Ira, ira pas ? Il a beau multiplier les déclarations, la question de son retour continue de lui être posée. Et pourtant, il reste poli. Même avec nous.
«J’ai dû l’arrêter, il allait se faire une tendinite ! » Daniel Radcliffe a beau ne plus être Harry Potter depuis six ans, les millions de fans qui ont grandi avec lui l’adulent toujours autant. Il pourrait les envoyer promener, las de cette Pottermania qui le poursuit depuis ses 10 ans, mais son impeccable politesse anglaise l’en empêche. D’où ces centaines d’autographes, signés à tour de bras lors du Festival de Deauville il y a deux mois, jusqu’à ce que son attachée de presse le ramène de force en coulisse.
Venu recevoir le prix du Nouvel Hollywood sur les planches normandes en septembre dernier, l’acteur de 27 ans arborait une barbe clairsemée, des cheveux soigneusement en bataille, un visage pâle anguleux aussi singulier que magnétique et un regard bleu acier, d’un froid de glace, qui laisse deux options : se laisser envoûter ou s’enfuir en courant. Au moment de lui serrer la main, on est surpris par sa maigre silhouette et son 1,65 mètre. « Vous voulez un café, un croissant ou peut-être un verre d’eau ? » se soucie-t-il, encore une fois si poli. Daniel Radcliffe sait y faire. Et ne soupire même plus lorsqu’on l’interroge quant à son retour éventuel sous la cape du petit sorcier. Car c’est LA question, celle qui obsède la puissante Warner, qui voudrait remettre la main sur lui pour que continue la saga aux 2 milliards de dollars de recettes…
Pour l’instant, il a dit non et a tout fait pour y échapper, allant jusqu’à oser la nudité totale (et frontale) pendant sept longues minutes dans la pièce de théâtre Equus, qui racontait pourquoi un adolescent apparemment sans soucis crevait, un jour, les yeux de six chevaux dans un accès de démence. Un temps, les représentations londoniennes se sont jouées à guichets fermés. Pour de mauvaises raisons ? « Tout le monde venait voir l’autre baguette magique de Harry Potter. Mais je n’écris pas du porno, pour l’amour de Dieu ! » se souvient, désespéré, le dramaturge Peter Shaffer. Au cinéma aussi, il a multiplié les rôles à contre-emploi, jouant récemment un agent du FBI infiltré dans un gang terroriste néonazi (Imperium) ou un cadavre sujet aux flatulences ( Swiss Army Man).
Mais rien à faire : Harry et lui, c’est pour la vie, même si le jeune homme assure vouloir prendre ses distances avec la saga au moment où J. K. Rowling relance la machine avec une pièce de théâtre (Harry Potter et l’enfant maudit) et une nouvelle série de films (Les animaux fantastiques). « Si je reprends le rôle de Harry Potter à 40 ans, c’est que j’aurai foiré ma carrière. À la limite, je veux bien céder à un retour de flamme mais dans longtemps, comme Harrison Ford pour Star Wars. » Pour l’aider dans sa dépottérisation, on lui a proposé de casser symboliquement la baguette magique en plastique qu’on lui avait apportée pour notre séance photo. Refus aimable : « Je ne veux rien dire ou commettre de méchant vis-à-vis de Harry Potter… » Hésiterait-il encore ?
Vous faites du cinéma depuis quinze ans et on vous sacre seulement maintenant « visage du Nouvel Hollywood »… Vexant ?
Daniel Radcliffe : J’ai longtemps été jaloux de mes amis Dane DeHaan et James McAvoy, qui ont commencé jeunes et ont tout de suite reçu des prix. Moi, je n’ai jamais rien eu, c’est vrai… Mais c’est sûrement parce que, enfant, je n’étais pas du tout bon acteur. Ce prix à Deauville, d’accord, c’est une forme de reconnaissance pour mon travail sur « Potter », mais aussi, j’espère, pour tout ce que j’ai fait depuis. Un peu comme si on me disait : « Continue, tu tiens le bon bout. » Je pense être utile avec mes films. Par exemple, Imperium parle des terroristes qui ne sont pas affiliés à un groupe islamiste. On l’a vu quand Dylann Roof a assassiné tous ces gens dans une église noire de Charleston. Le FBI ne l’a pas qualifié de terroriste, mais d’extrémiste, de forcené, de loup solitaire. J’espère qu’après avoir vu le film certains se diront : « Ah oui, tous les terroristes ne sont pas des musulmans. »
C’est de vouloir être utile qui vous pousse à continuer le cinéma alors que, depuis vos 18 ans, vous avez assez d’argent pour ne plus travailler ?
