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Mémoire : Lounès Matoub, l’étoile filante de la chanson berbère

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Lounès Matoub, né le 24 janvier 1956 à Taourirt Moussa, Beni-Doualla (Kabylie), mort assassiné le 25 juin 1998 à Thala Bounane par un groupe terroriste. Ce musicien, auteur, compositeur et interprète d’expression berbère a été un militant infatigable de la cause identitaire berbère.

Par Ali El Hadj Tahar

Depuis la sortie de son premier album A Yizem anda tellid ? (Ô lion où es-tu ?) en 1978, Lounès Matoub célèbre les combattants de l’indépendance et se fait le chantre de la liberté d’expression, à la suite du printemps berbère. L’album L’Ironie du sort (1989) confirme les idées et le style d’un artiste, qui ne tarder pas à être reconnu comme l’une des plus grande figure de la chanson algérienne. Durant la décennie noire ou rouge, il s’oppose courageusement au terrorisme et condamne sans ambages l’assassinat d’intellectuels. Enlevé le 25 septembre 1994 par un groupe armé, il est libéré au terme d’une forte mobilisation de l’opinion kabyle. La même année, il publie un ouvrage autobiographique Rebelle, album que la France néocoloniale veut récupérer pour cacher ses soutiens au terrorisme wahhabite. Douloureux pour l’Algérie fut le 25 juin 1998 : ce jour-là, Matoub est assassiné sur la route menant de Tizi Ouzou à Ath Douala, au lieu-dit Thala Bounane dans la commune de Beni Aïssi, à quelques kilomètres de son village natal. Comme des milliers d’attentats terroristes, ce crime n’a jamais été élucidé. Des centaines de milliers de personnes assistèrent à ses funérailles, puis la Kabylie a connu plusieurs semaines d’émeutes. C’est d’ailleurs ce que voulaient les auteurs de ce crime qui savaient qu’en refusant de le signer au nom du GIA ou de l’AIS, ils montraient du doigt les autorités qui protégeaient le pays, Kabylie incluse, de leurs barbarie. Lounès Matoub, dont l’œuvre se compose de 28 albums (ou 34 volumes), est né au sein d’une famille modeste, dont le chef de famille, le père, est émigré. Matoub est donc le « petit homme » du foyer, aux côtés de sa mère et sa grand-mère. A cette époque-là, les émigrés, surtout Kabyles, ne se précipitaient pas à amener leur famille en terre étrangère, car attachés à leurs racines et soucieux d’éviter à leur progéniture le déracinement. La mère de Lounès, quant à elle, assume les fonctions de père aussi, jusque dans les champs, absorbée par une double tache domestique et extérieure. Cela ne l’empêche pas de trouver du temps, le soir, pour lui insuffler la culture ancestrale, en lui racontant des contes qui resteront gravés dans la mémoire de Matoub comme un répertoire vivant où il puisera en tant qu’artiste. Scolarisé en 1961 à l’école de son village, l’enfant aimait aussi vagabonder dans les champs et chasser des oiseaux. Ses absences répétées et ses retards aux salles de cours finissent par lui valoir le renvoi, puis d’être récupéré dans l’école des Pères blancs, ces missionnaires catholiques qui ont marqué plus d’un en Kabylie, à commencer par Mouloud Mammeri ou Fadhma Aït Mansour Amrouche qui était mise très tôt dans un couvent de sœurs blanches.
Comme tous les gosses de l’époque, il fabrique sa guitare avec un vieux bidon d’huile de voiture et des fils à pêche. Sachant le penchant de son fils pour la musique, son père qui rentre au pays en 1972 après trente ans d’émigration en France, lui offre un mandole. Quelques temps plus tard, Matoub commence à animer des fêtes et des soirées amicales. Mais enfant turbulent, il blesse un jeune garçon à coup de rasoir après une altercation. Au tribunal, Lounès a même osé demander au procureur une cigarette. Ce dernier abasourdi par un tel comportement décide de l’incarcérer. A sa sortie de prison, après avoir purgé un mois, il fait un stage de mécanique générale à Alger, suivi d’une formation comme ajusteur.
À la fin du service national, il est embauché à l’économat du collège d’Ait Douala où son père est cuisinier depuis 1972, mais il se fait vite renvoyer. C’est alors qu’il se lance dans la chanson, muni à peine de quelques textes et de vagues notions de musique. Cependant sa voix réussit à sauver ses lacunes lors des fêtes qu’il anime de temps en temps. En 1978, il s’installe en France et, un soir, il gagne 4 000 F dans une seule soirée. À Paris, il rencontre le chanteur Idir qui l’invite à chanter en compagnie d’autres artistes lors d’un récital intitulé La nouvelle chanson berbère organisé par une association en collaboration avec le groupe d’Étude berbère de l’Université de Vincennes. Au cours de ce concert, il fait la connaissance de Slimane Azem et Hnifa. Il dira plus tard : « C’est au cours de ce concert que j’ai rencontré deux monuments de la chanson kabyle : Slimane Azem et H’nifa. Et je leur ai parlé ! J’étais aux anges. Aujourd’hui, ils sont morts, tous les deux.» Deux années à peine plus tard, soit en avril 1980, propulsé comme une comète, Matoub Lounès se produit à l’Olympia.
