Nul ne conteste que les jeunes d’aujourd’hui soient plus chanceux que ceux de leurs congénères adultes puisqu’ils ont la possibilité de s’offrir des vacances plus ou moins convenables.
Ils pouvaient, par exemple, cotiser pour louer un bungalow ou une maison au bord de mer pour quelques millions de centimes, une somme avec laquelle pouvait acquérir avec un appartement dans les années 1960-1970. Ils pouvaient aussi louer une voiture pour quelques jours et visiter le pays de long en large pour une somme modique. Et même s’ils restaient à la maison, il y a actuellement la climatisation disponible dans presque chaque chambre, la télé plasma, l’Internet et les différents jeux vidéo qui peuvent permettre de passer des moments agréables. Mais qu’en était-il des vacances de la génération qui a dépassé la soixantaine ? En ce temps-là, elle était pauvre et démunie, et les parents peinaient à nourrir et à habiller leur progéniture. De là à s’offrir des vacances ou de donner de l’argent à leurs enfants pour passer quelques jours de villégiature, c’était tout simplement impensable. Il y avait bien sûr pour les veinards la colonie de vacances mais c’était seulement pour les enfants de moins de 14-15 ans. Quant aux jeunes, il fallait qu’ils se débrouillent pour passer les longues journées de l’été. Il n’y avait qu’un seul moyen pour ça : le camping.
L’idée qui germe
Déjà, dès la fin de la saison scolaire et le début de l’été, commençaient les préparatifs. On s’enthousiasmait à l’idée de quitter le village natal pour aller vivre quelques jours ailleurs, le temps de casser un peu la routine et la morosité du quotidien. Et c’est ainsi qu’une fois l’idée ayant germée qu’on pense tout de suite à l’étape de l’exécution. La première chose importante à faire était de choisir la composante de la bande, c’est-à-dire qui peut bien s’entendre avec qui pendant le séjour au bord de la mer ? Ça, c’était l’essentiel, car ce n’est pas possible de partir comme ça préalablement pour voir surgir les disputes dès les premières heures. Donc, il fallait bien réfléchir avec qui on pouvait partir pour qu’il n’y aurait pas de problèmes après. Alors, deux solutions s’imposaient : ou bien les jeunes d’un même quartier partaient ensemble parce qu’ils se connaissaient, soit ils optaient par tendance, ou affinités ce qui veut dire que les jeunes d’obédience laïque, islamiste ou sportive… Une fois ce problème résolu, on abordait le deuxième volet : les moyens.
Les préparatifs
En premier lieu, il faudrait penser à la tente. C’est le clou de toute aventure. Mais comme les gens étaient pauvres et que personne ne pouvait s’en offrir une, on fabrique alors des tentes de fortune faites à base de sacs de pomme de terre. Des mains expertes raccommodaient rapidement avec du fil de fer ces tissus pour ériger une « tente » à l’abri du soleil et d’une éventuelle pluie .Ça, c’était vers la fin des années 1960. Avec les temps, les premières vraies tentes ont commencé à faire leurs premières apparitions dans les années 1970 avec le retour des émigrés au bled. Mais ce problème de tente ne fût résolu d’une façon définitive qu’après le tremblement de terre de 1980. À chaque chose malheur est bon. En effet, l’été suivant cette date, chaque famille avait sa propre tente et parfois deux. Après cela, il fallait débattre, d’une façon plus ou moins démocratique, du lieu de séjour. Là, tout le monde était d’accord pour que ce soit la mer et non la montagne, car dans notre fort intérieur, on sentait que si on optait pour cette dernière, c’était comme si on était resté au village. Généralement, on ne pensait pas à aller plus loin que les côtes de notre wilaya. On optait le plus souvent pour l’axe Ténès-Béni Haoua ou Ténès-Aïn Hamadi pour plusieurs raisons. D’abord, il ne fallait pas augmenter les frais du séjour avec des longs déplacements vers des côtes lointaines. Et puis les plages de notre région avaient l’avantage d’être boisées, ce qui fait que la tente était toujours à l’abri du soleil.
La distribution des tâches
Avant de fixer le jour et l’heure de départ, il fallait absolument se mettre d’accord sur la distribution des tâches. Quelqu’un devait par exemple ramener la bonbonne de gaz, un autre le réchaud, un troisième avait la responsabilité des jerricans d’eau, un quatrième devait s’occuper des bougies, du quinquet ou de la batterie pour l’éclairage car il n’était nullement question de penser à l’électricité à cette époque-là. Quant aux ustensiles, chacun de nous devait emmener avec lui une assiette, une cuillère et une tasse de café, en plus des cafetières, des bassines etc. C’était pareil pour les affaires de couchage tels que les oreillers, les couvertures, les draps. Une fois tout cela réglé, on attaquait ensuite le jour du départ qui était généralement fixé vers la deuxième quinzaine du mois de juillet étant donné que tout le monde était libre à ce moment là.