Je n’ai jamais rien fait d’autre que travailler depuis l’âge de 10 ans, et je ne sais pas ce que serait ma vie sans ça. Si j’étais un banquier – désolé, je prends le premier métier qui me vient et que je trouve ennuyeux – et si j’avais réuni assez d’argent pour ne plus avoir à travailler, alors oui je prendrais sûrement ma retraite. Mais être sur un plateau tous les jours, je vous assure, c’est un putain de bonheur !
Vous avez traversé une période d’alcoolisme. Peut-on vraiment rester sain d’esprit quand on
a connu la gloire aussi jeune ?
Le vrai problème avec le fait de devenir célèbre très jeune, ce n’est pas l’alcool ou la drogue mis à ta disposition. Le plus dur, c’est que tu es en train de découvrir ton identité à un moment où le monde entier décide pour toi qui tu es… Quand je me rendais quelque part à 11 ans, je savais que tous dans la pièce avaient déjà une certaine opinion de moi ; c’était très perturbant. C’est comme ça que je suis devenu alcoolique. Ado, j’étais mal dans ma peau, je ne pouvais pas voir ma tête… Mais je pense que je suis malgré tout un bon exemple pour quelqu’un qui est devenu célèbre très jeune, mais qui a réussi à garder les pieds sur terre, à avoir une carrière et qui traite bien les gens, non ?
Vous n’avez pas de compte Twitter. Avez-vous appris, depuis, à mieux vivre la célébrité ?
Tout le monde s’intéresse et se moque des emmerdes de Justin Bieber et de Miley Cyrus… J’ai envie de leur dire : « Arrêtez, vous ne savez pas ce que c’est ! » La gloire finit par s’envoler et même la personne la plus célèbre du monde, probablement Justin Bieber en ce moment, ne le sera sans doute plus dans quatre ans. Moi-même, je ne serai plus jamais aussi célèbre qu’entre mes 11-21 ans. Vous vous souviendrez de mon nom et de ce que j’ai fait, mais je ne connaîtrai plus jamais un tel succès… Ce n’est pas un problème, car j’aime le travail d’acteur et je ne suis pas tant que ça intéressé par la célébrité, qui m’a fait péter un plomb. En revanche, si vous aimez la célébrité mais pas le métier, alors là vous aurez du mal dans la vie…
Avez-vous vu la pièce Harry Potter et l’enfant maudit ?
Non. Je pense que ça ne serait pas une expérience apaisante pour moi. Le public est majoritairement composé de fans d’Harry Potter et ça pourrait me mettre dans une position très inconfortable. Peter Shaffer, le dramaturge de la pièce Equus, m’a raconté la fois où Elizabeth Taylor est venue voir Richard Burton jouer la première d’Equus, à New York. Personne n’a regardé le spectacle, tout le monde était subjugué par Taylor, qui regardait le show. Tous essayaient de déceler ce qu’elle pensait de la pAjouterièce. Je ne veux pas attirer les regards et sentir les gens se demander : « Oh, mais que fait-il ? Est-ce qu’il rit ? » Je serais vraiment mal à l’aise. Je ne veux pas être une bête de foire.
Dans dix ans, vous aurez l’âge de Harry dans la pièce… Si elle était adaptée au cinéma, accepteriez-vous de reprendre votre rôle ?
Une grande partie de moi a terriblement envie de vous répondre non, car je sais que je n’aurai pas envie d’y revenir. Et je serais vraiment heureux que les studios choisissent un autre acteur. D’ailleurs, même si je le voulais, je serais très effrayé de reprendre ce rôle, car Harry Potter n’est pas Star Wars. Toutes les franchises ne peuvent pas revenir vingt ans après et être toujours aussi géniales. Le public a adoré les films que nous avons faits et si jamais les nouveaux ne sont pas bons, s’ils laissent un goût amer, alors je serai très fâché. Donc, même s’il ne faut jamais fermer la porte, je préfère laisser Harry Potter derrière moi. J’en ai fini. Vraiment. Je suis désolé, je sais que ce n’est pas la réponse que vous aimeriez avoir…
J. K. Rowling, l’auteur de Harry Potter, à qui vous devez tout, était farouchement opposée au Brexit… Et vous ?
Le Brexit m’a déprimé. C’est un peu stupide et embarrassant à dire, mais j’étais persuadé que nous n’allions pas quitter l’Union européenne. J’ai réalisé à quel point habiter à Londres, c’était vivre dans une bulle complètement isolée du reste du pays.
L’idée de nation et de patriotisme – même si je suis fier d’être anglais – ne devrait plus être aussi prédominante. Le Royaume-Uni n’est pas un pays supérieur aux autres : on n’y vit pas mieux, on n’y pense pas mieux. Le Brexit, c’est la division et ça nous rend faibles.