La situation en Libye est-elle en passe de basculer dans un sens qui, en apparence, prend le contre-pied de tous les scenarii alarmants, sur un proche contrôle de ce pays par l’énigmatique Daech, qui avaient cours jusqu’à il y a si peu ?
Pour être précis, jusqu’à l’annonce, ces tout derniers jours, d’une avancée déterminante de forces militaires relevant du Gouvernement d’union nationale (GNA) en direction de ce qui est présenté comme étant le fief de l’EI (État islamique) en Libye ; à savoir, la ville de Syrte, à quelque 450 km à l’est de Tripoli, la capitale libyenne, dont la symbolique réside dans le fait qu’elle est la ville natale et de décès de l’ancien leader libyen, Mouammar Khadafi, froidement et lâchement assassiné, en octobre 2011, par de prétendus révolutionnaires, et la cité qui exprimait le mieux ses ambitions panafricanistes : Syrte abritait, en effet, un imposant centre de conférences dont le nom, Ouagadougou, est la parfaite illustration de telles ambitions. Ironie du sort, c’est dans ce centre que Daech a établi ses quartiers après sa prise, quasiment sans coup férir, en juin 2015, de la ville. Et d’où, à en croire les dernières nouvelles provenant de Libye, il est en passe d’en être chassé. Par l’avancée précitée des troupes du GNA. Des informations, diffusées dans la journée d’hier, font même état de l’entrée de celles-ci dans plusieurs quartiers de Syrte et du bombardement du centre de conférences Ouagadougou où, dit-on, est installé le commandement de Daech (pour la Libye). Est-ce le prélude à une fin prochaine de la présence dans le pays de Mouammar Kadhafi de cette énigmatique –quant à ses origines et aux objectifs réels pour lesquels elle combat– organisation terroriste apparue, en 2006, en Irak, et qui a pris une subite –et, partant, suspecte– ampleur à partir de 2014? Tout porte à le croire. Sauf que nombre d’observateurs de la scène libyenne ne manquent pas de s’interroger sur la rapide évolution que celle-ci est en train de connaître. Sur les raisons à son origine, mais également sur ce qui en est attendue. Faut-il le préciser, par ceux qui l’ont permise. Des interrogations rendues inévitables par un certain nombre de faits. Le plus manifeste étant la facilité avec laquelle le Gouvernement d’union nationale (GNA) est en train de s’imposer sur la scène libyenne ; lui qui, un peu moins de six mois après sa constitution : il l’a été en janvier 2016, en application des Accords de paix de Skhirrat, parrainés par l’ONU et signés un mois auparavant, n’est toujours pas reconnu par toutes les parties libyennes. Notamment, par le «Parlement de Tobrok», pourtant reconnu par la communauté internationale, et les partis et milices qui le soutiennent ; mais également, élément important parce qu’il souligne davantage la pertinence des interrogations susmentionnées des observateurs en question, par «l’armée nationale libyenne» que dirige le général Khalifa Haftar ; un ancien officier supérieur de l’armée du leader libyen assassiné, qui avait fait défection lors de l’intervention libyenne dans la bande d’Aouzou, au nord du Tchad (entre 1978 et 1987), et n’est réapparu qu’après la «révolution» ; dans le camp des «révolutionnaires» faut-il le préciser. Des oppositions qui expliquent, en grande partie, le grand retard que le Gouvernement d’union nationale, que dirige Fayez Es-Serraj, un homme d’affaires tripolitain, a mis pour «rentrer au pays». Il ne l’a fait, en effet, qu’en mars de la présente année. Soit, trois mois après sa constitution. Quant à l’autre fait qui pousse les observateurs de la scène libyenne à s’interroger sur les raisons à l’origine de la brusque évolution que connaît présentement la situation militaire en Libye, il a trait à la non moins subite évolution des capacités militaires du GNA. Quasiment inexistantes à son entrée (au pays), celles-ci ont tout l’air d’avoir considérablement augmenté en un temps record : l’offensive en cours contre la ville de Syrte ayant été