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FORUM DU COURRIER D’ALGERIE/AHMED KATEB, CHERCHEUR EN RELATIONS INTERNATIONALES ET SPECIALISTE DES QUESTIONS AFRICAINES : « L’axe Alger – Abuja pour désenclaver le Sahel »

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Abordant le 38e sommet de l’Union africaine qui s’ouvrira à partir de la semaine prochaine à Addis-Abeba, l’invité du Forum du Courrier d’Algérie, Ahmed Kateb, chercheur en relations internationales et spécialiste de l’Afrique, a expliqué que le plus important dossier qui sera abordé à cette occasion sera l’élection du président de la Commission de l’UA ainsi que celle de la vice-présidence. 

Selon lui, la présidence de la commission de l’UA passera, cette année, de l’Afrique centrale vers la région orientale, rappelant qu’il y a trois candidats en course, à savoir le Djiboutien Mahamoud Ali Youssouf, le Kényan Raila Odinga et le Malgache Richard Randriamandrato. « Il y a une lutte âpre entre le Djiboutien et le Kényan et il y a même un risque de blocage du poste de président de la Commission », estime Kateb expliquant que face à cette hypothèse il y a soit un report de l’élection soit une candidature surprise. Pour cette dernière, « il n’est pas exclu que la vice-SG des Nations Unies, Amina J. Mohammed du Nigéria (Ouest) de se représenter pour débloquer la situation. Et s’il y a blocage au niveau de l’élection de la présidence, il y aura forcément celle de la vice-présidence », a-t-il indiqué. 

Sur l’enjeu pour l’Algérie, il a estimé qu’il s’agit de l’élection de notre candidate Selma Malika Haddadi qui croisera le fer avec une Marocaine, une Egyptienne et une Libyenne. C’est là un enjeu de taille auquel Kateb en a ajouté un autre, pas aussi des moindres que le rapport sur le Sahel élaboré par la commission Issoufou (Mamadou Issoufou, l’ancien président du Niger) mandatée par l’ONU, l’UA et la Cédéao et dans laquelle l’Algérienne Leila Zerrougui est membre. 

« Ce rapport sera présenté aux travaux du prochain sommet de l’UA pour chercher les voies et moyens de régler la situation complexe dans la région du Sahel. Parmi les recommandations, il y a celle proposant de sortir de la logique horizontale (la carte du Sahel s’étendant de l’Atlantique à la mer Rouge) pour aider à désenclaver le Mali, le Niger, le Burkina Faso ou encore le Tchad et à résoudre les problèmes qu’ils connaissent », explique notre invité, ajoutant que si on cherche des débouchés maritimes à l’Est, il y a la crise au Soudan, alors qu’à l’Ouest, la Mauritanie essaie de consolider ses institutions, mais économiquement il est pauvre. » Pour sortir de ce dilemme, « le Maroc a proposé l’initiative de l’ouverture sur l’Atlantique, mais elle est illégale du point de vue du droit international parce qu’elle propose d’exploiter un territoire indument occupé, notamment le Sahara Occidental, en plus de buter sur le refus de la Mauritanie. »

Pour pallier à ce problème, « la commission Issoufou propose la logique verticale en s’appuyant sur deux principales nations fortes politiquement, importantes stratégiquement, et économiquement très viables de par leurs dynamiques industrielles », fait-ils avoir, affirmant que « les deux pays qui peuvent aider le Sahel à se désenclaver, sont l’Algérie au nord et le Nigéria au sud. » Autrement dit, « on revient à l’axe Alger – Abuja. Cette initiative est d’autant plus fiable qu’il y a au moins trois projets structurants entre les deux pays, à savoir la Route transsahariennes Alger-Lagos, la Dorsale transsaharienne à fibre optique et le Gazoduc transsaharien Nigéria – Niger – Algérie vers l’Europe.  Pour la transsaharienne, Tamanrasset deviendra ainsi un hub pour toute la région du Sahel. » 

Outre ces dossiers, « les conflits au Soudan ainsi que dans la région des Grands lacs, notamment en République démocratique du Congo, seront débattus lors du 38e Sommet de l’UA. Pour le cas de la RDC, Kateb rappelle que l’Algérie a, sur initiative du président de la République, proposé sa médiation pour un modus vivendi dans le cadre d’une logique inclusive. Par ailleurs, des sous-thèmes comme le développement socio-économique, la sécurité alimentaire et énergétique et la lutte anti-terroriste seront abordés.  « Ceci dit, le point d’orgue du Sommet reste l’élection du Président et du vice-président de la Commission ».

