C’est une année bien particulière que s’apprête à entamer la famille de l’éducation. Outre les problèmes déjà existants, et qui n’ont pas été solutionnés à ce jour, les responsables du secteur font face à une année scolaire difficile qui aura lieu dans un contexte sanitaire marqué par la pandémie du Covid-19. Maintenant que le calendrier tant attendu du retour à l’école est fixé pour les trois paliers, et ce après plus de sept mois d’arrêt, la question de l’organisation de cette rentrée et du reste de l’année scolaire 2020/2021 demeurent la principale préoccupation. Entre les appréhensions des uns, et les interrogations des autres, le sort de plus de huit millions d’élèves reste lié à la compétence et à la volonté politique des responsables et notamment des différentes décisions qui seront prises pour pouvoir justement gérer cette année. Une mission qui s’annonce en tout cas très difficile car le secteur de l’Éducation est déjà miné par des problèmes à tous les niveaux. Celui ci devra, non seulement, faire face à un virus qui risque, au moindre relâchement de la vigilance, de pousser à la fermeture des écoles une seconde fois, mais aussi à un travail pédagogique important devant le décrochage des élèves après plus de sept mois d’arrêt des cours. Face à un flagrant manque d’encadrement et de sérieux problèmes de moyens, surtout au niveau des wilayas à l’intérieur et au sud du pays, l’application stricte et rigoureuse du protocole de prévention contre le COVID-19 risque d’être compromise. Aussi l’eternel problème de surcharge des classes posera un souci quant au respect de la distanciation physique entre les élèves même en allant vers l’option de la double vacation. Les représentants de syndicats et de parents d’élèves sont en tout cas conscients de cette réalité qui risque d’être à l’origine de beaucoup de tentions durant cette année scolaire.
Boualem amoura : « Cette année est très spéciale »
Ce syndicaliste qui ne va pas avec le dos de la cuillère et ne mâche pas ses mots quand il s’agit de dénoncer un système éducatif «sinistré», a qualifié l’année 2020/2021 de «très spéciale» et à qui on a déjà amputé deux mois de cours « très essentiels dans la réalisation du programme scolaire ». Se disant étonné d’entendre ça et là que le temps perdu «peut facilement être rattrapé », Amoura répond par «c’est juste impossible» car selon lui, en temps normal déjà, les programmes ne sont pas achevés. Pour ce qui est de recourir à la suppression des vacances afin justement d’intensifier les cours, il qualifie la mesure d’absurde expliquant que les enfants ont besoin en moyenne d’un congé de deux semaines après chaque six mois de cours et c’est sur avis des experts du rythme scolaire. Selon Amoura, si l’on parle aujourd’hui de réduction du volume horaire, d’allégement des programmes et de la suppression des vacances scolaires c’est parce que les propositions des syndicats n’ont jamais été pris en considération. « Nous avons travaillé sur les rythmes scolaires pendant une année (2011/2012) et si on avait appliqué depuis ce temps les résolutions auxquelles nous sommes arrivés, on ne serait pas là aujourd’hui ». N’écartant pas une possibilité d’une deuxième vague de la pandémie du COVID en Algérie, le secrétaire général du SATEF dénonce le manque d’anticipation de la part des responsables du secteur. « Aucune disposition n’est prise pour faire face à une telle éventualité », a-t-il déclaré, regrettant l’impossibilité de pouvoir organiser des cours par internet comme cela se passe partout ailleurs dans le monde, en raison de la médiocrité du réseau internet qui n’est même pas disponible dans certaines régions du pays. De l’application du protocole sanitaire, lors de la prochaine rentrée fixée au 21 octobre pour le primaire et le 4 novembre pour le secondaire et le moyen, Amoura fait état d’un manque flagrant de moyens financiers pour se faire. « Il y a des écoles qui n’ont même pas de femmes de ménage faut qu’on arrête de se voiler la face ou de mentir », a-t-il déploré à ce propos.
