La branche libyenne de l’organisation État islamique (EI) a affirmé jeudi avoir exécuté deux journalistes tunisiens portés disparus en Libye depuis septembre, une annonce qui a suscité l’horreur en Tunisie. Dans un communiqué comportant des photos de Sofiène Chourabi et Nadhir Ktari, publié sur des forums jihadistes, le groupe affirme avoir «appliqué la loi d’Allah» à leur encontre. L’authenticité des images n’a pas pu être vérifiée de source indépendante et les autorités tunisiennes n’étaient pas en mesure de confirmer l’information dans l’immédiat. «Nous n’avons rien pour l’instant», a dit le porte-parole du ministère de l’Intérieur, Mohamed Ali Aroui, à l’AFP. «Nous ne nous sommes toujours pas certains de l’authenticité des photos publiées», a de son côté dit à l’AFP un responsable du ministère libyen de l’Intérieur sous le couvert de l’anonymat, en précisant que les journalistes avaient été arrêtés à un barrage près de la ville de Derna (est) par des «islamistes radicaux». L’identité du groupe détenant Sofiène Chourabi et Nadhir Ktari, portés disparus depuis le 8 septembre, était jusqu’à présent inconnue. «Nous espérons que cette information n’est pas vraie. Ce sont des journalistes innocents qui sont allés faire leur travail en Libye», a dit le ministre tunisien des Affaires étrangères Mongi Hamdi jeudi soir à la radio Express FM. «Les autorités tunisiennes ont fait tout ce qu’elles pouvaient (..) pour les libérer. Malheureusement, nous n’y sommes pas arrivés. La difficulté (…), c’est que nous ne savons pas qui les a enlevés, pourquoi ils ont été enlevés, où ils se trouvent», a-t-il ajouté.
«Loi de Dieu»
Dans le communiqué signé du «service de communication de la province de Barqa», le groupe accuse les deux Tunisiens de travailler pour «une chaîne satellitaire qui combat la religion». Une image montre les deux jeunes hommes au moment de leur «arrestation» aux côtés d’un homme armé en treillis, le visage encagoulé. La quatrième et dernière photo, légendée «Application de la loi de Dieu à l’encontre de Chourabi et Ktari», n’est pas nette. On peut y deviner un tir partant en direction d’une personne qui semble être agenouillée, ainsi que l’emblème «Il n’y a de dieu que Dieu et Mahomet est son prophète». Selon Reporters sans frontières (RSF), les deux jeunes hommes «menaient une mission d’investigation» pour une nouvelle chaîne tunisienne, First TV. Sofiène Chourabi, un blogueur et journaliste très actif lors de la révolution tunisienne de janvier 2011, et le photographe Nadhir Ktari avaient été détenus une première fois le 3 septembre près de Brega, dans le nord-est de la Libye, et libérés quelques jours plus tard à la suite de l’intervention des autorités tunisiennes, selon la diplomatie tunisienne. Selon RSF, les deux hommes avaient ensuite été arrêtés une nouvelle fois par une milice. Ils auraient disparu dans la région d’Ajdabiya (est de la Libye) le 8 septembre.
Internautes sous le choc
RSF avait fait part de sa «vive inquiétude» et appelé «les autorités et tous les acteurs du processus transitionnel en Libye (à) tout mettre en œuvre pour leur permettre de rentrer sains et saufs en Tunisie». La nouvelle a provoqué des réactions horrifiées en Tunisie, notamment sur les réseaux sociaux, où de nombreux internautes disaient leur choc et leur incrédulité et se raccrochaient à l’absence de confirmation officielle pour espérer que l’information soit fausse. Plusieurs dizaines de personnes, en majorité des journalistes, se sont rendues au siège du Syndicat des journalistes pour attendre de leurs nouvelles, certaines en pleurs, d’autres pianotant nerveusement sur leur téléphone, selon un photographe de l’AFP sur place. Plus de trois ans, après la chute du régime de Mouammar Kadhafi, la Libye sombre chaque jour un peu plus dans le chaos, au rythme des affrontements entre milices tribales qui se disputent le pouvoir et la manne pétrolière, et de la montée en puissance de groupes islamistes.
Des observateurs considèrent que l’EI a pour bastion en Libye Derna, une ville de 150 000 habitants, place forte historique des islamistes radicaux, qui accueille aujourd’hui la troisième franchise d’EI en Afrique du Nord après Jund al-Khilafa, en Algérie, et Ansar Bayt al-Maqdiss en Egypte selon eux.