nous sommes dans trois lieux différents, trois regards différents. La partie de guerre est filmée avec des téléobjectifs. Cela venait d’un tatouage d’un Green Card Soldier qui montrait un ourson dans un bac à sable et qui m’a dit : le Moyen- Orient c’est le bac à sable. D’où cette volonté d’écraser le paysage. Autre exemple, pour la traversée de la frontière, je me suis inspiré du récit d’un soldat guatémaltèque, le premier Green Card Soldier qui est mort au front en Afghanistan. Il a traversé la frontière au même endroit, le soir du Nouvel An. Je voulais aussi montrer un feu d’artifices car cela représente à la fois le rêve et une forme de violence. Cela permet un effet de miroir avec les explosions du troisième acte. Quand le personnage se retrouve à Beverly Hills, il se retrouve dans son rêve, je tourne avec des grands angles pour le laisser libre dans l’espace. Au Mexique, pour la première partie, je tourne aussi avec des téléobjectifs car il est confronté à des murs qui l’empêchent de passer la frontière.»

Une idéologie économique
Le film aurait d’ailleurs pu s’appeler «Les Murs» tant le cinéaste rappelle que les murs «physiques» ne sont pas les plus difficiles à traverser… «Le mur est une représentation symbolique. Les murs sont dans la tête des gens. Les murs physiques, on peut toujours les franchir. Tout le monde s’enferme dans une situation et la difficulté de l’homme est de briser cela. Il y a toujours des limites qui sont fixées. Le frère est représentatif de gens qui pensent être hors la loi alors qu’il est piégé lui aussi par le système.» «Faire du cinéma est compliqué, en Iran comme ailleurs. Bien sûr en Iran, il faut détourner la censure pour juste obtenir des autorisations de tournage. On ne pourra jamais empêcher un cinéaste de dire ce qu’il pense. On essaie de raconter des histoires qui concernent l’Autre et les difficultés de la société. Les films sont difficiles à financer, il y a une idéologie économique.»

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