« Nous n’accepterons pas l’exploitation des enseignants »
Évoquant le problème du manque d’encadrement notamment pour faire face à la situation sanitaire dans les écoles, mais aussi le souci du recrutement qui sera difficile en raison de la crise économique, Boualem Amoura déclare d’or et déjà refuser toute exploitation du personnel enseignant. « On va certainement leur imposer des heures supplémentaires, et nous savons à l’avance que les conditions de travail vont être rudes » a-t-il relevé avant d’affirmer que dans ce cas là sa formation syndicale va intervenir car son rôle est justement de défendre les travailleurs. «Nous n’accepterons pas de travailler dans des conditions lamentables et d’esclavagisme. Et si c’est le cas, il y aura certainement des grèves et des manifestations », a-t-il prévenu. Avant de terminer, notre interlocuteur a pointé du doigt les responsables au niveau local, qualifiant leur gestion de « catastrophique ». « La majorité des directeurs de l’éducation sont incompétents, et ce n’est pas avec ces gens là qu’on pourra appliquer les programmes scolaires et le protocole sanitaire ni améliorer l’école algérienne » dira-t-il.
Djamila Khiar : « il faut organiser l’année scolaire objectivement »
Selon la présidente de la Fédération nationale des parents d’élèves, Djamila Khiar, « le retour à l’école était une nécessité afin de sauver l’année scolaire mais surtout empêcher le décrochage des élèves ». Pour elle, la fixation du calendrier de la reprise ne peut être que saluée car il fallait absolument remettre les élèves dans le bain des études après plus de sept mois d’arrêt. Toutefois, la conjoncture particulière dans laquelle se déroulera la rentrée, a souligné Khiar, allusion faite à la pandémie du covid, nécessite l’application stricte du protocole sanitaire contre le virus « validé par la commission scientifique ». Et la réussite de ce protocole passe, selon notre interlocutrice, à travers la prise de décisions objectives permettant une organisation bien étudiée de l’année scolaire. Elle entend par «décisions objectives», l’allégement des programme scolaires, et le maintient des matières essentielles seulement. «On peut très bien se passer de certaines matières, et de ne garder que l’essentiel », a-t-elle cité à titre d’exemple. Aussi Khiar a insisté sur la mise en place de moyens permettant de mettre en œuvre le dispositif sanitaire contre la propagation du virus, et a appelé les établissements scolaires à s’organiser pour la réussite de cette mission qui est, reconnait elle, difficile notamment en ce qui concerne le respect de la distanciation physique. Ce qui est certain, admet Khiar est qu’une mobilisation générale est nécessaire y compris celle de la famille qui doit elle aussi s’impliquer pleinement afin d’empêcher à ce que le virus ne circule dans les écoles ce qui conduira forcément à une fermeture de ces établissements comme cela s’est produit dans beaucoup de pays.
Boudiba pointe du doigt des difficultés financières
Le porte-parole du Conseil national du personnel enseignant du secteur ternaire de l’éducation (Cnapest), Messaoud Boudiba, s’interroge quant à lui sur la capacité des établissements scolaires à mettre en œuvre strictement le protocole sanitaire contre le COVID. Selon lui, la majorité des établissements scolaires seraient dans l’incapacité financière à appliquer le dispositif de prévention appelant à cet effet l’État à prendre les décisions qu’il faut et rapidement pour palier à ce problème et accueillir dans les meilleures conditions possibles les élèves. Boudiba a également mis en exergue la question de la surcharge des classes et le nombre limité d’infrastructures scolaires, exprimant ainsi des craintes face à cette situation rappelant que l’épidémie existait toujours et représente une menace permanente. Il a également exprimé des appréhensions quant à l’aspect pédagogique et la manière que va être gérée l’année scolaire surtout avec le problème de décrochage des élèves après sept mois d’interruption.
Ania Nait Chalal