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Introduction de la langue maternelle dans l’éducation : fausse ou vraie polémique ?

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La polémique sur l’introduction de la langue dialectale, dans l’enseignement, alimente toujours l’actualité. En fait, le sujet est en débat dans le monde entier, pas spécialement en Algérie, car il est crucial aux yeux des spécialistes et pédagogues. Mais, il risque de prendre une autre tournure, en Algérie. La question qui se pose, est-ce que ce sujet mérite une telle polémique, alors qu’il y a des problèmes dans le secteur de l’Éducation encore plus sérieux qu’il faut prendre en considération. Pourquoi tout ce tapage médiatique, et pourquoi les gens qui ont réagi à la question ne l’ont pas fait, pour dénoncer aussi haut d’autres problèmes du secteur ? Qu’on le veuille ou non, certains enseignants utilisent depuis le temps la langue maternelle dans leurs cours, et ce, dans les trois cycles afin d’essayer de faire passer au mieux l’idée aux élèves. Donc cette polémique n’a pas lieu d’être, selon certains pédagogues.
Il faut dire également que le sujet a irrité la ministre de l’Éducation, qui tente de trouver les solutions aux grands problèmes du secteur, mais qui se retrouve, malheureusement, face à de faux problèmes. Elle se voit donc obligée d’expliquer les choses à chaque sortie sur terrain afin de calmer les esprits. Du pain sur la planche, donc, pour Mme Benghebrit. Pour la deuxième fois, depuis le déclenchement de cette polémique, la ministre a indiqué récemment que la langue arabe reste la première langue d’enseignement, adoptée dans l’enseignement des autres matières, soulignant, à ce propos, que la Constitution est claire sur la question. «Il appartient de faire preuve de sagesse et de s’occuper davantage des questions pédagogiques», a-t-elle déclaré.
Il faut préciser, en outre, que l’introduction de la langue dialectale dans l’enseignement n’est pas encore décidée. Cette mesure fait partie des 200 recommandations élaborées par plusieurs groupes de travail, mis en place, lors de la Conférence nationale sur l’éducation, qui s’est tenue à Alger en fin juillet dernier.

Un sujet est crucial
Tous les experts et pédagogues du monde entier estiment que les pays en développement sont souvent ceux, où l’on trouve la plus grande diversité linguistique, et également ceux qui doivent encore améliorer l’alphabétisation de leurs populations. Posons donc ici les bases du débat : des études menées à travers le monde, par divers organismes, montrent qu’alphabétiser un enfant dans sa langue d’origine donne globalement d’excellents résultats, alors qu’imposer d’entrée en jeu, la scolarisation en langue nationale ou dans une langue étrangère, est une politique menant souvent à l’échec.
La Banque mondiale, elle-même, l’affirme dans le Sourcebook for Poverty Reduction Strategies (2001), en reprenant un rapport de l’Unicef de 1999: «De nombreuses recherches montrent que les élèves apprennent plus vite à lire et à acquérir de nouvelles connaissances, lorsqu’ils ont reçu un premier enseignement dans leur langue maternelle. Ils apprennent également plus rapidement une seconde langue que ceux qui ont d’abord appris à lire dans une langue, qui ne leur était pas familière». Les experts en Algérie considèrent que s’il y a un taux d’échec dans le cycle primaire, c’est parce qu’il y a un problème dans la transmission du Savoir.

Certains députés et les oulémas y voient une atteinte à la langue arabe
La volonté d’introduire une dose d’arabe dialectal dans l’enseignement scolaire en Algérie, sur une recommandation récente d’experts, a déclenché donc une révolte des conservateurs contre la ministre de l’Éducation nationale, Nouria Benghebrit. «Violation de la Constitution», «atteinte à l’unité nationale», «trahison du serment des Martyrs» de la Guerre d’indépendance: ce qui était censé être une affaire pédagogique a pris une tournure politique et idéologique. Des partis politiques, des associations et des oulémas ont fait bloc, contre la recommandation exprimée cette semaine, lors d’une Conférence nationale sur l’évaluation de l’École, sans être adoptée officiellement.
Certains députés de l’Alliance Verte ont même réclamé le départ immédiat de Nouria Bengebrit, nommée en mai 2014. Or, l’arabe académique, que l’enfant algérien découvre à son entrée à l’école, à six ans, est loin du dialectal qu’il avait jusque-là parlé à la maison, variable d’une région à une autre de surcroît. Pour l’Association des oulémas (docteurs de la foi), «cette démarche nous reconduit à l’ère de la colonisation» française (1830-1962), lorsque, selon elle, les colons favorisaient les dialectes au détriment de l’arabe. Un de ses responsables, Amar Talbi, a appelé «les associations civiles et les institutions culturelles à combattre cette idée pour préserver la pureté de notre langue et la mettre à l’abri de toute menace».

