La main de sa fille morte dans la sienne, le regard flottant au-dessus des décombres: avec sa photo diffusée dans le monde entier, Mesut Hancer symbolise la douleur des victimes du séisme en Turquie qui a fait plus de 50.000 morts. « Un an est passé. Mais le temps s’est arrêté pour nous.
Cette douleur ne passe pas. Notre être le plus cher est parti », confie Mesut Hancer dans son salon aux murs couverts de photos et de dessins de sa fille. « Pas un instant ne passe sans que nous ne pensions à elle », ajoute en pleurs la mère, Gülseren Hancer. La veille du séisme, le 5 février 2023, la jeune fille s’était rendue chez sa grand-mère pour voir ses cousines venues d’Istanbul et de la province d’Hatay. Elle a insisté pour y rester dormir, sans imaginer que les vingt-deux immeubles de huit étages de la cité Ebrar de Kahramanmaras, où vivait son aïeule, allaient presque tous s’effondrer en quelques secondes cette nuit-là. Lorsque Mesut Hancer et son fils Berkay, 23 ans, se sont rués sur place, il ne restait qu’un tas de ruines de la cité, qui a englouti 1.400 personnes.
Ils ont dû attendre le lever du jour pour commencer à chercher Irmak et tenter de dégager les gravats à mains nues.
Ce n’est que le lendemain que Mesut Hancer a découvert son corps sans vie, prisonnier du béton.
« Prends des photos de mon enfant »
« La voir comme cela m’a fait tellement mal », dit-il. Pétrifié de chagrin, il s’assied sur les ruines et prend dans les siennes la main de sa fille morte. Il ignore combien de temps il est resté ainsi avant d’apercevoir le photographe de l’AFP, Adem Altan. « Prends des photos de mon enfant », murmure-t-il alors en sa direction. Reprise en une par la presse du monde entier, cette photo est devenue virale sur les réseaux sociaux, partagée des centaines de milliers de fois par des internautes bouleversés.
Ému par son histoire, un homme d’affaires d’Ankara, Necat Gülseven, propriétaire de la chaîne de télévision TV 100, a offert un logement et un emploi au père de famille qui était boulanger à Kahramanmaras. Irmak était la plus jeune de ses quatre enfants.
Depuis le désastre, son fils Berkay est devenu policier, espérant rejoindre les unités spéciales de recherche et de sauvetage déployées lors des séismes. « On tente de s’habituer à Ankara », dit-il. « J’ai aussi perdu ma mère, mon frère, ma belle-soeur et mes nièces dans le séisme. Mais perdre son enfant n’a rien de comparable ».
Pas d’espoir de justice
La cité Ebrar avait été construite sur un terrain instable, avec des matériaux de mauvaise qualité, au point que le béton utilisé s’effritait à la main, a conclu un rapport d’experts judiciaires. Deux des promoteurs qui ont comparu pour la première fois mi-janvier devant la justice ont pourtant nié toute responsabilité. Mesut Hancer ne croit pas que justice sera faite. « Un an a passé, un des promoteurs est toujours en fuite. Le terrain était l’ancien lit d’une rivière. Ceux qui ont autorisé la construction sont aussi responsables », dénonce-t-il.
La famille ne s’est pas constituée partie civile, pensant qu’un tel effort serait vain. « Cela ne va pas faire revenir ma fille », soupire la mère. Les procès ne visent que les promoteurs, épargnant les responsables politiques et fonctionnaires chargés des permis de construire, s’insurgent les associations de victimes.
La famille Hancer sera à Kahramanmaras le 6 février, sur la tombe d’Irmak. « Le cimetière où elle repose est désormais ma seconde maison », assure sa mère. « J’ai l’impression qu’elle m’attend là-bas ».