L’artiste se revendique aussi du Mouvement culturel berbère (MCB) puisqu’il est désigné, le 25 janvier 1990, pour remettre un rapport à l’APN (Assemblée Populaire Nationale). Lorsque les hordes terroristes commencent à endeuiller des familles dans le pays tout entier, et à détruire les outils de production, il se mobilise du côté de la justice. C’est ce qui lui vaudra d’être enlevé le 25 septembre 1994, par un groupe armé. Grâce à la solidarité nationale, pas seulement en Kabylie, les terroristes sont forcés de le libérer, afin de ne pas perdre leurs soutiens et de faire l’objet d’un immense ratissage. Les personnes mal intentionnées, notamment dans le cap wahhabite, accusent tantôt l’artiste lui-même d’avoir monté un scénario pour accroître sa notoriété, tandis que d’autres accusent le pouvoir. Or l’artiste a témoigné : « « C’est toi l’ennemi de Dieu. » Je n’ai pas répondu. Ensuite, il a passé en revue tous ce qu’ils avaient à me reprocher. J’ai compris à ce moment-là que mon « procès » se préparait. En tête des chefs d’accusation, évidemment, mes chansons. « C’est à cause de tes chansons que la Kabylie est en train de sombrer dans le néant, c’est toi le responsable. » Je n’avais donc d’autre choix que d’abandonner, je devais cesser de chanter. L’exemple, le modèle qu’ils me citaient sans cesse était celui de Cat Stevens, que tous appelaient de son nom musulman, Yusuf Islam. Ce très grand chanteur avait décidé du jour au lendemain de quitter sa vie passée pour embrasser l’Islam. » Matoub n’était pas manichéen, puisqu’il a écrit un Hymne à Boudiaf, qui lui a valu une interpellation particulièrement vive par ses ravisseurs : « Comment as-tu pu écrire sur ce type, cette saleté ? Tu ne sais pas qu’il a envoyé dix mille de nos frères dans le Sud algérien dans des camps de concentration ? » En janvier 1995, Matoub publie aux éditions Stock, à Paris, un livre sur sa vie : tout y passe, y compris le kidnapping qui l’a marqué mais qui n’a pas eu raison de son combat contre le wahhabisme. Alors que la chanson kabyle est marquée par la dimension sociale et politique, chez Matoub on peut dire que la politique et la dimension sociale occupent l’essentiel de sa vie et de son œuvre. Et comme pour beaucoup d’artistes, la mère, sa mère, sera l’inspiratrice pas seulement d’une chanson mais d’un album, La Complainte de ma Mère, sorti en 1996, dans lequel il fait chanter celle qu’il l’a mis au monde. Dans cet album, il reprend « Tighri N Taggalt » (La Révolte de la veuve), un classique de la poésie et de la chanson maghrébine et orientale. Certains considèrent cette interprétation comme l’une des plus grandes réussites musicales de l’artiste. En somme sa Hyzia. En 1997 celui qui prendra le surnom de Le rebelle sort l’album Au Nom de tous les Miens, avec des chansons à succès dont : « Semehtiyi », « Selkan Iderz » ou encore « Andats Tahzibt ». Son public ne sait pas laquelle des chanson choisir parmi ses nombreux titres : « Assirem », « Avrid Ireglen », « Monsieur le Président », « Ssu-yas », « Kenza », « Slaavits Ayavehri », « Tighri N Taggalt », « Hymne à Boudiaf », « Taekwent N Tegrawla », « Urifur », « Tatut », « Zziyar », « L’Espoir », « Allah Wakbar », « Igirru N Lkif », « Rwah Rwah », « Igujilen », « Ayahvivniw », « Attas-is Yennan », « As El Farh ». Alors que le succès ne faisait que se dessiner, par un beau jour de juin, Lounès Matoub est assassiné par un groupe armé qui stoppe net l’élan du rebelle d’une rafale de Kalachnikov. Mais Matoub est resté en Algérie et connaissait les risques quand il dit : « Moi j’ai fait un choix. Tahar Djaout avait dit : « il y a la famille qui avance et la famille qui recule ». J’ai investi mon combat aux côtés de celle qui avance. Je sais que je vais mourir. Dans un, deux mois, je ne sais pas. Si on m’assassine, qu’on me couvre du drapeau national et que les démocrates m’enterrent dans mon village natal Taourirt Moussa. Ce jour-là, j’entrerai définitivement dans l’éternité. »
A. E. T.

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