Depuis l’action menée au Pakistan dans la nuit du 1er au 2 mai 2011, les Seals suscitent un nombre incalculable d’articles, de livres et de films.
Les forces spéciales Navy Seals ayant tué Oussama Ben Laden en mai 2011 sont devenues de véritables prima donna de l’armée américaine au risque, selon certains, de perdre leur efficacité militaire. Films, livres, articles, l’Amérique est littéralement amoureuse de ces forces spéciales surentraînées, icônes du dépassement de soi, de la force victorieuse et de la maîtrise face au danger. Le phénomène avait commencé avant même la mort de Ben Laden. Le film hollywoodien «Act of valor» de Mike McCoy, préparé depuis 2007 avec la bénédiction de la hiérarchie militaire et sorti en salles en 2012, fait l’éloge des Navy Seals.
Avec la mission menée dans la nuit du 1er au 2 mai 2011 à Abbottabad au Pakistan où se terrait Ben Laden, les Seals ont accédé au rang de mythe, suscitant un nombre incalculable d’articles, une floraison de livres et de nouveaux films à Hollywood. Et l’administration Obama a elle-même contribué au phénomène. Elle a laissé filtrer de nombreux détails sur son déroulement, au grand dam du secrétaire à la Défense de l’époque, Robert Gates.
Les Seals sous les projecteurs
«Mais pourquoi tout le monde ne peut-il pas juste fermer sa gueule ?», avait lâché Robert Gates à Tom Donilon, conseiller pour la sécurité nationale d’Obama, dans un échange raconté par Robert Gates dans ses mémoires. Un peu plus tard, l’administration avait également fourni des détails secrets de l’opération à Mark Boal, scénariste du film «Zero Dark Thirty» racontant la traque du chef d’Al-Qaïda.
Et, pour couronner le tout, des Seals ayant participé au raid sont sortis de l’ombre : Matthew Bissonnette est le premier à raconter le fait d’armes de son unité, puis Robert O’Neill, qui accède à la célébrité mondiale en clamant être le soldat qui a tué Ben Laden. Certains militaires estiment que la coupe est pleine : en mettant les Seals sous les projecteurs, en dévoilant leurs manières de combattre, leurs tactiques et leurs équipements, cela donne de précieuses informations aux adversaires Et la course au vedettariat d’ancien Seals risque d’affecter un esprit de corps reposant sur une solidarité sans faille entre ses membres.
«Remettre le génie dans la bouteille»
«Par cette publicité et cette mythification des Seals, le gouvernement a alimenté une curiosité insatiable qui a développé un nouveau marché lucratif pour l’information sur les Seals», explique dans un récent mémoire d’études universitaire le lieutenant Forrest Crowell, lui-même membre de ces forces spéciales. «Toute information qui sape la sécurité opérationnelle des Seals et limite leur capacité à surprendre l’ennemi augmente leurs chances d’échec, et met des vies en danger», fulmine-t-il. Selon le journaliste Sean Naylor, qui a écrit un livre de référence sur les forces spéciales («Relentless Strike»), «les chefs des Seals sont inquiets aujourd’hui» et estiment que cette médiatisation «est devenue hors de contrôle». «Ils essaient de remettre le génie dans la bouteille», explique-t-il.
L’inquiétude dépasse les Seals et concerne toutes les forces spéciales. En décembre dernier, leur commandant en chef, le général Joe Votel – devenu depuis chef des forces américaines au Moyen-Orient – a pris la plume pour demander à l’administration d’être plus discrète sur les opérations des soldats d’élite. «J’estime qu’il est temps de replacer ces forces dans l’ombre», a écrit le général dans un mémo cité par le site Foreign Policy. Apparemment, il a été entendu.
«Éducation du public»
Le Pentagone refuse désormais par exemple de donner le moindre détail sur l’unité spéciale de 200 hommes déployée en Irak pour mener des raids visant à capturer ou à tuer des dirigeants du groupe djihadiste État islamique. Mais les forces spéciales ne pourront retrouver une obscurité complète tant elles ont pris de l’importance dans le dispositif militaire américain, soulignent beaucoup d’experts.
Les administrations Bush, puis Obama ont particulièrement développé le sous-commandement chargé du contre-terrorisme (JSOC). Devenu au fil des années une très puissante machine à tuer comprenant des milliers d’hommes, il est quasiment absent des documents officiels du Pentagone. Le JSOC comprend notamment l’unité des Seals qui a tué Ben Laden, la Team 6. Il faut «trouver un équilibre» entre «l’information et l’éducation du public» sur les forces spéciales, «et sur la sécurité opérationnelle» de celles-ci, estime David Maxwell, un ancien des forces spéciales devenu professeur à l’université Georgetown à Washington. Car le silence complet est impossible, explique-t-il. «Si on ne fournit pas d’information aux médias ou à l’industrie du cinéma, ils vont spéculer, remplir les blancs eux-mêmes», avec tous les risques que cela comporte pour l’image des militaires.