Sur la courte vidéo en ligne, devenue virale, on voit cinq policiers tirer des dizaines de balles, à bout pourtant, sur une petite voiture, avant d’en extraire trois enfants en larmes. Au Pakistan, les réseaux sociaux menacent désormais l’impunité policière.
La dernière tuerie en date ressemble à des milliers de «rencontres homicides» recensées ces dernières années, au scénario souvent identique: d’après les forces de sécurité, des suspects sont interpellés, puis abattus parce qu’ils résistent. Ils sont ensuite identifiés comme des terroristes ou des criminels pour gonfler les statistiques. A Sahiwal (Est), trois enfants ont survécu le 19 janvier dernier. Mais ils ont vu les forces de l’ordre tuer en plein jour leurs parents, leur soeur aînée –jeune adolescente– ainsi qu’un voisin. D’après les médias locaux, qui citent le rapport d’autopsie, les quatre corps ont été criblés de 34 balles. «Mon père leur a dit de prendre notre argent et de ne pas tirer. Mais ils ont tiré», a raconté l’un des rescapés, Umair Khalil, 9 ans. La police s’est d’abord défendue en affirmant que des terroristes en lien avec le groupe jihadiste Etat islamique étaient dans la voiture et qu’ils utilisaient la famille comme bouclier. Mais cette version a été rapidement battue en brèche lorsque des vidéos de la «rencontre homicide», prises par plusieurs téléphones portables, ont été mises en ligne. Le témoignage du petit Umair a fait le tour des télévisions pakistanaises et des réseaux sociaux. Alors que des manifestations agitaient la grande ville voisine de Lahore, le Premier ministre Imran Khan a promis «une punition exemplaire» pour «les coupables». Cinq policiers sont accusés de meurtre. «Les gens savent qu’une vidéo qu’ils prennent avec leur téléphone portable peut avoir un bien plus grand impact qu’une caméra de télévision», observe Haroon Baloch, un défenseur des droits en ligne. «Si les gens à proximité n’avaient pas filmé l’incident de Sahiwal, personne n’aurait remarqué qu’une rencontre homicide s’était produite», ajoute-t-il. Sahiwal est le dernier incident à avoir démontré combien les smartphones ont changé la relations des Pakistanais avec le pouvoir. Durant la dernière campagne électorale, de nombreuses vidéos ont laissé voir la colère de simple citoyens face à leurs députés. Hors du Pakistan, le mouvement Black lives matter s’est créé aux Etats-Unis après qu’une série de vidéos filmant les meurtres supposés de noirs américains par des policiers ont mis en évidence le profilage racial des forces de l’ordre dans ce pays. Certains services de police ont depuis lors équipé de caméras leurs agents en patrouille.
«Culture» policière
Sahiwal est survenu exactement un an après un événement similaire à Karachi, quand un jeune issu de l’ethnie pachtoune, star des réseaux sociaux, avait été assassiné puis qualifié de terroriste par la police. Le Mouvement de protection des pachtounes (PTM), une organisation pacifique de défense des droits civiques, s’est créé après ce meurtre. Très actif en ligne, il publie régulièrement des vidéos de tous types, prises par des smartphones, pour mettre la pression sur les autorités. Les rencontres homicides se poursuivent pourtant. «C’est une culture de la police au Pakistan de tuer des gens et de faire passer ça pour un échange de tirs», observe Mehdi Hasan, un cadre de la Commission pakistanaise des droits de l’homme, interrogé par l’AFP. D’après cette commission, plus de 4.800 personnes ont été tuées de cette manière dans le pays ces trois dernières années. En mars 2018, un haut responsable de la police de Karachi, accusé d’avoir organisé des centaines de ces exécutions, a été arrêté. «La police doit être correctement entraînée pour que de tels incidents soient évités dans le futur», ajoute M. Hasan. La tâche paraît complexe car les rencontres homicides existent «depuis des décennies» au sein de la police, observe Amir Rana, un analyste sécuritaire qui plaide également pour une réforme du système judiciaire. «La police veut des résultats rapides et essaie d’éviter de longues procédures, ce qui la conduit à mettre en scène des rencontres» homicides, estime-t-il. Près de 1,9 million d’affaires sont en attente dans les tribunaux, a récemment fait savoir le nouveau président de la Cour suprême pakistanaise, Asif Saeed Khan Khosa, pour 3.000 juges en poste.