L’homme au sourire espiègle, plein de ruse et de mystère, d’ironie et de tendresse, à l’œil intelligent et à la tirade qui fait mouche s’en est allé le 28 mai dernier.
Ali El Hadj Tahar
évidemment qu’il y a dans cet air et cette attitude un air méditerranéen ou plus précisément algérien car il est né le 15 juin 1934 à Alger, et il n’a certainement ni mérité ni accepté qu’on le qualifie de pied-noir, cet humoriste de talent, cet artiste de music-hall qui ne se départit jamais du rire du politique, cet acteur et scénariste qui est resté fidèle à sa condition première de fils du peuple.
Le lanceur de piques et spécialiste des coups de gueule qui ne pardonne pas ses bêtises à la société qui nivelle, s’en est allé à l’âge de 85 ans, laissant derrière lui des sketchs d’un amour tendre méchant, issu d’un indéfectible engagement à gauche, et quelques films comme « Nous irons tous au paradis ». Guy Bedos est le fils d’Alfred Bedos, visiteur médical, et d’Hildeberte Verdier, fille du proviseur du lycée Bugeaud à Alger (l’actuel lycée Émir Abd el-Kader), où il a été élève. Après la séparation de ses parents, il est ballotté de maison en hôtel, entre Kouba, où il est mis en pension à l’âge de sept ans, Souk Ahras et Constantine. à l’âge de treize ans, il se retrouve scolarisé au lycée public Saint-Augustin de Bône Annaba. Après le divorce des parents, sa mère s’est remariée avec un homme rustre qui rend la vie difficile tant à la mère qu’au fils. Bedos raconte que ce beau-père, raciste et antisémite, et sa mère, pétainiste, lui ont donné sa conscience politique humaniste. Il a quand même 11 ans quand ont lieu les massacres du 8 mai 1945, et il n’a quitté l’Algérie qu’à 14 ans, ce qui permet à cet enfant sensible, qui vit l’injustice dans sa chair, de remarquer les affres que subissent les Algériens, ceux que le beau-père et la mère disent ne pas fréquenter.
Arrivé à Paris en juin 1949, il quitte la maison familiale en 1950 et vit de la vente de livres, pratiquant le porte-à-porte. À l’âge de 17 ans, il entre à l’École nationale supérieure des arts et techniques du théâtre (ENSATT), y apprend le théâtre classique et signe, six mois après sa première mise en scène : il s’agit de la pièce de Marivaux, Arlequin poli par l’amour. Commence alors sa carrière au théâtre mais aussi dans les cabarets. Lui trouvant un talent dans l’écriture, Jacques Prévert l’incite à écrire des sketches. Son sérieux et son exigence le propulsent vite au rang des géants de l’humour français. Travailleur prolifique, Bedos est un touche-à-tout.
Au cinéma, il a joué dans pas moins de 34 films et en a réalisé deux, sans compter la quinzaine de pièces où il a été distribué, dont une de Bertolt Brecht.
Guy Bedos, qui a aussi écrit plus de 18 livres, traque la bêtise raciste, et ne laisse pas passer une injustice sans la dénoncer : d’ailleurs, il transforme souvent sa scène en journal télévisé où il commente l’actualité, égratignant au passage quelques hommes politiques et défendant de nombreuses causes. Son militantisme pour le droit au logement, sa défense acharnée des sans papiers, entre autres causes, ont fait de lui une figure médiatique de l’antiracisme. Cependant, il ne se prenait pas trop au sérieux, estimant que l’humour est l’arme des opprimés. Et même s’il considère que « le sérieux était le cholestérol de l’imaginaire », pour reprendre Jean-Michel Ribes, directeur du Théâtre du Rond-Point, dernière scène où il s’est produit, il ose aborder les sujets qui fâchent.
Cet engagement chevillé au corps, il l’a pratiqué à Alger dans son adolescence, au grand dam de sa mère une raciste notoire, selon ses propres dires et qui gardait une photo de Pétain dans son sac. C’est Bedos qui ose asséner en 2015 : « Zemmour est juif. Mais il veut être plus français que les Français. Mon grand-père était bâtonnier à Alger, il a milité pour le décret Crémieux qui a fait des juifs d’Algérie des Français. Rétrospectivement, quand je vois Zemmour, je le regrette. » ! Appartenant à la génération de Raymond Devos et Fernand Reynaud, il est en phase avec les plus jeunes comme Smaïn, Michel Boujenah ou Muriel Robin.
Son fils Nicolas Bedos lui a rendu un vibrant hommage: « Il était beau, il était drôle, il était libre et courageux. Comme je suis fier de t’avoir eu pour père ». Quant à l’ancien ministre de la Culture, Jack Lang, il a écrit : « Comme le soleil d’Alger, cette ville qu’il aimait tant, Guy Bedos était lumineux et son sourire ravageur ne pouvait que le prédestiner à interpréter Le dragueur, ce monument des sketchs français, écrit par le regretté Jean-Loup
Dabadie ».
A. E. T.