Quelle importance de l’apprentissage en langue maternelle ?
On estime que 221 millions d’enfants des pays en développement arrivent à l’école sans comprendre la langue de l’enseignement.
L’éducation dans une langue autre que la langue maternelle est dominante. Dans beaucoup de pays en développement, une proportion significative d’enfants arrivent à l’école sans connaître la langue employée en classe. Les systèmes éducatifs utilisent souvent davantage les langues nationales ou « mondiales» plutôt que les langues maternelles. L’instruction est souvent dispensée dans la langue de l’ancien colonisateur ou dans une langue internationale comme l’anglais. Cette décision repose sur la conviction que certaines langues internationales « importantes» donneront un avantage compétitif aux enfants plus tard. Dans certains pays, l’instruction est dispensée dans la langue dominante d’un groupe linguistique majeur, parfois au détriment d’autres groupes ethniques ou linguistiques plus marginalisés. Dans un nombre bien trop élevé de pays, les fondamentaux de la pédagogie manuels, matériels pédagogiques et langue d’instruction – ne sont proposés quasiment exclusivement que dans des langues autres que les langues maternelles en usage. Il arrive parfois, dans les pays multilingues avec de nombreuses langues locales, que les enseignants ne connaissent que la langue dominante et pas la langue locale parlée par les enfants à la maison. Dans d’autres situations, les enseignants eux-mêmes ne maîtrisent pas totalement la langue de l’instruction. Les enfants vivant dans des zones rurales éloignées, qui parlent une langue à la maison et n’ont aucun contact avec la langue employée à l’école en dehors de la salle de classe, rencontrent souvent d’immenses problèmes pour simplement comprendre ce qui leur est enseigné. Il s’agit, là, d’un facteur qui contribue de manière significative à la piètre qualité de l’éducation et au maintien de l’analphabétisme. Le fait, de ne pas utiliser la langue maternelle à l’école peut nuire au potentiel des enfants, avec à la clé l’échec scolaire et l’absence de développement. Comme le soulignait une étude de la Banque mondiale : «Cinquante pour cent des enfants non scolarisés dans le monde appartiennent à des communautés où la langue de l’école est rarement, voire jamais, utilisée à l’école. Cela souligne le premier défi à relever pour réaliser l’Éducation pour tous (EPT) : un héritage de pratiques improductives qui se traduisent par des niveaux de résultats insatisfaisants et des taux élevés de décrochage et de redoublement.» L’Unesco fait remarquer que : «L’Afrique est le seul continent où la majorité des enfants débutent leur scolarité dans une langue étrangère». Dans la quasi-totalité des pays africains, l’éducation est dispensée dans les langues des anciens colonisateurs, le français, l’anglais ou le portugais, que la plupart des jeunes ne pratiquent pas dans leurs familles.
Un programme scolaire enraciné dans la langue, la culture et l’environnement connu de l’enfant, avec des matériels pédagogiques appropriés et conçus localement, joue un rôle crucial dans le succès de l’apprentissage précoce. Dans des environnements multilingues, l’emploi de la langue maternelle dans les premières années de la scolarité, va dans le sens des politiques axées sur l’enfant. Il s’agit de commencer par ce qui est familier pour acquérir ensuite progressivement de nouvelles connaissances. Cela facilite la transition entre la maison et l’école, stimule l’intérêt, la participation et l’implication des enfants. Ceux-ci sont ainsi mieux préparés à l’acquisition de l’alphabétisme, plus à l’aise et confiants à la fois à l’égard de leur langue maternelle et plus tard, le cas échéant, d’autres langues. Les recherches ont montré de façon convaincante qu’on apprend mieux une seconde langue lorsqu’on a bien acquis une première langue. La voie la plus efficace consiste certainement à apprendre la langue dominante dans un second temps, avec des professeurs de langue spécialisés. L’apprentissage de la lecture est un processus complexe qui doit se dérouler tôt dans la vie. Des enfants qui ne lisent pas bien en 3e année de primaire ont de fortes chances d’avoir du mal à suivre et risquent de ne jamais devenir des lecteurs habiles et confiants. À côté des autres facteurs qui influent sur les résultats scolaires, les expériences précoces d’alphabétisation sont particulièrement importantes pour les succès scolaires ultérieurs.
La corrélation entre le niveau de lecture et les résultats scolaires a été testée dans une variété de situations. On dispose de preuves significatives indiquant que les programmes d’éducation en langue maternelle sont capables de produire des lecteurs avec un niveau d’alphabétisme fonctionnel en deux à trois ans, au lieu de cinq ans dans beaucoup de programmes d’alphabétisation reposant sur une seconde langue. Souvent, comme noté plus haut, les enfants n’apprendront jamais à vraiment bien lire dans une seconde langue. C’est pourquoi le fait de ne pas être instruits dans la langue maternelle peut constituer pour les enfants un désavantage marqué pour leur future trajectoire d’apprentissage. En même temps qu’un environnement alphabétisé et dynamique, de bonnes méthodes pédagogiques et un contexte familial favorable, l’apprentissage dans la langue maternelle est un élément crucial du puzzle de l’alphabétisation.
Ines B.

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