L’Algérie vit une hostilité sécuritaire multiforme sur ses frontières. De quelque côté des quatre points cardinaux que le regard se porte, le péril est présent, insidieux et multiformes. Une situation pratiquement inédite depuis l’indépendance du pays : des pays en guerre, des famines et des rébellions aux portes Sud et Sud-Est, une malveillance affichée à l’Ouest ; de quoi mettre le pays en constante vigilance. Et ce n’est pas tout : le jeu de stratégies des puissances tend à rendre toute lecture invraisemblable et faussée d’avance.
Le Maroc, le Sahara occidental, Ghaza, le Mali, la réunion qui se tient le même jour en Libye, et dans laquelle l’Algérie est appelée à jouer un rôle central, c’est toute l’actualité du moment qui en appelle à une réinformation décalée, savante et claire.
C’est donc dans ce souci de répondre à plusieurs questions à la fois que le nom d’Abdelaziz Rahabi, ancien ministre de la Communication, chargé de la communication du gouvernement et diplomate, et, « dans une autre vie », comme il le dit avec plaisanterie, directeur des Affaires consulaires, s’est imposé pour être l’invité du « Forum du Courrier d’Algérie ».
Des ONG aux agendas douteux
Nationaliste dans ses positions, connaissant les enjeux de chaque événement, ses sources et ses conséquences, il a parlé du dossier des migrants et défendu les choix et les prises de décisions de l’Algérie, donnant des informations méconnues sur l’épineux problème de la gestion de la migration, laquelle va encore prendre des proportions incontrôlables, si les pays de l’Union européenne persistent dans leur vision simpliste du phénomène, comme il l’a défendu contre les ONG, qui continuent à appliquer leur « agenda politique » sournois. Ces mêmes ONG, promptes à dénoncer les choix de l’Algérie, sont muettes quant il s’agit de défendre les Palestiniens et les causes justes.
Rahabi a tenu a préciser la notion de géopolitique, un concept rabougri par une mauvaise utilisation médiatique : « La géopolitique n’est pas une notion née des tensions actuelles ; c’est quelque chose de beaucoup plus ancien, un prolongement de l’État. Dans quelques années, les États-Unis auront une population à dominance hispanique et noire, donc les données vont changer. Il y a dans la géopolitique une dynamique de prolongement dont il faut tenir compte. On cherche à expliquer tout par les accords Sykes-Picot, et on n’en est pas sorti à ce jour ».
Migration et géostratégie
Et de faire cette révélation, très profonde : »Quand je reviens à l’actualité de notre géopolitique, qu’est-ce que je retrouve ? On nous compare au Maroc, en réalité on n’a rien de comparable au Maroc. Nous ne jouons pas dans la même division que le Maroc ! » Qu’est-ce que cela signifie ? « Nous avons sept frontières, avec sept pays, dont cinq en guerre. Nous avons aussi à peu près 5600 km de frontières communes avec ces pays. Cela vous donne évidemment une puissance, une présence et une envergure ; cela vous donne une masse territoriale, mais aussi des exigences et des obligations. Quand vous avez toutes ces frontières avec sept pays vous êtes tenus de défendre ces frontières, parce que c’est l’exigence de l’intégrité territoriale, et parce que vos voisins ne sont pas en mesure de le faire. ».
Au sujet de ce qui se passe aux frontières, « les États-Unis ne sont pas arrivés à sécuriser 3000 km de frontières avec le Mexique ; comment voulez-vous, techniquement et au plan logistique, sécuriser des frontières immenses avec pas moins de sept pays ? De plus, quand on a des subsahariens chez nous, on leur demande juste de justifier leur nationalité et leur identité par le biais d’un document que leurs consulats en Algérie leur délivrent, or ces derniers sont encore incapables de fournir des papiers d’identité à leurs propres ressortissants ». Comment dans ce cas voulez-vous tolérer une migration qui n’a pas de nom, pas de visibilité, pas de nationalité ? « C’est une problématique sécuritaire qui n’est pas prête à être résolue. Je dis sécuritaire mais je pense économie, parce que le fond du problème est économique en Afrique. Pour les migrants, l’Afrique c’est la misère, mais la migration, c’est la misère plus l’espoir. Alors, essayons de migrer vers le Nord. Le fossé qui se creuse entre le taux de natalité et le niveau de développement a créé cette migration vers le nord. ».
Or dans cette migration, l’Algérie est un passage obligé : « Ça, c’est un grand problème. Vous savez aujourd’hui, en Afrique, il y a 1,3 milliard d’habitants ; mais dans 30 ans, elle sera à 2,5milliards d’habitants. Avec les problèmes liés à la désertification, la corruption, le chômage et les guerres, où voulez-vous que ces populations vont aller ? Et par quelle voie elles vont essayer de regagner l’Europe ? Dans dix, vingt ou trente ans, elles fuiront la misère et l’Algérie sera le portail vers l’Europe ».
Consolider le front interne
Des périls, il y en a à la pelle ; mais jusqu’où peut aller la résistance contre ces vents contraires. Pour Rahabi, « la force de l’Algérie c’est de défendre des causes justes ; cela donne déjà de la force au pays ». Aussi, « c’est le front interne qu’il faut consolider ; elle a aussi besoin d’avoir une puissance objective. Qu’est-ce qu’une puissance objective ? C’est une économie performante, une armée performante et une diplomatie performante. Cela vous donne en même temps des capacités de résistance et des capacités d’explication de vos positions ».
Tout cela doit en outre aboutir à « avoir l’opinion publique algérienne de son côté, à serrer les rangs à l’intérieur, une union sacrée à l’intérieur du pays, que les Algériens prennent conscience que cela ne concerne pas que les autres, car, il faut le dire, la nature des menaces a changé». Rahabi explique : «Aujourd’hui, la menace n’est pas toujours matérielle, n’est pas toujours visible, elle peut être très sournoise ; elle peut être dans les réseaux sociaux, dans la production audiovisuelle, dans la lecture, ou même subliminale. Ce sont de nouvelles formes de menaces que nous ne percevons pas très bien, enfin pas à tous les niveaux, bien sûr. Au final, c’est la conjugaison des menaces internes et des fragilités internes qui est dangereuse ».
Diplomatie et partis politiques sont antinomiques
À une dernière question posée sur ses prétentions à la présidentielle de 2019, Rahabi a exclu toute idée liée à cette échéance : « Quand on est diplomate, on ne se lie pas aux partis politiques. Vous savez que les juges, les militaires et ceux qui travaillent dans les Affaires étrangères ne sont politisés, dans le sens d’être liés à des partis politiques. Mais je dirais qu’il est malsain de parler de présidentielle ; cela nous éloigne des véritables problèmes de l’Algérie dont on parlait, les problèmes aux frontières, ceux de la migration et du quotidien des citoyens. Nous sommes à une bonne et longue année des présidentielles. Si l’on excepte les États-Unis, qui ont un système très particulier, nous sommes le seul pays au monde à ouvrir les débats des présidentielles une année avant l’échéance. Même ceux des partis dits présidentiels qui pensent qu’ils apportent un plus au président de la République en l’appuyant dès à présent, sont en train en réalité d’affaiblir l’institution de la Présidence et les institutions étatiques de manière générale. Autre chose très importante à saisir : toutes nos agendas sont politiques, alors qu’on peut avoir des agendas économiques, scientifiques, sociaux, culturels, etc. Aussi, parler des présidentielles n’est opportun ni pour le pays, ni pour l’institution présidentielle elle-même ».
F. O.