Dire que l’aire arabo-sahélienne est en ébullition relève du truisme tant les évènements, certains sanglants et d’autres présageant d’évolutions peu rassurantes – pour les peuples de la région, s’entend -, s’y succèdent à un rythme qui donne le tournis. Le dernier en date a été la déclaration, annoncée publiquement mercredi dernier, des États du Conseil de coopération du Golfe (CCG) classant le parti libanais Hezbollah comme terroriste. Une classification qui n’aurait pas étonné les observateurs avertis de la scène arabe tant les positions de ces pétromonarchies semblent, depuis l’accession au trône du roi Selmane, s’inscrire ouvertement dans un agenda qui n’est pas celui des pays, et encore moins, de leurs peuples, de la région, n’était-ce l’information, tombée dans la journée d’avant-hier, jeudi, faisant état de l’entérinement par le Conseil des ministres de l’Intérieur de la Ligue arabe, qui se tenait ce jour-là dans la capitale tunisienne, de la classification en question : un tel entérinement donnant, de fait, à cette dernière une dimension de consensus arabe sur un sujet des plus sensibles dans le contexte moyen-oriental, puisqu’il a trait à la résistance contre l’ennemi supposé commun, sioniste, dont le fer de lance incontesté et incontestable, depuis quelques années, est précisément le Hezbollah, qu’elle n’a pas. Et qu’elle ne peut avoir au vu des divergences profondes sur nombre de sujets d’actualité qui caractérisent surtout depuis l’avènement du sinistre « printemps arabe », les relations interarabes. D’où l’étonnement qui a saisi ces mêmes observateurs et une grande partie de l’opinion publique arabe sur ce surprenant et étonnant « consensus annoncé» ; que l’annonce des réserves exprimées par le Liban et l’Irak n’a pas au demeurant atténué. Un étonnement d’autant plus légitime que celui-ci impliquait, par la force des choses, des pays dont la position de principe en pareil cas, ne pouvait s’accommoder d’une telle décision. Comme c’est le cas du nôtre. Qui a tôt fait de réagir à cette décision déplorable – de par le cadeau qu’ils offrent, ce faisant et gratuitement, à l’entité sioniste qui voit en le Hezbollah le plus grand danger à son existence – « sortie » des pétromonarchies du Golfe. Et ce, de par les voix les plus autorisées en la matière : celles en premier de Ramtane Lamamra, notre ministre des Affaires étrangères, et, par la suite, de Abdelaziz Benali-Chérif, porte-parole, tout ce qu’il y a de plus officiel, du département ministériel de souveraineté précité. Usant comme à son habitude d’un ton très diplomatique mais d’où la fermeté n’est nullement absente, Ramtane Lamamra a subtilement recadré les monarchies du Golfe. En leur rappelant dans les heures qui ont immédiatement suivi la « tombée » de l’information précitée faisant état de l’entérinement par le Conseil des ministres de l’Intérieur arabes de leur décision susmentionnée, lors d’un point de presse qu’il a conjointement animé avec son homologue angolais en visite dans notre pays,un des principes qui fondent depuis toujours l’action de la diplomatie de l’Algérie, celui « de non-ingérence dans les affaires internes des pays », il les a en effet clairement accusés de s’ingérer dans les affaires internes du Liban. Mais pas uniquement de cela. En précisant que le Hezbollah est « un mouvement politico-militaire qui active sur la scène politique interne (de ce pays) » et que, de ce fait, «nous – en clair, tous les pays arabes, y compris les pétromonarchies du Golfe –devons respecter la Constitution du Liban et les dispositions sur lesquelles repose la coexistence dans ce pays », Ramtane Lamamra les a également, tout aussi subtilement, accusés d’œuvrer à la destruction du Pays des Cèdres. Une accusation qui transparaît également en filigrane dans la déclaration officielle du porte-parole du ministère des Affaires étrangères. Après avoir rappelé le principe sacro-saint de «non-immixtion dans les affaires internes des autres pays» que défend l’Algérie en matière de relations entre les Etats, Abdelaziz Benali-Chérif y a en effet repris les mêmes accusations que son ministre. Non sans apporter au passage, deux précisions de taille qui révèlent on ne peut plus clairement la duplicité desdites monarchies et, à leur tête, celle que dirigent les Al Saoud. à savoir que c’est à Taëf, une ville saoudienne, qu’ont été « patiemment et laborieusement négociés » et conclus « les Accords » éponymes par lesquels se maintiennent « les équilibres fragiles » dans ce pays ; et que le Hezbollah « y a été partie prenante ». Un rappel sur lequel, il s’est appuyé, dans un clair rejet de la décision des Etats du CCG, pour déclarer que « toute décision concernant (Hezbollah), qui est membre de (l’actuelle) coalition gouvernementale et (est) acteur au niveau du Parlement libanais dans lequel il compte de nombreux représentants, doit émaner des Libanais eux-mêmes ». Dans la foulée, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères n’a pas manqué de rappeler, là aussi, dans le souci évident de mettre en exergue le rôle éminemment positif de sa diplomatie et, partant, de mettre à nu les desseins néfastes des pétromonarchies, une des constantes de l’action de l’Algérie dans la « sphère arabo-musulmane » ; une sphère où notre pays, a-t-il déclaré, « continuera à agir (…) pour y éviter les dissensions et renforcer la solidarité entre les pays (la composant) ». C’est à l’évidence, en se basant sur ces constantes que Ramtane Lamamra a plaidé, une nouvelle fois, lors du point de presse susmentionné, pour un règlement pacifique de la crise libyenne. Et ce, non sans rappeler le rôle que doit jouer la communauté internationale dans une telle sortie de crise : « La communauté internationale doit mettre tout son poids pour aboutir à un règlement pacifique et consensuel » du problème libyen,a-t-il en effet déclaré. Non sans déplorer au passage « le retard pris par la formation d’un gouvernement d’entente nationale » qui en est, a-t-il ajouté,« un des éléments incontournables ». Saisissant l’occasion de sa rencontre avec la presse, notre ministre a rappelé le refus ferme et constant de l’Algérie « de toute intervention militaire en Libye » : « les aventures militaires n’ont aucune chance d’aboutir au règlement de ce problème (et ce,) ni dans l’immédiat, ni à long terme », et souligné avec force qu’il n’y avait « aucune chance pour que (notre pays) soit entraîné dans une aventure militaire en Libye ou ailleurs ». Des positions qui à l’évidence, n’ont pas l’heur de plaire aux « maîtres du monde ». Et ce, comme l’atteste la publication, dans les heures qui ont suivi leur réaffirmation et par RamtaneLamamra et par Abdelaziz Benali-Chérif, d’un communiqué du département d’Etat américain invitant les ressortissants du pays de l’Oncle Sam « à éviter de se rendre en Algérie » et, pour ceux qui sont contraints de le faire, « à éviter de se rendre en Kabylie et dans les wilayas de l’Est du pays » où, y est-il précisé, « des risques d’enlèvement et d’attentats sont toujours présents…»
Mourad Bendris