Désormais, le moment s’eprête à toutes les vociférations, y compris celle d’appeler le peuple algérien, via une publication laconique sur facebook, tenez-vous bien, à une désobéissance civile. Rien que ça ! Au moment même où les Algériens ont administré une leçon de patriotisme en ayant l’intime conviction que le changement, aussi radical soit-il, viendra pacifiquement. Un changement dont le processus, qu’il conviendrait à mettre en place sur une voie concertée et dans cette direction, tiendra compte de tout, sauf le recours à une telle action hasardeuse.
Et lorsque ce genre d’appel incitateur- puisqu’il s’exprime par un «Il faut»- vient de celui sensé prévaloir la réflexion à la réaction, la clairvoyance à l’aveuglement et la mémoire à l’amnésie, là ça pose problème. À en douter même des intentions inavouées de l’auteur, et l’intellectuel qui prétend l’être ou bien reconnu publiquement dans ce statut !
Ainsi va la fièvre suscitée autour de la Présidentielle 2019, dont la candidature, fort contestée du Président, pour un 5e mandat, semble empoter l’écrivain-journaliste Kamel Daoud. Dans un post publié hier sur son compte facebook, l’auteur exhorte le peuple algérien à opposer une désobéissance civile à l’État, si le Président-candidat viendrait à déposer sa candidature par l’intermède d’un représentant à lui. Qu’à cela ne tienne, l’auteur de «Meursault contre-enquête» est dans son plein droit de contester le 5e mandat, comme l’ont fait des Algériens. Mais prendre option d’une telle aventure téméraire, on ne sait suivant quels desseins, équivaut à pousser au pourrissement et à la violence.
Comme pour dire, sur le coup du reflexe de l’instant, révoltons-nous contre Bouteflika, conte le régime et le système en place, et puis après on verra ! Jouer sur l’avenir des Algériens avec une telle légèreté déconcertante, en abusant de son statut de personnalité publique, ne pourrait qu’attester d’une volonté de précipiter le pays au bord du chaos. Alors que, le caractère pacifique des marches organisées, jusque là, sur le territoire national, continue à marquer les esprits et doit interpeller toutes les consciences, les intellos outre-mesure.
«Si Bouteflika dépose sa candidature par procuration, il faut passer aux sit-in permanents dans toutes les wilayas dès demain. À la désobéissance civile. Il faut sauver le pays de cette folie. C’est du mépris.
De l’insulte. Du crachat», écrit l’écrivain controversé. Oublieux, ou agissant à volonté, Kamel Daoud doit être rappelé que les Algériens n’ont pas attendu une quelconque voix instigatrice pour sortir dans la rue et proclamer son appel au changement. Il s’est suffi d’un signal d’alerte pour que le peuple sorte comme un seul homme. Le prendre alors pour objet à manipulation relève d’un manque de considération pour un peuple qui, lorsqu’il a décidé de se rebeller contre la France coloniale, il l’a fait dans un cadre structuré, aussi bien politiquement que militairement.
On ne prétend pas connaître toutes les aspirations du peuple algérien, mais on sait au moins qu’il ne veut pas qu’on lui fasse sortir à nouveau le phantasme du «Printemps arabe !» Et Daoud aurait bien saisi le message des marcheurs qui scandaient «Silmia (pacifique)» pour chercher à les entraîner dans une aventure qui n’a ni tête ni queue, lorsqu’encore elle s’assimile à la désobéissance islamiste du FIS dissous. Et puis, l’expérience périlleuse de la décennie terroriste des années 90 suffit amplement au peuple algérien pour décider, aujourd’hui, et en toute souveraineté, de prendre les destinées du pays entre les mains. Entendre, une solution à l’algérienne !
Pour le reste, le peuple algérien a démontré un tel niveau de maturité qu’il fera peu cas d’un tel appel à la mésaventure. À plus forte raison que le message de Daoud ne tient qu’à une réaction intra-muros, alors que l’élite, dans pareille situation de flou et d’incertitudes, voudrait qu’elle accompagne la dynamique sociale, elle réconcilie les consciences et propose un projet, ou tout au moins donner l’esquisse d’une voie de salut.
Farouk Bellali