« Toucher aux frontières, c’est guerroyer sans arrêt »

Interrogé sur la candidature de l’Algérie à la vice-présidence de la Commission de l’UA, Kateb a répondu qu’historiquement l’Algérie a toujours été vice-présidente de l’ex-Organisation de l’unité africaine en citant Mohamed Sahnoun (secrétaire général adjoint de l’OUA de 1964 à 1973), Noureddine Djoudi (1974 – 1983) « C’est dire que l’Algérie a tout le temps était aux premières loges pour un membre fondateur de l’OUA en 1963 », a indiqué l’orateur en rappelant l’essence de cette organisation née pour clore le conflit frontalier algéro-marocain survenu après l’agression et le irrédentisme marocain qui a cherché à changer le tracé des frontières. D’où le principe de sacraliser les frontières telles qu’elles ont été établies après la décolonisation pour éviter les tensions et les guerres en Afrique. Même après la transformation de l’OUA en UA, l’Algérie a été au cœur de la transition en occupant le poste de commissaire à la paix et à la sécurité (CPS) citant, Said Djinnit, Ramtane Lamamra ou encore Smaïl Chergui, qui se sont succédé à la tête de cette commission stratégique. « Notre pays a donc toujours été au cœur de la dynamique, de la fraternité et de la solidarité des pays africaines ». 

« Le dynamisme de l’Algérie à l’ONU pourrait jouer en sa faveur à l’UA »

Interrogé pour savoir si la position confortable de l’Algérie au Conseil de sécurité de l’ONU ainsi que son leadership dans l’antiterrorisme en Afrique pourraient, comme facteurs, peser en sa faveur dans l’élection de la vice-présidence de la commission de l’UA, Kateb a été formel. « Certainement, l’action de l’Algérie au CSNU est avant-gardiste, cela faisait longtemps qu’on n’a pas vu un membre non-permanent aussi actif comme l’Algérie. Durant sa présidence du Conseil en janvier dernier, l’Algérie a imposé son agenda et organisé des réunions de haut niveau sous la direction du chef à la diplomatique Ahmed Attaf en compagnie des autres membres de notre mission diplomatique à l’ONU ». Il rappelle à ce titre, l’adoption des principes de l’Algérie dans la lutte anti-terroriste en plus de hisser le président Abdelmadjid Tebboune comme Champion de la lutte à l’UA en reconnaissance internationale au leadership de notre pays dans ce domaine. « Un hommage bien mérité pour l’Algérie et son Président », a-t-il estimé, affirmant que cette dynamique créée à l’ONU pourrait se répercuter positivement sur l’élection de la candidate algérienne. 

« La situation au Sahel est très complexe » 

Qu’en est-il de la place de l’Algérie dans l’espace sahélien qui en proie à l’instabilité, l’insécurité et les tensions ? Pour Kateb, qui officie en tant que Directeur d’étude et de recherche à l’INESG, l’Algérie qui évolue dans ces conditions difficiles à cause des crises dans la région, comme en Libye, adopte une double approche dans la résolution des problèmes. Une approche inclusive qui repose sur le sécuritaire, le politique et le développement économique, social et culturel. Si la première est indispensable pour lutter contre les groupes armés, la deuxième fait appel à la bonne gouvernance pour gérer les affaires du pays en sus du développement qui donne une importance à l’humain. Plus loin, Kateb évoque l’approche anthropologique qui tient compte des groupes sociaux comme les agriculteurs, les nomades, les bergers etc. qui peuvent, dans les conditions extrêmes du Sahara, être la proie aux fléaux du terrorisme et de la criminalité organisée. « La situation au Sahel est très complexe, c’est pour cela que l’Algérie adopte cette approche inclusive pour assécher les sources du terrorisme, de la criminalité et du radicalisme violent », a-t-il plaidé.

