Joe Biden semble de plus en plus décidé à refuser tout retrait de l’armée idéologique de l’Iran de la liste noire américaine des « organisations terroristes », une demande clé de Téhéran, au risque de voir capoter les efforts diplomatiques pour sauver l’accord sur le nucléaire iranien. « Chaque camp espère que l’autre flanchera le premier.
Malheureusement, je pense qu’aucun des deux camps n’est prêt à flancher, donc il y a un vrai risque d’échec », dit à l’AFP Ali Vaez, de l’organisation de prévention des conflits International Crisis Group. Les négociations ouvertes il y a un an à Vienne pour ressusciter cet accord de 2015 censé empêcher l’Iran de se doter de la bombe atomique sont à nouveau dans l’impasse, loin de l’espoir affiché il y a quelques semaines. Les émissaires ont quitté la capitale autrichienne depuis le 11 mars. Pourtant, un projet de compromis est sur la table, après résolution de la quasi-totalité des points épineux. Sous la présidence de Donald Trump, les états-Unis ont quitté en 2018 l’accord, que le milliardaire républicain jugeait insuffisant, et rétabli leurs sanctions économiques contre Téhéran qui, en riposte, s’est affranchi des principales limitations imposées à ses activités nucléaires. Le président Biden veut, lui, revenir dans l’accord, à condition que l’Iran renoue avec ses engagements.
Fin de non-recevoir
Mais un dernier obstacle bloque les pourparlers: la République islamique exige le retrait des Gardiens de la révolution, son armée d’élite, de la liste noire américaine des « organisations terroristes étrangères ». Les Iraniens font valoir qu’elle y avait été inscrite par Donald Trump pour renforcer sa « pression maximale » après la sortie de l’accord de 2015, aussi connu sous son acronyme anglais JCPOA. Mais les Américains répondent qu’il s’agit d’un sujet sans lien avec le dossier nucléaire. « Si l’Iran veut la levée de sanctions au-delà de celle prévue par le JCPOA, il doit répondre à nos inquiétudes au-delà du JCPOA », et « négocier sur ces questions avec bonne foi et réciprocité », a déclaré lundi le porte-parole de la diplomatie américaine Ned Price, semblant opposer une fin de non-recevoir sur ce sujet dans le cadre des discussions actuelles. L’avertissement est quelque peu crypté car le gouvernement américain refuse de « négocier en public » et donc de se prononcer clairement sur le sort des Gardiens. Mais il confirme un durcissement de l’administration Biden, après un débat interne entre sa frange diplomatique alliée à une partie des militaires, favorables à un geste sur les Gardiens de la révolution au motif que l’inscription sur la liste noire n’a que peu d’implications concrètes, et l’aile politique de la Maison Blanche qui redoute les critiques des républicains avant les élections législatives de novembre. Interrogé début avril, le secrétaire d’état américain Antony Blinken avait donné une première indication en affirmant que les Gardiens étaient bien, à ses yeux une « organisation terroriste ». « Je ne suis pas extrêmement optimiste sur les chances de parvenir à un accord », avait-il glissé sur la chaîne NBC. Un éditorialiste influent du Washington Post, David Ignatius, a ensuite rapporté que Joe Biden s’apprêtait à exclure le retrait de l’organisation de la liste noire.
« Démolir »
« Je ne pense pas que la décision définitive soit prise, mais le président penche clairement dans cette direction », affirme Ali Vaez. Ce dernier espère, sans se faire trop d’illusions, qu’une solution intermédiaire puisse encore être trouvée, comme par exemple blanchir les Gardiens tout en gardant sur la liste noire leur branche chargée des opérations extérieures, la Force Qods. Mais en privé, des responsables américains laissent entendre que ces compromis ne sont plus sur la table. Ali Vaez reconnaît que tout geste dans le sens iranien sur ce dossier sensible « serait utilisé par les opposants et les détracteurs de l’administration Biden pour la démolir » en dénonçant sa faiblesse face à cet ennemi juré des Etats-Unis.
D’autant plus que les Gardiens de la révolution, soutien d’autres bêtes noires de Washington comme le Hezbollah libanais, les Houthis yéménites ou encore certaines milices irakiennes, sont jugés responsables de nombreuses attaques contre des soldats ou intérêts américains au Moyen-Orient.
Et plusieurs élus au sein du camp démocrate du président sont aussi opposés à leur retrait de la liste noire. Joe Biden « ne veut pas payer le prix politique » d’une telle décision, regrette Ali Vaez, qui prévient toutefois qu’un échec des négociations aura aussi un coût politique élevé.
« Les républicains vont l’accuser d’avoir permis à l’Iran d’être un état au bord de détenir des armes nucléaires », prédit cet expert.