officiellement lancée le 12 mai dernier. Ce qui suppose que le GNA, soit, avait acquis entre-temps des armements auprès de pays tiers qui lui ont permis de lancer la présente offensive; soit, bénéficie d’une «aide» directe, mais discrète, sous forme d’envoi d’éléments de leurs forces armées, de certains pays occidentaux et arabes ; les mêmes, dit-on, qui sont intervenus en Libye en 2011. Si la première (supposition) est à écarter, du moins, officiellement : un embargo international sur les armes étant toujours imposé à la Libye, la seconde est, en revanche, parfaitement plausible. Un constat, pour nous en tenir à cela, la conforte. Dans les communiqués diffusés par le GNA sur les opérations en cours à Syrte, il est fait état de l’engagement de forces aussi bien terrestres qu’aériennes et maritimes que celui-ci, pour des raisons évidentes liées au caractère récent de sa constitution et à toutes les oppositions auxquelles il continue de faire face, ne peut pas posséder en propre. Pour tous les observateurs impartiaux, seule une intervention directe des pay soccidentaux et arabes a pu les fournir. Une assertion d’autant plus recevable que la présence de militaires occidentaux et arabes engagés dans des opérations armées au sol est régulièrement signalée par nombre d’analystes, là aussi, impartiaux de la situation libyenne.
D’où la question est aujourd’hui de savoir à quels objectifs non avoués obéissent cette brusque défaite qui s’annonce de Daech en Libye. Une question d’autant plus pertinente qu’il y a peu c’était l’extension, présentée par tous les médias occidentaux et arabes aux ordres et quasiment tous les officiels occidentaux, comme étant inéluctable, de Daech en Libye qui était «le sujet de préoccupation» par excellence. Une question qui entraîne une autre, cette fois-ci, sur le brusque changement de stratégie occidentale dans ce pays, et, par ricochet, dans toute la région, qui se profile derrière cette subite «perte de combativité» de Daech en Libye; une «perte de combativité» qui annonce son élimination prochaine du théâtre libyen. Est-ce à dire que les pays occidentaux ont abandonné leur plan de démembrement du pays de Mouammar Kadhafi ? Ce serait méconnaître leur légendaire duplicité que de le croire. Les mêmes observateurs expliquent cette «disqualification» de Daech qui s’annonce en Libye, par l’évolution de la situation sur le théâtre moyen-oriental où l’organisation terroriste dirigée, en apparence, par Abou-Bakr El-Baghdadi, l’autoproclamé «calife de l’État islamique» est en nette perte de vitesse. Une «perte de vitesse» à laquelle ont grandement contribué l’implication directe, dans les crises syrienne et irakienne, de la Russie, de l’Iran et du Hezbollah libanais. Et qui annonce, à terme, l’écrasement total, dans cette partie du monde, de cette organisation terroriste ; un écrasement qui signifie un coup d’arrêt, peut-être irrémédiable, à la stratégie occidentalo-sioniste de reconfiguration de toute la carte politique de l’aire arabo-sahélienne. Ce qui n’est aucunement une simple vue de l’esprit.
Comme le révèle la tenue avant-hier, à Tehéran, d’une importante réunion qui a regroupé les chefs d’états-majors des armées russe, iranienne et syrienne. Surtout que l’objectif déclaré de cette réunion était la mise en place d’une stratégie à long terme d’une lutte implacable contre le terrorisme.
Et que les participants ont annoncé que cette stratégie était ouverte à tous les pays qui voulaient s’y intégrer. Analysant les résultats de cette rencontre, un analyste politique libanais qui intervenait sur la chaîne satellitaire d’information continue, El-Mayaddeen, a vu dans la rencontre de Téhéran «la naissance d’un véritable axe international de lutte effective contre le terrorisme».
Un axe auquel, l’Algérie ne saurait rester indifférente. Et qui sera un contrepoids certains aux menées occidentalo-sionistes, directes ou par pays croupions interposés, dans la vaste aire arabo-sahélienne.
Mourad Bendris