La dinanderie en Algérie, cet héritage ancestral considéré de tout temps comme un artisanat de proximité, témoigne d’un art patrimonial à la profondeur culturelle et historique qui met en valeur la richesse artistique et la créativité hautement esthétique du savoir faire algérien à travers des siècles.
Les artisans algériens ont fait de cet art un support au récit quotidien de leur vie et de leur cité, façonnant ce précieux métal (cuivre) de différentes manières pour créer des moules aux formes exprimant des conceptions liées aux besoins en ustensiles d’usage quotidiens ou décoratifs, imprimés de motifs propres à chaque région du pays. Par le passé, l’Algérie a accueilli de nombreux artisans de différentes époques, à l’instar de ceux de la période ottomane, si bien que ce métissage eut un impact positif sur l’évolution des métiers, dont la dinanderie qui en est le reflet. Lors des fouilles archéologiques sur les sites de l’époque antique algérienne, des vestiges et objets en différents alliages et formes ont été retrouvés et sont actuellement conservés dans les musées nationaux. A cet égard, Mme Nabila Ait Said, spécialiste en archéologie, maitre de conférence à l’Ecole nationale supérieure de conservation et restauration des biens culturels (ENSCRBC), a expliqué que bien avant, notamment à l’époque des Ottomans, « on travaillait beaucoup le cuivre » pour produire des objets propres à l’art de la dinanderie algérienne, dont le « Moud » (mesure d’aumône), le « Brasero » ou encore la « Lampe à huile ». Elle a rappelé que, durant cette période ottomane, nombre d’écrivains voyageurs, dont le Britannique Thomas Shaw et l’Espagnol Diego de Haedo, notamment, témoignent dans leurs écrits ou traductions, de l' »authenticité et de la prospérité de la dinanderie algérienne ». L’enseignante à l’ENSCRBC a, néanmoins, souligné l' »interruption d’une partie de cette activité concentrée au Centre et à la Basse Casbah », suite à la démolition délibérée de ces deux endroits de la cité antique, par l’armée coloniale française quelques temps seulement après l’occupation. Pour sa part, Mme Meriem Guebaïlia, directrice du Musée Ahmed-Bey de Constantine, spécialiste en archéologie, a mis en avant l’évolution et le développement du métier de la dinanderie qui revient, a-t-elle dit, au fait que le « sol algérien a de tout temps était très riche en ressources minérales, notamment en cuivre ». Ciselant, incisant, incrustant divers motifs ornementaux, l’artisan algérien, au geste accompli et hautement esthétique, transformait ses feuilles de cuivre en divers objets à usage quotidien, à l’instar des théières, mouds, braseros, lampes à huile, sucriers, sceaux, pots, encensoirs, couscoussier et lanternes, entre autres. A Tlemcen, poursuit Mme Guebailia, « les objets présentent un décor qui se caractérise par un enchevêtrement d’arabesques créant des rinceaux sans fin, agrémentés de motifs floraux et géométriques ». La mosquée de Sidi Boumediene à Tlemcen (14e siècle) est « ornée de lanternes qui attestent de l’habilité dans la composition et la finesse d’exécution ». Installé au domicile familial (Dar El Mekki) à Constantine, l’artisan dinandier, Salah Mekki, qui a participé à de nombreuses expositions nationales et internationales, continue d’entretenir ce noble métier, malgré les difficultés liées à la disponibilité de la matière première et au temps consacré à la réalisation de chaque ustensile ou objet de décoration. « J’ai toujours vu en ma passion d’exercer ce noble métier un héritage familial dédié à la défense du patrimoine culturel algérien », a-t-il confié à l’APS, avant d’ajouter : « Nous veillons à la transmission de notre savoir-faire », rappelant également que « les motifs gravés sur un objet renvoyaient à notre culture ancestrale ». A Constantine et à Alger, « le cyprès », appelé arbre de vie en raison de son verdoiement permanent, l' »œillet » fleur très appréciée, ou encore « la tulipe » symbolisant le mystique, constituent des motifs récurrents sur les objets façonnés dans ces deux villes.
Le métier de dinandier a prospéré dans les grandes cités et au début du 20e siècle encore, de grands maîtres dinandiers exerceraient en Algérie, donnant le meilleur d’eux-mêmes pour l’enrichissement du patrimoine et sa transmission aux générations futures. Parmi ces passeurs de mémoire, le maître El Hachemi Benmira qui exerçait à la Casbah d’Alger, les artisans de la famille Khodja à Constantine ou encore la famille Benkalfat à Tlemcen. Pour rappel, en décembre 2023, l’Unesco avait inscrit le dossier de « la gravure sur métal: or, argent et cuivre, savoir-faire, arts et pratiques » sur sa liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité, au nom de l’Algérie et de neuf autres pays arabes.