À l’évidence, la notion de développement est en train d’évoluer, et sensiblement, chez nos décideurs. Celui-ci est désormais jaugé à l’aune de ses retombées sur les collectivités locales. Et non plus à partir de l’appréhension d’ensemble traditionnelle qui en était faite. Une appréhension qui, en privilégiant le langage des chiffres et des projections nationales, avait pour travers d’occulter sa dimension humaine.
Ce «changement d’optique» a été officiellement annoncé, il y a presque une année maintenant, par le Premier ministre lui-même. S’exprimant à l’ouverture de la rencontre annuelle Gouvernement-walis, qui s’est tenue le 29 août 2015, à Alger, Abdelmalek Sellal avait alors clairement averti les walis que, dorénavant, ils seront «évalués sur les créations d’activités et d’emplois, sur l’implantation d’investissements et d’entreprises, et sur l’évolution de l’attractivité économique des territoires», dont ils ont la responsabilité. Un avertissement qui s’est inscrit en droite ligne de l’importante annonce qu’il avait faite en l’occasion, selon laquelle les taux d’avancement des projets et la consommation des crédits ne seront plus, malgré leur importance avérée, les seuls indicateurs sur lesquels s’appuiera le Gouvernement pour juger «de la performance de la gestion locale». En appelant samedi dernier, à Ouargla, les walis et les walis délégués des dix wilayas du Sud, avec lesquels il a tenu, en prévision de la prochaine rencontre Gouvernement-walis prévue pour se tenir à la prochaine rentrée sociale, une rencontre d’évaluation similaire à celle qu’il a présidée, il y a peu, avec leurs homologues des régions Est et Ouest du pays, «à apporter des solutions innovantes, durables et adaptées aux spécificités» de cette vaste région du territoire national aux potentialités incommensurables, le ministre de l’Intérieur et des Collectivités locales a confirmé que le «changement d’optique» précité (sur la notion du développement) ne relevait nullement du conjoncturel, mais s’inscrivait dans une option stratégique que la chute brutale, drastique et durable des prix du pétrole a rendu inévitable. Sauf que Nourredine Bedoui a tenu à rassurer ses interlocuteurs, les walis de Ouargla, Biskra, El-Oued, Illizi, Tamanrasset, Adrar, Béchar, Tindouf, Ghardaïa et Laghouat, et les premiers responsables de wilayas déléguées qui leur sont rattachés, que l’État continuera à s’impliquer dans le développement des régions du Sud et du Grand-Sud ; une exception qu’il a justifiée «par l’accompagnement pour leurs programmes de développement», dont elles ont encore besoin. Et ce, a-t-il ajouté, au vu du «déficit structurel», dont continuent de souffrir nombre de collectivités locales en faisant partie. Cette explication à l’exception annoncée a, à l’évidence, une autre raison. Autrement plus stratégique. Au demeurant, parfaitement illustrée par ses propos sur le fait que le Sud est devenu «une variable principale dans l’équation de développement national».
Non pas parce qu’il recèle d’importantes ressources en hydrocarbures, mais parce qu’il possède d’immenses potentialités. Et ce, dans tous les domaines : agricole, pour les wilayas de Biskra, El-Oued, Ghardaïa et Adrar, dont le potentiel existant, a déclaré le ministre, «dépasse de loin les besoins alimentaires du pays, et pouvant générer d’importantes ressources en devises» ; touristique, pour celles, entre autres, de Ghardaïa, Adrar, Béchar, Tamanrasset et Illizi qui ont, selon Bedoui, tous les atouts pour devenir, à terme, «des pôles de rayonnement touristiques à l’échelle régionale» ; de l’énergie solaire, pour les wilayas d’Adrar et d’In Salah qui constituent, selon le ministre, «de véritables réservoirs» en cette énergie, qui peuvent satisfaire non pas la seule demande nationale, mais également dégager des excédents pour l’exportation.
Des potentialités qui, toutefois, demandent à être mises en valeur. Ce qui exige, a-t-il poursuivi, en s’adressant aux walis, dans le clair objectif de leur faire sentir que la balle est désormais dans leur camp, «une vision perspicace, une volonté résolue et une méthodologie judicieuse». Surtout que dans le même temps, il n’a pas manqué de leur rappeler que les pouvoirs publics n’ont pas été avares en efforts pour promouvoir le développement des régions du Sud et du Grand-Sud. Dans ce contexte, il a rappelé, entre autres, le mégaprojet de transfert d’eau potable d’In Salah à Tamanrasset, sur une distance de plus de 700 km, la prise en charge, dans nombre de villes de ces régions, du problème récurrent de la remontée à la surface des eaux des nappes phréatiques, l’amélioration des infrastructures de base et l’ouverture, dans pratiquement tous les chefs-lieux des wilayas du Sud, d’établissements universitaires. Non sans annoncer que d’autres projets d’envergure sont en attente d’y être lancés. Cette attention particulière que les pouvoirs publics ont pour les régions du Sud et du Grand-Sud relève de leur souci stratégique, au demeurant, clairement exposé dans le SNAT (Schéma national d’aménagement du territoire), approuvé en 2010, et qui court jusqu’à l’horizon 2030, de procéder à un rééquilibrage dans la répartition de la population à travers le territoire national ; une répartition aujourd’hui totalement déséquilibrée : le gros de la population algérienne occupant l’étroite bande de terre enserrée entre les monts de l’Atlas tellien et le littoral, alors que les Hauts-Plateaux et les régions du Sud et du Grand-Sud sont quasiment vides. C’est dans l’optique de corriger ce déséquilibre que tendent, a rappelé Nourredine Bedoui à Ouargla, les projets de création de nouvelles agglomérations le long de la conduite de transfert de l’eau potable d’In Salah à Tamanrasset, et le long des axes Béchar-Adrar et Bordj-Badji- Mokhtar/Tinzaouatine.
Mourad Bendris