Le commerce illégal des drogues dans l’Union européenne représente, selon une estimation établie par les auteurs du rapport 2016 de l’OEDT (Observatoire européen des drogues et des toxicomanies), qui a été présenté, avant-hier à Bruxelles, «au moins 24 milliards d’euros annuellement».
Un chiffre, déjà faramineux, que le directeur de l’OEDT, Alexis Goosdeel, un des animateurs avec Rob Wainwright, directeur d’Europol, de la conférence de presse durant laquelle le rapport en question a été présenté, trouve toutefois en-deçà de la réalité : (celle-ci) a-t-il en effet déclaré, se situant «plutôt en haut de la fourchette 21-31 milliards d’euros». Sauf que le fait marquant -du fait de sa gravité- contenu dans ce rapport est incontestablement ce que ses auteurs ont pudiquement appelé «les recoupements observés entre le commerce illégal des drogues et les activités terroristes et le trafic d’êtres humains». En termes plus clairs, le rapport 2016 de l’OEDT, à la rédaction duquel Europol a directement contribué, n’a fait que reconnaître une réalité par trop patente ces dernières années, pour tous les observateurs avisés ; à savoir, la jonction entre le terrorisme et le grand banditisme. C’est, à l’évidence, ce fait qui a amené les animateurs de la conférence de presse à déclarer, dans le sillage des rédacteurs du rapport qu’ils ont présenté, que «les marchés des drogues représentent une des principales menaces pour la sécurité de l’Europe». Comme pour expliciter davantage leurs propos, les auteurs du rapport 2016 de l’OEDT ont ajouté que «l’impact négatif des marchés des drogues sur la société va au-delà des seuls dommages par la consommation de drogue». Outre leur «articulation» précitée «à d’autres formes de criminalité et au terrorisme », ils ont également, ont précisé les rédacteurs dudit rapport, une influence manifeste « sur l’économie», et ce, par le biais «du blanchiment» de l’argent qu’ils génèrent ; «sur l’environnement», du fait «des déchets découlant de l’utilisation, dans la production des drogues, de produits chimiques» ; et «sur les institutions gouvernementales dont ils grèvent le budget», par « le risque de corruption auquel ils exposent les fonctionnaires (de celles-ci)». Au vu de l’estimation précitée de 24 milliards d’euros desdits marchés, il y a fort à parier que leurs influences et risques soulignés sont tout sauf d’une ampleur qui pourrait être qualifiée de faible. Une ampleur qui, bien que non révélée, a toutes les chances de croître à l’avenir. Et ce, pour au moins deux raisons essentielles. Qui se trouvent dans le rapport 2016 de l’OEDT. Il est, en effet, difficile de croire que «les groupes criminels organisés (GCO)» – c’est ainsi que les deux organismes européens susmentionnés désignent les réseaux s’adonnant à diverses activités criminelles, dont le terrorisme – activant, présentement, dans l’espace européen, abandonnent d’eux-mêmes une de leurs activités (le trafic de drogue) « les plus rentables » ; et ce, comme le reconnaissent, d’ailleurs, les auteurs du rapport. Une rentabilité, au demeurant, parfaitement illustrée par l’exemple tiré d’une enquête menée par Europol, donné par le directeur de cet organisme, selon lequel « pour un investissement de 300 000 euros dans une seule opération, des trafiquants (de drogue) ont retiré un bénéfice de… sept (7) millions d’euros». La deuxième raison a trait au nombre grandissant d’Européens qui « consomment» des drogues. S’en tenant au seul cannabis qui demeure, est-il précisé dans le rapport 2016 de l’OEDT, «de loin la drogue la plus consommée dans les pays de l’Union européenne (UE)», ses rédacteurs ont indiqué «qu’environ 1% des adultes européens (en) consomment quotidiennement ou quasi-quotidiennement». Et que durant «l’année écoulée (2015), 22 millions d’Européens en ont consommé».
Le penchant des Européens pour cette herbe hallucinogène qu’est le cannabis s’explique par trois raisons ; deux sont exposées dans le rapport en question, et la troisième n’y figure pas. Pour celles exposées, il s’agit de « l’impact de l’internet qui a permis de raccourcir les chaînes d’approvisionnement », et de « la faible évolution, sur dix années, des prix à la consommation »: le gramme de cannabis, sous forme d’herbe ou de résine, étant passé, durant cette période, « de 7 euros à seulement 12 euros ». Quant à la troisième, non exposée, elle a trait à la proximité du pays de provenance de la plus grande partie du cannabis consommé en Europe; le Maroc, à savoir. Ce qui n’est pas pour étonner quand on sait que notre « voisin de l’Ouest » caracole, depuis plusieurs années maintenant, en tête du classement mondial des producteurs de résine de cannabis. Deux classements récents le confirment. Celui établi, en 2014, par l’ONUDC (l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime) qui a estimé cette production « à 38 000 tonnes d’herbe de cannabis ou kif et à 760 tonnes de résines de cannabis »; et celui réalisé l’année d’après par l’OICS (Organe international de contrôle des stupéfiants), « un organe d’experts indépendants associé à l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ». Une lecture plus attentive des rapports de ces deux derniers organismes, où se trouvent les deux classements en question, confirme, on ne peut mieux, le rôle extrêmement néfaste joué par le royaume du Maroc dans la région.
Le rapport pour l’année 2014 de l’ONUDC remet implicitement en cause les informations que lui ont communiquées les autorités marocaines sur une supposée diminution des superficies réservées à la culture du cannabis au Maroc. Tout en reportant dans son rapport « la superficie de 47 000 ha » qui lui a été communiquée par lesdites autorités, l’ONUDC n’a pas manqué de rappeler que la dernière fois – c’était, en 2005 – où ses propres experts ont été autorisés à évaluer sur place, une telle superficie, ils l’avaient estimée « à 72 500 ha ».
Quant à celui pour l’année 2015, établi par l’OICS, il vaut par ses non-dits : En précisant que « les saisies de résine de cannabis signalées par les autorités marocaines ont diminué de façon notable (…) qu’elles ont augmenté dans les pays d’Afrique du Nord », ses rédacteurs ont confirmé – involontairement ? – ce que les autorités algériennes ne cessent de clamer depuis de nombreuses années ; à savoir, que le Maroc mène contre l’Algérie une guerre non déclarée qui consiste à inonder son territoire – et, partant, à porter atteinte à la santé physique de sa population – de quantités chaque jour plus grandes. Rapportées au constat établi par les rédacteurs du rapport 2016 de l’OEDT sur la jonction entre le grand banditisme, dont le trafic de drogue et le terrorisme, données relatives à notre « voisin de l’Ouest», contenues dans les rapports de l’ONUDC et l’OICS, suggèrent que les liens de ce dernier avec le fléau international qu’est le terrorisme, sont loin d’être une vue de l’esprit.
Mourad Bendris