Le départ
Le jour “J”, il fallait se lever de bonne heure. La veille du départ, on rassemblait tout le bazar chez une seule personne pour éviter le déplacement d’une maison à l’autre le lendemain. Après avoir tout préparé et parlé avec le propriétaire de la fameuse Peugeot 404 bâchée pour le transport au lieu choisi, tout le monde rentrait chez soi pour essayer de dormir un peu afin d’aménager les efforts pour les lourdes tâches qui attendaient le lendemain. Avec les premières lueurs de l’aube, le groupe commençait déjà à prendre forme mais un retardataire faisait irriter un peu le groupe. Mais dès qu’il se pointe à l’horizon les visages s’illuminent et l’inquiétude disparaît. Après s’être assuré que tout le monde était présent et que rien des affaires qui ont été préparées la veille ne manquaient, le responsable du groupe prenait place à côté du chauffeur et lui donnait le signe de départ, tandis que tous les autres membres du groupe se mettaient derrière. Aussitôt la voiture en route, place aux chants rythmés à la derbouka pour mettre un peu d’ambiance.
À mi-chemin, et quand les forces étaient épuisées, c’est le retour au calme et à la contemplation du paysage. Une fois sur place, et après avoir choisi un endroit tranquille et ombrageux, et après avoir descendu les affaires de la 404, c’est au tour de l’installation de la tente. Peu après c’est le lieu qui sert de cuisine qui est aménagé avec quelques galets et le tour est joué. Généralement le lieu de cuisson se trouve plus loin de celui de la tente, sécurité oblige.
Les activités
Sitôt la voiture repartie, la répartition des taches s’effectue sans problèmes. Bien évidemment le héros de la bande était bien sûr le cuisinier. C’était lui qui était chargé de confectionner les mets, d’autant plus que l’appétit vient en grandissant au bord de la mer, donc il fallait quelqu’un de connaisseur et d’expérimenté pour cette tâche. Il prenait un adjoint qui l’aidait. Un autre faisait les commissions au village ; un quatrième avait la responsabilité de ramener l’eau et un cinquième nettoyait la tente, pliait les affaires du couchage et faisait la vaisselle. Si une tâche ne convenait pas à quelqu’un, il pouvait toujours permuter avec un autre. Et c’est ainsi que le camping démarre. Il faut dire que le séjour à la mer est réglé telle une horloge .En général, le matin était consacré à la préparation du déjeuner. Quant au petit-déjeuner, il était constitué de pain, de beurre et de confiture. Quelques fois si le cuisinier est un cordon bleu alors le groupe a droit à des petites surprises. Aux environs de 9 heures, deux personnes sont envoyées au village proche pour faire les achats qui se résument généralement au pain, aux légumes, aux fruits de saison (raisin, pastèque) et à la sardine dans le cas ou son prix est abordable. La viande ovine ou le poulet ne figurent pas généralement sur le menu. Même la limonade était un luxe. Ceux qui n’avaient rien à faire allaient à la plage se baigner ou se promener. Il y en avait qui préféraient passer leur temps sous un arbre et lire un bouquin. L’après-midi, le groupe s’offrait généralement une sieste de deux heures pour se réveiller vers les coups de 16 heures. Juste après, le café, est préparé puis servi, puis ce sont les interminables parties de domino ou de cartes.
Les visiteurs
Les week-ends, on s’attendait toujours à recevoir des invités. Dès qu’on voyait descendre une voiture au loin, on espérait que quelqu’un de nos amis ou de la famille vienne nous rendre visite. Parmi ces invités, il y en avait qui étaient généreux qui ramenaient avec eux des fruits, des légumes ou de la limonade. D’autres, par contre s’amenaient les mains vides et pensaient rester quelques jours avec nous. La nuit, chacun sortait son répertoire de blagues et d’histoires drôles jusqu’à une heure tardive et puis on allait se coucher dans la joie et l’allégresse. Il faut dire qu’on était franchement toujours ravis de recevoir des invités pour une nuit ou deux, mais dès qu’ils dépassaient les bornes, on commençait à se disputer entre nous et à baisser les yeux pour leurs montrer qu’ils n’étaient plus les bienvenus. Alors, ils comprenaient le message et repartaient aussitôt. C’est ainsi que nos vacances d’été passaient au bord de mer. Le jour où on décidait du retour, on envoyait quelqu’un tôt le matin pour nous ramener la 404 bâchée car il n’y avait pas de téléphone portable comme c’est le cas maintenant. Plus la voiture s’éloignait du rivage, plus on était triste de quitter cette belle mer bleu qui nous a permis de passer des moments de joies inoubliables. Aujourd’hui, et après tant d’années, on pense très souvent à ces vacances de notre jeunesse. Elles furent, certes, modestes mais elles nous donnèrent beaucoup de joie et de bonheur que nous retrouvons plus malgré l’aisance matérielle de nos jours. Pour terminer, je ne vous mentirai pas si je vous dis qu’un de mes amis émigré en Europe me dit souvent que, bien qu’il ait eu la chance de visiter plusieurs, et de posséder un appartement au bord de mer, rien ne vaut pour lui le souvenir du camping de ces jours heureux de sa jeunesse, qu’il passa dans l’insouciance totale avec sa bande, en ce bon vieux temps qui ne reviendra jamais.
Bencherki Otsmane