Attaque contre Charlie Hebdo, attentats en Afrique, mais aussi guérilla au Yémen et en Syrie : depuis la mort d’Oussama ben Laden, Al-Qaïda associe des coups d’éclat à une stratégie à long terme afin de résister, notamment à la concurrence du groupe état islamique (EI) et aux frappes de Washington.
Les experts sont partagés sur les capacités des multiples branches d’Al-Qaïda. Pour certains, le réseau extrémiste a été surpassé mondialement par l’EI. Pour d’autres, il s’est simplement fait voler la vedette, mais l’emportera in fine car il mise patiemment sur un jihad globalisé à long terme alors que son rival est sous pression en Irak et Syrie.
Au faîte de sa puissance en Afghanistan, Al-Qaïda a ébranlé l’Amérique avec les attentats du 11 Septembre 2001 (près de 3 000 morts), mais a commencé à sortir des écrans radar après l’élimination de ben Laden par un commando américain le 2 mai 2011 au Pakistan, suivie par l’émergence en 2014 du «calife» de l’EI, Abou Bakr Al-Baghdadi. Ce quadragénaire irakien est devenu le fer de lance du jihadisme mondial grâce aux conquêtes territoriales en Irak et en Syrie et à la brutalité de ses méthodes. Il a ainsi éclipsé le successeur de ben Laden, l’Egyptien Ayman Zawahiri, dont les messages sont inaudibles. «La propagande d’Al-Qaïda est devenue illisible sur les réseaux sociaux face à la machine de guerre médiatique que Daech (acronyme de l’EI en arabe) a constituée avec succès», affirme Jean-Pierre Filiu, spécialiste de l’islam contemporain.
«Al-Qaïda a perdu partout la main face à Daech, sauf dans le Sahel», assure-t-il. «Ce recul général est lié à la volonté de Zawahiri de ‘surfer’ sur la vague révolutionnaire dans le monde arabe, alors que Daech a d’emblée adopté une attitude violemment contre-révolutionnaire qui lui a permis de profiter de la collaboration en Syrie et au Yémen des dictateurs en place ou de récupérer en Libye une partie de la base de (Mouammar) Kadhafi».
William McCants, de l’institut Brookings à Washington, estime aussi qu’Al-Qaïda a été quelque peu dépassé par l’EI issu d’une scission. Mais, sous la bannière du Front Al-Nosra, deuxième groupe jihadiste en Syrie, ses combattants ont «repris du poil de la bête» après avoir subi de «sérieuses pertes» face à Daech.
Au Yémen, où l’implantation jihadiste dans le tissu tribal est ancienne, Al-Qaïda dans la péninsule arabique (Aqpa) contrôle encore de larges territoires dans le Sud-Est, même s’il a perdu du terrain ces dernières semaines. Ses hommes se comptent «par milliers, comparés aux centaines» de l’EI sans territoires, relève M. McCants. Selon lui, Al-Qaïda poursuit une stratégie consistant à mêler des conquêtes territoriales par la guérilla et des actions spectaculaires contre l’Occident, «suivant ainsi les directives de Zawahiri». En janvier 2015, alors que l’EI écrasait l’espace médiatique mondial, Al-Qaïda au Yémen, considéré par Washington comme le groupe le plus dangereux du réseau, revendiquait l’attaque ayant décimé la rédaction du journal satirique français Charlie Hebdo. Cette opération menée en plein Paris par les frères Kouachi a été interprétée comme la volonté d’Al-Qaïda de reprendre la main face à l’EI.
Cibles en Afrique
De même, à partir de novembre 2015, Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) a revendiqué une série d’actions spectaculaires en Afrique (Mali, Burkina Faso, Côte d’Ivoire), visant des hôtels, des restaurants et faisant des dizaines de morts, dont de nombreux étrangers. En Afrique de l’Ouest, Al-Qaïda a cherché à «montrer qu’il était uni après des divisions dommageables» et a trouvé «une zone où il peut repousser l’influence concurrente» de l’EI, selon l’institut d’analyses Soufan Group.
Pour l’International Crisis Group (ICG), l’EI a certes «remodelé le paysage jihadiste». Mais Al-Qaïda a «évolué» et certaines branches «restent puissantes» en participant à des «insurrections locales», en montrant un «degré de pragmatisme», en évitant de «tuer des musulmans» et en tenant compte des «sensibilités locales». Ainsi, des responsables d’Al-Qaïda au Yémen ont condamné les attaques sanglantes de l’EI contre des mosquées chiites en 2015.
Et Aqpa au Yémen comme Al-Nosra en Syrie se sont alliés à d’autres forces locales et ont agi subtilement pour développer une assise sociale, affirment plusieurs experts.
Al-Qaïda «parie sur un pourrissement progressif de la situation dans les pays musulmans qui amènera la prise de pouvoir par des dirigeants acquis à ses thèses», avance Alain Rodier, ex-officier du Renseignement français, dans un entretien publié en avril par le magazine en ligne Atlantico. «Ce jihad est prévu pour s’étaler sur des dizaines d’années» alors que Baghdadi «se montre plus pressé».
Dans l’immédiat, les chefs d’Al-Qaïda font profil bas face aux frappes, souvent par drones, que mènent les états-Unis. Au Yémen, elles ont éliminé le chef d’Aqpa Nasser al-Wahishi en 2015.
Des forces spéciales émiraties ont en outre aidé l’armée yéménite à chasser Al-Qaïda de la ville de Moukalla (sud-est) en avril. En Syrie, Washington a bombardé le 3 avril un camp d’entraînement d’Al-Nosra, tuant le porte-parole du groupe Abou Firas al-Souri et 20 autres jihadistes. Et dans le Sahel, les chefs d’Aqmi sont pourchassés par la France.