L’actrice anglaise incarne au cinéma Rachel Watson, l’héroïne de «La fille du train», le thriller aux millions de lecteurs.
Paris Match. Faisiez-vous partie des lecteurs qui ont fait de “La fille du train” un succès planétaire ?
Emily Blunt. Non. Pourtant, ma sœur Felicity, qui est agent littéraire à Londres, m’avait prévenue. Je voyais partout des gens le lire. Lorsque les producteurs m’ont approchée pour le rôle, je l’ai dévoré en deux jours. J’ai été captivée par la manière dont le film se proposait de présenter le point de vue de Rachel à travers un brouillard permanent qui floutait les frontières de la réalité. Cela, afin de nous faire comprendre combien son alcoolisme fait d’elle le témoin peu crédible d’un crime.
C’est important pour vous d’être au cœur de sujets sociétaux ?
Je ne renie pas mes films de divertissement, mais lorsqu’il est question d’addiction, d’infertilité, d’adultère, de déséquilibre psychique et de solitude, il ne faut pas avoir peur de se mouiller. Comme vous l’avez remarqué, je suis même prête à sacrifier mon aspect physique. Je précise toutefois que le vomi n’est pas le mien ! [Elle rit.]
Vous ne souffrez pas quand vous incarnez un personnage aussi douloureux ?
Je me suis un peu servie de la fragilité de ma condition car j’ai découvert que j’étais enceinte juste avant le tournage. Mais je ne me perds pas dans mes rôles car ils sont séparés de ma vie. Pour bien les jouer, je dois être heureuse de le faire.
Il n’y a pas que les hommes qui ont le droit d’être gros, moches, vieux ou déglingués !
Pensez-vous que l’auteure Paula Hawkins et la scénariste Erin Cressida Wilson portent sur les femmes un regard différent de celui des
hommes ?
A Hollywood, il y a deux poids, deux mesures : les antihéros masculins s’en sortent bien, mais les femmes sont tellement idéalisées que, lorsqu’elles chutent de leur piédestal, c’est d’autant plus dégradant. Il est donc inhabituel d’avoir pour protagoniste une héroïne abîmée physiquement, cassée moralement et difficilement aimable. Mais cela fait du bien aux femmes de se voir ainsi désacralisées à l’écran, rendues plus humaines et réalistes.
Vous militez donc pour le droit à l’imperfection ?
Il n’y a pas que les hommes qui ont le droit d’être gros, moches, vieux ou déglingués ! Les réseaux sociaux ont eu un impact positif en ce sens car les femmes se sont mises à s’exprimer très ouvertement sur de nombreux points cruciaux, comme l’avortement, l’égalité des salaires, mais aussi le droit à un comportement sexuel libéré. On peut désormais s’élever contre le système sans avoir peur des répercussions.
Le film s’apparente à un “Fenêtre sur cour” en mouvement. Est-ce que vous avez un côté voyeur ?
On est tous fascinés par la vie des autres : plus elle semble idéale en public, plus on a envie d’en connaître les coulisses… J’adore observer les gens, depuis toute petite, j’imite leurs accents, leurs tics. L’action a été déplacée à New York, mais vous avez gardé votre accent anglais. Est-ce que, comme Rachel, vous vous sentez parfois étrangère aux Etats-Unis ? Quand on est un acteur britannique, on fait implicitement partie de la famille de Shakespeare et on est très bien accueilli. Mais, lorsque j’étais à Londres avec mon mari [John Krasinski], il se plaignait d’être parfois maltraité, et j’ai été obligée de lui dire : “Enlève ta casquette de base-ball qui claironne que tu es américain !” On vous a vue danser, chanter, vous battre contre des aliens, boire comme un trou… Vous voulez savoir ce que je préfère ? [Elle rit.] J’aime être surprise par un rôle. Quand je lis un scénario, il doit me sauter à la figure pour me séduire. Maintenant que je suis mère de deux filles [Hazel et Violet], je suis un peu plus attentive à mon image, et c’est un peu pour elles que je me prépare à incarner Mary Poppins. Eh oui, la maternité m’a transformée !