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Les produits de première nécessité entre la subvention et le gaspillage

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Par Ali El Hadj Tahar

Certains s’étonnent qu’un litre d’eau minérale doive coûter le même prix qu’un litre de lait. Ils ne trouvent pas normal que le distributeur qui transporte chaque jour des sachets de lait sur 200 kilomètres bénéficie de 0,80 centimes comme celui qui le transporte sur seulement deux ou trois kilomètres, car sa localité se trouve près de la laiterie.
Beaucoup d’observateurs, dont Chems Eddine Chitour, actuellement ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, ont d’ailleurs dénoncé la subvention du prix de l’essence qui profite en grande partie à des personnes qui ne sont pas dans le besoin. Le Pr Chitour écrivait que faute d’avoir instauré une carte carburant pour les véhicules professionnels (bus, camion, tracteurs…) et les bas salaires, l’État perd près de 250 milliards de DA en maintenant le prix du litre à 30 DA au lieu de le fixer à 70 DA.
Le Pr Chitour a calculé que l’État offre une « prime » de 40 000 DA pour 1250 litres (une tonne) de carburant consommés, essentiellement à des utilisateurs qui ne sont pas dans le besoin. Pour les 6,3 millions de voitures qui roulent dans le pays, c’est donc l’équivalent de 1 907 734 600 euros qui sont perdus par l’État, de surcroît en trajets inutiles. Des dizaines de milliards de dinars sont gaspillés à tourner en rond.
Quant aux embouteillages, ils dévorent des tonnes de litres de carburant. Faute de moyens de transport fiables (bus, tramway, métro, train), les 500 000 voitures qui circulent à Alger brûlent plus de 500 000 litres de carburants en deux heures d’embouteillage en moyenne, sachant qu’une voiture brûle un ½ litre de carburant par heure d’encombrement.
À eux seuls, déduit le Pr Chitour, les encombrements dans la ville d’Alger occasionnent une perte de 500 000 dollars /jour et l’envoi dans l’espace de 300 tonnes de CO2 /jour. Combien de véhicules sont pris dans des embouteillages sur les 6,3 millions qui circulent dans le pays ?
Le ministre du Commerce a jugé utile de veiller à l’application de la loi en matière de prix du lait en sachet, mais la levée de boucliers des laitiers et des distributeurs et vendeurs a engendré une rareté du produit, si ce n’est sa disparition dans nombre de communes. Dans certaines agglomérations, le fameux sachet se vend toujours à 35 DA ou plus, mais en cachette, dans une sorte de speak easy de l’Amérique des années 1930, l’époque de la prohibition. Le citoyen le plus faible se trouve ainsi pénalisé, car il ne peut se permettre l’achat du lait de vache ou en boîte. Les boulangers, eux aussi, revendiquent une marge bénéficiaire plus conséquente et cela met les pouvoirs publics face à leurs responsabilités : vont-ils encore refermer l’œil comme ils l’ont fait des années durant ou bien revoir la politique des subventions ? Un vrai dilemme. La protection des catégories les plus défavorisées n’est pas seulement un engagement de l’État algérien depuis l’Indépendance en vue d’assurer une certaine justice sociale et de protéger le niveau de vie. C’est la garantie de la stabilité et de la paix sociale, une manette que le pouvoir algérien a d’ailleurs manipulé avec prudence, notamment lorsque la manne pétrolière se trouve amoindrie.
La subvention est devenue, au fil du temps, à la fois la garantie d’un État soucieux de réduire les inégalités, et une politique de fuite en avant, afin de gagner la paix civile en distribuant la manne même à ceux qui n’en ont pas besoin. Le Pr Chitour estime à 75% les personnes qui ne nécessitent pas l’aide par le biais du prix du carburant. D’où le fait qu’en Algérie, l’intensité énergétique est faible, c’est-à-dire qu’avec la même quantité d’énergie nous faisons moins de travail qu’en Europe.
Le président de la République a parlé de la nécessité de valoriser le travail, tandis que le Premier ministre a insisté sur celle d’un Développement durable, or, ce modèle suppose la rationalité, l’absence de gaspillage et le respect de la nature aux fins de créer les richesses tout en préservant pour les générations futures, les ressources à même de leur permettre une vie décente.
Dans une conjoncture difficile d’amoindrissement des recettes de devises, l’Algérie n’a pas d’autre solution que de trouver des réponses urgentes au problème du gaspillage. Les millions de baguettes de pain jetées mensuellement dans les poubelles montrent à quel point ce phénomène est grave, comme elles montrent l’inadéquation de la subvention de ce produit avec les besoins réels des catégories les plus faibles.
A.E.T.

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