Se marier, aujourd’hui, en Kabylie, est loin d’être une sinécure. C’est un véritable projet financier avant d’être un projet de vie, censé réunir deux êtres humains qui s’aiment ou qui s’aimeront après le mariage, pour le meilleur et pour le pire, comme le stipule la célèbre et contestable formule. Combien coûte un mariage en Kabylie, aujourd’hui ? Pour obtenir la réponse, il faut faire une addition de toutes les dépenses qui y sont afférentes. Une simple opération de calcul fait ressortir qu’un homme ne peut prétendre à convoler en justes noces, sans avoir mis de côté au minimum 200 millions de centimes. Il s’agit là du mariage le moins cher car la somme peut atteindre facilement un chiffre astronomique lorsque les moyens sont disponibles et quand aucune restriction ne peut être autorisée. Pourtant, il n’y a pas si longtemps, la Kabylie était considérée la région où le mariage ne coûtait pas beaucoup. Mais, la localité n’est plus ce qu’elle était il y a moins de vingt ans. Aujourd’hui, ce ne sont plus les valeurs humaines qui sont mises en avant quand il s’agit d’un tel événement important dans la vie de tout être humain. Actuellement, se marier est synonyme d’investissement. Pourtant, quand il s’agit «des pourparlers» préliminaires entre les représentants des deux familles, les interventions sont focalisées sur le fait que ce qui compte, vraiment, c’est l’entente et la paix entre les futurs époux. On ne cesse de pérorer sur ces aspects du mariage, mais quand il s’agit de passer à la réalité, on oublie vite la paix pour ouvrir le registre de l’argent qui finit par s’imposer de facto. Le mariage est donc devenu une véritable affaire. Et c’est ce qui explique en partie les réticences exprimées par une partie des hommes en âge de convoler à le faire. Les frais inhérents à une fête de mariage ont un rapport avec de nombreuses facettes de cet événement.
La salle des fêtes à 400 000 dinars
Il y a lieu de parler d’abord de la nouveauté introduite en matière de cérémonie de mariage. Depuis au moins cinq ans, réserver une salle des fêtes pour y abriter la cérémonie s’est imposé dans la majorité des cas. C’est ainsi que pour des raisons de praticabilité mais aussi «parce que tout le monde fait ainsi», les fêtes en Kabylie ne se tiennent plus, ou rarement, dans les domiciles familiaux. Le phénomène des salles des fêtes s’est généralisé en peu de temps. De même que les salles des fêtes ont poussé comme des champignons, ces dernières années, dans la wilaya de Tizi Ouzou, notamment au niveau du chef-lieu de wilaya. Dans chaque coin de rue, on en trouve une. Et ce n’est pas tout. Il faut s’y prendre bien à l’avance afin de pouvoir aspirer à trouver une date de libre pour le jour «J». «J’ai effectué ma réservation de salle au début du mois de janvier alors que la fête doit avoir lieu début septembre», nous confie un futur ex-célibataire, âgé de trente-six ans. C’est dire l’affluence enregistrée sur ces salles de fête. Pourtant, les prix qui y sont pratiqués sont relativement chers. Le prix le moins cher pratiqué pour la location d’une salle, pour à peine une demi-journée, est de 400 000 dinars (quarante millions de centimes). Il s’agit là d’un tarif qui concerne uniquement une fête où le nombre d’invités ne dépasse pas les 400. Dans la mesure où il y aura plus de monde le jour «J», la facture est automatiquement revue à la hausse. Ce prix inclut uniquement le forfait de la réservation de la salle ainsi que celui des repas à servir. À cet effet, il y a lieu de souligner que le prix d’un seul repas s’élève à pas moins de 650 DA. Les gâteaux et la limonade à servir lors de la cérémonie ne sont pas compris. Ils sont à la charge du client. Comme on peut le constater, le futur mari est confronté, d’ores et déjà, à une grande dépense et non des moindres à laquelle viennent se greffer d’autres, comme celles de la location du disc-jockey, de la troupe traditionnelle (Idebalen) qui doit accompagner la mariée lors du cortège, la camera-women et la liste est encore longue…
Le disc-jockey, Idebalen, les gateaux…
Le mariage entraîne d’autres frais supplémentaires, qui peuvent paraître minimes. Mais, une fois l’addition établie, on découvre qu’il s’agit en réalité d’un autre budget conséquent à mobiliser afin que la fête ne soit pas gâchée. Le jour de la fête, dans la salle, et avant que le dîner ne soit servi, c’est-à-dire, tout au long de l’après-midi, les invités ont droit à des gâteaux, à du thé, du café et à de la limonade. Quand on sait que le prix minimum d’un gâteau «respectabl» est de 50 dinars, et quand on n’ignore pas également que chaque invité a droit à quatre pièces, on devine aisément qu’il faudra au minimum 100 000 autres dinars pour satisfaire la demande. Ce chiffre ne comprend pas le prix des boîtes dans lesquelles seront mis les gâteaux traditionnels. Le prix de la boîte varie aussi. De cinquante dinars jusqu’à plus de trois cent dinars. Quant au disc-jockey, qui est devenu incontournable, son prix est de pas moins de trente mille dinars. La même somme sera exigée par la caméra-women et on est obligé de céder à ces exigences si l’on veut que cette fête soit immortalisée aussi bien par des photos que par de longues séquences audiovisuelles. Mais aussi et surtout afin de ne pas s’exposer aux critiques et commentaires d’une partie des invités. Les frais d’une fête de mariage ne s’arrêtent pas là. Il y a des tas de futilités qui ne le sont pas en réalité. De même qu’il ne faut pas oublier les frais énormes inhérents aussi bien à la mariée qu’à l’aménagement de la chambre à coucher et de la cuisine.
Une parure pour la mariée
Si, dans un passé qui n’est pas vraiment lointain, ce genre de questions n’étaient même pas effleurées, bien entendu, quand il s’agit de familles de condition sociale modeste, qui constituaient la majorité en Kabylie, aujourd’hui, l’or et la fameuse parure constituent l’un des piliers du mariage. Pour ce, il faut débourser également pas moins de 30 millions de centimes en la matière pour bien «équiper» la future épouse. De même que parmi les conditions sine qua non d’un mariage, le futur époux, ou sa famille, doit remettre une conséquente somme d’argent à la fiancée pour que cette dernière achète des tas de tenues vestimentaires, dont une grande partie finira par moisir à l’intérieur de l’armoire compte tenu de la vitesse vertigineuse avec laquelle évolue la mode vestimentaire féminine. La veille de la fête, l’infortuné époux doit également se présenter chez ses futurs beaux-parents avec un mouton, tradition oblige, mais aussi avec des dizaines de kilogrammes de légumes et de fruits. C’est en effet l’époux qui prend en charge le volet restauration de la fête de celle qui deviendra la mère de ses enfants. Le dernier chapitre du budget du mariage est lié aux meubles.
Ainsi, le futur époux doit débourser d’autres millions, voire des dizaines de millions, pour acquérir la chambre à coucher, mais aussi des appareils électroménagers neufs, refaire la peinture de l’appartement et la liste est loin d’être exhaustive. Comme on peut bien le constater, le mariage est loin de représenter une mince affaire. Il est devenu plutôt une affaire commerciale. Pourtant, tout le monde le sait et feint de l’ignorer, après la fête, on se gratte la tête. Inéluctablement. Surtout quand on sait que le véritable mariage ne commence vraiment qu’après ce jour tant attendu et tant coûteux. Mais, là, c’est une autre affaire. L’argent n’y peut rien, malheureusement.
Aomar Mohellebi