Batimate Taliane n’est pas le Bronx ou un coin de Harlem, où le deal de la drogue a imposé ses lois. C’est une cité née du hasard d’un glissement de terrain à Ras El Aïn et d’une décision des pouvoirs publics de l’époque de reloger les sinistrés dans des habitations réalisées en préfabriqué, dans l’urgence, et contenant de l’amiante, un matériau hautement cancérigène. D’ailleurs, elle tient son nom, Taliane, de la nationalité de l’entreprise italienne qui l’avait réalisée dans la précipitation à Es-sedikkia, à quelques encablures du centre- ville d’Oran. Elle abrite, depuis, un véritable melting-pot où se retrouvent toutes les couches sociales. On y trouve de tout et ses habitants vivent leur bonheur et leurs malheurs, à leur manière, dans un espace qui dépérit chaque jour un peu plus, faute d’entretien.
Ses habitants n’attendent que le jour où ils quitteront les lieux pour s’installer dans des habitations en dur, en voie de finition sur l’assiette d’une ancienne unité de l’entreprise Batior non loin du rond-point de la pépinière. «Les travaux accusent du retard et nous refusons notre relogement tant que les équipements publics ne soient pas prêts.
On nous a promis un groupe scolaire comprenant des établissements scolaires de différents paliers, une salle de soins et d’autres équipements pour nous offrir un bon cadre de vie. Des assiettes réservées à ces projets ont fait l’objet d’un hold-up par certains promoteurs. Que les pouvoirs publics assument leurs responsabilités», affirment des membres du comité des habitants de cette cité qui ont, à plusieurs reprises, joué au pompier pour éteindre la colère des habitants qui ont organisé, à plusieurs reprises, des sit-in et fermé l’accès à la cité pour protester contre le retard enregistré dans l’opération de leur relogement. « Notre relogement a été décidé depuis 2016 et, à ce jour, quatre ou cinq walis se sont succédés à Oran sans que l’opération ne soit concrétisée. Pourquoi?», s’interrogent nos interlocuteurs. Les habitants se disent las de voir des voisins mourir de cancer en raison de l’amiante que contiennent les panneaux qui forment les habitations. «Plusieurs de nos voisins ont été emportés par cette terrible maladie. La menace persistera tant qu’on n’est pas relogés ailleurs», déclarent-ils.
Batimate Taliane est comme toutes les autres cités dortoirs
Ces derniers réagissent quand on leur assure que certains voient en leur cité, un coupe-gorge, un endroit où il est risqué de se rendre. «Faux, notent-ils, dans cette cité se côtoient toutes les couches et toutes les strates de la société. C’est un exemple type de toutes les cités dortoirs du pays. Ici vivent des intellectuels, des sans niveaux scolaires, des cadres de l’administration publique, des journalistes, des avocats, des citoyens qui vivent de profession libérale.
Le respect est de mise entre les voisins et on n’hésite pas à porter assistance à tous ceux qui passent par la cité. On ne veut pas qu’on nous colle l’étiquette de parias. Ceux qui vivent ici, sont partie prenante de la société algérienne. Les courants politiques qui traversent la société se retrouvent dans cette cité et cela n’a posé de problème pour personne. On vit les mêmes problèmes des autres quartiers et cités populaires du pays, Batimate Taliane n’est pas le Bronx ou Harlem, qu’on se le dise», notent nos interlocuteurs. Ces derniers ne manquent pas d’affirmer que malgré toute leur bonne volonté, la cité connait des problèmes que les pouvoirs publics peuvent aisément régler.
Les lieux sont plongés, le soir, dans le noir et le ramassage des ordures ne se fait pas comme il se doit. «Nous organisons régulièrement des opérations de nettoyage et d’hygiène mais leur impact est limité car nous manquons de moyens. La commune de Bir El-djir a mis à notre disposition quelques moyens mais cela reste insuffisant.
On a nettoyé les lieux, chaulé les bordures de trottoirs et certains murs, réhabilité l’éclairage public, mais cela reste insuffisant tant que le problème du ramassage des ordures n’est pas réglé », précisent nos interlocuteurs. Ces derniers n’hésitent pas à rappeler qu’en hiver, des habitations sont envahies par les eaux qui se déversent du réseau d’assainissement et qu’en été, la poussière et les moustiques deviennent maîtres des lieux.
« On a chassé, de la cité, le trafic de drogue»
Il y’a quelques jours, des habitants, excédés par la présence d’individus venus d’ailleurs pour vendre ou acheter des psychotropes, ont réagi en expulsant ces intrus et en organisant un piquet de vigilance à l’entrée de la cité. «Les voisins ne pouvaient plus se taire devant ce qui se passait sous leurs balcons. Les dealers ont installé un climat de terreur dans la cité, il fallait réagir. On s’est plaint à plusieurs reprises de la présence de ces individus, mais rien n’a été fait.
La sécurité de nos enfants était menacée par la présence de ces individus. On a décidé de réagir en organisant une opération de salubrité publique qui nous a permis de chasser les intrus et de veiller à interdire l’accès aux potentiels vendeurs ou acheteurs de psychotropes», affirment des membres du comité des habitants. Il est vrai qu’il n’y a pas longtemps, un tour dans la cité permettait au visiteur de voir le sol jonché de restes de plaquettes et de boîtes d’emballage de psychotropes. C’était un véritable marché à ciel ouvert qui se tenait chaque jour dans les lieux.
«Ils venaient parfois à partir de 8 heures du matin pour ne repartir que très tard en soirée. Certains habitants qui avaient tenté de réagir ont été agressés par ces individus. Depuis une semaine, on a installé un poste de contrôle à l’entrée de la cité pour filtrer les entrées. On interdit l’accès aux clients et autres dealers mais on laisse passer tous ceux qui viennent rendre visite à leurs familles qui habitent la cité. On a porté un sérieux coup à la chaîne de vente au détail des psychotropes, le reste maintenant est du ressort des pouvoirs publics pour tarir les sources d’approvisionnement», notent des habitants qui affirment qu’ils sont honorés par leur action citoyenne qui leur a permis de se débarrasser du commerce de stupéfiants.
«On ne veut pas voir nos enfants servir de pâté aux poissons»
En attendant leur relogement dans la nouvelle cité en cours de réalisation non loin du rond-point de la Pépinière, ils affirment qu’ils sont décidés à veiller à la paix et à la sécurité de leurs familles. «On est obligé de veiller à l’hygiène des lieux. Nous allons tout faire pour garantir de bonnes conditions de vie aux habitants. On va rester mobilisés pour éviter le retour du deal dans la cité. Nous ne sommes pas l’autorité mais nous avons rempli une part de notre devoir en chassant les vendeurs de drogue, reste maintenant aux pouvoirs publics de consolider cette action par offrir des possibilités d’emplois à nos enfants pour éviter qu’ils ne retombent dans le piège des trafiquants de drogue. Il faut leur offrir l’espoir d’un bon avenir pour éviter qu’ils ne soient dealers ou qu’ils ne servent de pâté aux poissons, un sort qu’ont subi plusieurs voisins lors de leur tentative de gagner l’Europe dans des embarcations de fortune. Nous avons montré l’exemple, aux autres cités de faire comme nous pour se débarrasser des dealers et du trafic de drogue. Les pouvoirs publics ont d’autres soucis, nous avons fait un grand pas dans la lutte contre le commerce de drogue, reste maintenant aux gouvernants de tarir les sources d’approvisionnement», soulignent des habitants.
Slimane B.