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La Cinquième saison d’Ahmed Benkamla : La parabole des cités intolérantes où l’on brûle des livres

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Coproduit par le Centre algérien pour le développement du cinéma et Ellipse art media, avec le soutien du FDATIC, La Cinquième saison d’Ahmed Benkamla est une parabole de l’histoire, et l’histoire simple d’un poète qui fuit les inquisiteurs qui ont brulé les livres de la cité.

Par Ali El Hadj Tahar

Armes au poing, ils poursuivent l’aède pour récupérer le dernier livre qu’il a sauvé du feu. Leur but : compléter l’autodafé et tuer l’auteur qui, pourchassé, arrive à la cité déchue, une ville en ruine. La Gardienne de cette ancienne Cité mélodieuse vient à sa rencontre et lui déroule la mémoire de sa ville pendant qu’il déroule le fil de sa chute en tant que poète et la tombée de sa propre ville entre les griffes de la secte intolérante.
Construit comme un documentaire avec une voix off qui interfère souvent, La Cinquième saison est d’une grande sobriété technique, avec très peu d’actions d’autant qu’elles tournent autour de deux personnages seulement. Tantôt c’est le poète qui narre le passé de ses déboires, tantôt c’est la voix off qui intervient. Sur le fond de cette rencontre se tisse une histoire linéaire qui remonte progressivement le fil du temps. Un brin moralisateur, le film tente le pari difficile de transposer un texte poétique dans le septième art, offrant au passage quelques moments forts enrobés dans des paysages qui s’y prêtent. En effet, les sites féérique DU Sahara se veulent aussi une invitation à une exploration plus poussée, d’autant que notre cinéma commence à peine à explorer le désert algérien et à en découvrir la dimension paysagère. Les aspects humain, sociologique, économique, culturel du désert restent à découvrir et Benkamla nous donne envie d’en voir plus sur écran… Sa Cinquième saison se veut donc aussi une réflexion sur la nature, et sur la relation des hommes avec l’environnement, comme elle veut nous interpeler sur l’essentiel de la vie en communauté où sont supposés se tisser les liens sociaux et les valeurs de bien, d’amour, d’entraide, de solidarité. Or ici, le poète est exclu alors qu’il est Censé faire le lien entre tous les membres du groupe. Ainsi, assaillie par les bouleversements de l’histoire, la mémoire chavire entre passé et présent. Condamné à l’exil, l’aède fuit la bande qui le poursuit. L’intrigue est minimaliste et a été écrite pour l’être, avec des actions réduites au maximum et un texte prépondérant. De plus, le texte est bourré de paraboles et d’images poétiques qui rendent la compréhension difficile pour celui qui n’est pas habitué aux paraboles. Nous sommes sensibles quand Benkamla fait parler le silence. Nous sommes aussi sensibles quand il veut délivrer un message, en somme tout simple, que la poésie est une nourriture capitale tout comme les autres nourritures spirituelles, qui font d’ailleurs vivre les hommes, car il n’y a pas de vie sans savoir, sans livres, sans sciences… L’intolérance est derrière beaucoup de crimes dans notre temps, comme elle le fut par le passé. Ses maux et ses terreurs sont partout ; et il n’y a pas que le terrorisme wahhabite qui en est l’expression. L’Occident, autant que l’Orient, a fait preuve d’intolérance et cela continue. En traitant de l’intolérance qui a caractérisé la société musulmane, Benkamla n’absout pas les anciens colonialistes de leurs crimes, d’autant que le fanatisme ne tombe pas du ciel : il est lié à une idéologie perverse qui a le soutien de l’Occident. Certes, le monde musulman connait l’intolérance depuis longtemps puisque Hassan Essabah (1050 -1124) a créé la secte des assassins à Fort Alamout, en Iran, d’où partaient des hordes de criminels à sa solde. La Cinquième saison est une histoire triste de livres qu’on brûle et d’un livre que l’on sauve. L’histoire d’une cité comme il a pu y en avoir partout ailleurs dans le monde, puisque les autodafés ne sont pas l’invention des musulmans ni des arabes. Avec un texte plus poétique que prosaïque, le pari était difficile. Et on se laisse emmener lorsque le film laisse l’image seule s’exprimer. C’est elle qui, dans La Cinquième saison, donne leur saveur aux mots lorsque les scènes ne se laissent pas plomber par le récit. Benkamla connait certainement l’importance du silence dans le cinéma, et a certainement vu des chefs d’œuvre comme « L’Ile nue » de Kaneto Shindo, ce film sonorisé mais sans dialogues, « Le silence » d’Ingmar Bergman, « L’Ours » de Jean-Jacques Annaud, « Duel » de Steven Spielberg, « Le Ballon rouge », d’Albert Lamorisse ou encore « Derzou Ouzala » d’Akira Kurosawa… Ce film, avec un peu plus de moyens, aurait vraiment fait parler toute la poésie du livre éponyme de Benkamla paru en 2017 et qui est à son origine. L’avant première et la sortie nationale de La Cinquième saison étaient programmées pour le 18 avril dernier, mais la crise sanitaire a fait qu’elles soient reportées à une date encore inconnue. Dans l’attente de découvrir ce film, essayons de lire l’œuvre qui est sur arabook,com, la première plateforme en Algérie de vente en ligne de livres d’auteurs algériens dans les trois langues: arabe, amazigh, français).
A.E.T.

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