Étudiants, journalistes ou agriculteurs: depuis les manifestations historiques du 11 juillet à Cuba, différents secteurs de la société ont été invités à des réunions avec le président Miguel Diaz-Canel, une ébauche de dialogue national qui n’inclut toutefois pas les voix les plus critiques.
Parfois diffusées à la télévision mais fermées aux médias étrangers, ces rencontres au palais de la Révolution, durent généralement plusieurs heures. On y voit des scientifiques, des religieux, des artistes ou encore des patrons d’entreprises d’Etat, toujours selon le même format: plusieurs d’entre eux prennent la parole, à tour de rôle, pour exprimer ce qu’ils ressentent. Face à eux, le président communiste écoute plus qu’il ne parle… même face aux reproches. Lors des manifestations anti-gouvernement du 11 juillet – inédites depuis la révolution de 1959 -, « les médias cubains n’ont pas couvert ce qui s’est passé dans la rue », a ainsi déploré la journaliste Cristina Escobar, de la télévision d’État. Ce sont « les autres » qui l’ont fait. « Il y a un Cuba qui n’est pas raconté dans les médias (…) un Cuba négligé, délaissé, en marge des bénéfices de la révolution, qui est dans les quartiers », a-t-elle ajouté, fustigeant la propagande dans les médias officiels dont elle fait partie. Dans un autre échange, une étudiante en tourisme a regretté le manque de « sensibilité » de certains responsables, qui « traitent mal » ceux qui cherchent des solutions aux demandes de la population.
« Fracture du pacte social »
Deux mois après les révoltes, le gouvernement continue d’accuser Washington d’avoir agi en coulisses. Mais il fait aussi un début de mea culpa: selon le président, il faut « faire une analyse objective » et il faut « qu’il y ait des critiques ». Sa démarche de dialogue survient alors que son principal allié, le président vénézuélien Nicolas Maduro, a entamé des négociations avec l’opposition à Mexico. Mais à Cuba, les autorités considèrent comme illégale l’opposition et l’accusent d’être financée par le gouvernement américain. Depuis son indépendance en 1902, l’île a presque toujours les yeux rivés vers son voisin du nord… qui aime aussi mettre son grain de sel, à l’image de la campagne menée actuellement par le département d’État sur Twitter, où il appelle les Cubains à « élever leurs voix en soutien aux prisonniers politiques ». Cette fois, « c’est un problème des Cubains et il doit être résolu par nous, sans ingérence extérieure », affirme à l’AFP l’historienne Ivette Garcia. Le pays, en profonde crise économique liée à la pandémie et au durcissement de l’embargo américain, fait face à « une crise systémique, une fracture du pacte social, dont la solution ne peut pas consister en une répétition des méthodes traditionnelles qui ont toujours exclu une partie des citoyens ». Donc « il faut un nouveau contrat social, un nouveau projet de pays, plus inclusif et démocratique », estime-t-elle. D’autant que la tentative officielle de dialogue en laisse certains sur leur faim: « On voit effectivement des canaux de dialogue », note le juriste et essayiste Julio César Guanche, mais ils devraient inclure aussi « des secteurs ayant vraiment des différends avec la politique d’Etat cubaine ». Et le problème est que « les secteurs officiels cubains estiment que la nation est déjà représentée » suffisamment dans les échanges menés actuellement.
« Suppôts de l’empire »
Samedi, deux mois jour pour jour après les manifestations, le journal officiel Granma a défini les contours d’un possible dialogue: « Ici il y a de quoi dialoguer, depuis, par et pour la Révolution » et via « le combat contre les suppôts de l’empire » américain, autrement dit l’opposition. Julio César Guanche soupire: « Pour qu’il y ait dialogue, il faut que ce soit entre parties égales et il n’y a pas d’égalité politique possible sans redistribution du pouvoir ». Une option forcément rejetée par le Parti communiste, unique autorisé sur l’île. Hors circuit officiel, d’autres initiatives sont nées, comme « Archipel », un groupe lancé sur Facebook en juillet pour encourager un large débat vers des changements démocratiques. Il compte déjà plus de 20.000 membres. Leurs revendications? La liberté des prisonniers politiques et de ceux arrêtés le 11 juillet, l’organisation d’un référendum sur des réformes politiques et le droit de manifester librement. Mais « les autorités ont tenté de discréditer le groupe sur internet et via des messages qui cherchent à décourager les participants et provoquer du chaos et de la méfiance », regrette son fondateur, le metteur en scène Yunior Garcia.