« Qu’est ce qui empêcherait la reprise du dialogue entre Alger et Bamako ? »

Concernant la nouvelle donne relative à la dénonciation des accords d’Alger pour la paix et réconciliation au Mali sur décision de la junte malienne au pouvoir, en sus du retrait de la force française sous la contrainte des autorités et des populations du Sahel, notre invité a interprété cette décision comme un vœu pour les autorités maliennes de « s’approprier le processus politico-sécuritaire et de mettre fin à ce qu’elles appellent, elles, l’ingérence étrangère, et ce qu’elles qualifient également de groupes terroristes.  » « Si les accords d’Alger étaient utiles pour un moment, qu’est ce qui empêche de les revoir ? », s’est interrogé notre interlocuteur, rappelant qu’après avoir « chassé » la France du Mali, les autorités ont fait appel à d’autres forces étrangères pour les besoins sécuritaire du pays. Par ailleurs, ailleurs, Kateb a fait remarquer que l’Algérie a pris acte de ces décisions en considérant que c’est une affaire malo-malienne dans la mesure où elle se refuse toute ingérence. « Mais, qu’est ce qui empêcherait la reprise du dialogue entre Alger et Bamako ? Qu’est ce qui empêcherait la reprise, un peu plus forte, des relations diplomatiques entre les deux pays ? », s’est-il encore interrogé, faisant observer que « l’Algérie est le prolongement stratégique du Mali et le Mali est également un prolongement naturel vers le Nord. » 

« Les Touaregs, un élément fédérateur et non pas de division »

Il en veut pour preuve aux liens naturels entre les deux pays, « les populations touareg qui sont communes aux deux pays qu’il faut considérer comme un élément fédérateur et non de division. » Par ailleurs, Kateb suggère de revoir l’angle de vision concernant la manière avec laquelle la question malienne sera abordée à partir d’Alger pour ne pas prendre le risque de « tomber dans les travers du paternalisme post-colonial. »    

Abordant les perspectives liées à la fin de l’hégémonie étrangère en Afrique, notamment française, Kateb soutient que « la liberté de décision est un fondement essentiel dans l’émancipation nationale, mais qu’il faudrait aller vers une véritable émancipation en sortant de zone « franc CFA ». « Il ne suffit pas de fermer les bases françaises, mais de rester tributaire de la banque de France », a-t-il affirmé, faisant savoir que l’Algérie a aidé la Mauritanie durant les années 90 à sortir de la zone franc CFA et, par conséquent, d’adopter l’Ouguiya comme monnaie propre. Plus loin, et dans le cadre du panafricanisme, « l’Algérie a aidé les pays africains à s’émanciper culturellement à travers, par exemple, l’œuvre de Frantz Fanon », a-t-il indiqué. 

« Être proactif face à l’offensive médiatique occidentale » 

Au plan des ingérences étrangères dans les affaires intérieures des pays africains, comme c’est le cas du Soudan et de la RDC où la Turquie s’est, curieusement, proposée médiatrice, Kateb ne soutient pas moins que l’UA doit avoir ses propres mécanismes politiques et sécuritaires pour repousser toutes les velléités d’immixtion imposées de l’extérieur. Il cite en exemple la Force africaine en attente comme composante de la l’APSA (Architecture africaine de paix et de sécurité). 

A une question sur l’hégémonie médiatique occidentale dont l’opinion publique local en est victime, Kateb distingue deux situations en Algérie. D’une part, il y a les Algériens francophones qui consomment le contenu français dont les médias de masse sont sous le contrôle de lobbies sionistes et des milieux d’affaires de l’extrême droite. Tandis que les arabophones, eux, s’orientent vers les médias du Golfe comme Al-Jazeera, Al-arabia etc. Face à cette hégémonie, Kateb soutient à création de contenus médiatiques algériens en développant une culture médiatique professionnelle affranchie des outils traditionnels et reposant sur les nouvelles technologies. Par exemple, dans le conflit russo-ukrainien, les médias français ont développé un contenu médiatique où la Russie est diabolisée et présentée comme « le méchant « alors que l’Occident en est « le saveur ». Notre interlocuteur revient aussi sur la campagne médiatique française qui a ciblé l’Algérie en soutenant une stratégie de riposte nationale proactive et non pas réactive comme c’est le cas aujourd’hui.  

Farid Guellil

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